6 Deuxième dérapage

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Rien n'allait ces temps-ci. J'étais d'abord retourné à la supérette, mais mademoiselle Antonin était de nouveau absente. Elle avait repris trop tôt le travail et avait fait une crise de nerf en voyant entrer un jeune homme, dont la capuchedu sweat-shirt venait masquer le visage. Il s'agissait en fait d'un brave garçon du quartier, mais c'était une émotion de trop pour la caissière. Elle était maintenant soignée pour une dépression nerveuse. Elle n'était pas prête à revenir. Le patron du magasin pensait même qu'elle aurait intérêt à changer de métier.

Ensuite, j'avais des problèmes au travail. Crise économique, perte de marchés importants, tout concourait à un plan de licenciement économique. Il était probable que je fasse partie de la charrette. Autant dire que le moral n'était pas au beau fixe.

Et c'est à ce moment là, que le sort choisit de me placer à nouveau dans une situation délicate.

Pour me rendre à l'arrêt de bus le plus proche de mon travail, j'empruntais une rue rendue étroite par un chantier de ravalement de façade. Je remarquais une mère qui venait à ma rencontre, poussant devant elle un landau. Elle s’arrêtait tout les trois quatre pas pour se pencher vers son bébé qui, je le supposais, devait pleurer. Il devait être sans doute effrayé par le bruit du chantier.

Machinalement, je regardais vers le haut. C'est à ce moment là que je vis une charge mal arrimée se détacher de la grue, et tomber d'une grande hauteur tout droit sur la mère et l'enfant.

Horrifié, je restait d'abord tétanisé. Puis mes réflexes revinrent au bon moment. Je tendis le bras et imaginais le projectile, un paquet de planches fermement serrées entre elles, se disloquer et tomber loin de la pauvre mère. Le résultat dépassa mes attentes : les planches se désolidarisèrent avant de se disperser de tous cotés. Je n'en croyais pas mes yeux : la mère et l'enfant étaient saufs mais se trouvaient au centre d'un cercle formé par de nombreux morceaux de bois. Le tas de planches avait explosé littéralement et il ne restait pas de débris plus gros que le bras. Il est vrai que je n'avais pas pris le temps de moduler ma force.

La mère resta d'abord immobile, hébétée. Puis elle réalisa à quel danger elle venait d'échapper. Elle pris précipitamment son bébé dans ses bras, le serrant convulsivement contre elle.

Je décidais de m'éclipser le plus vite possible. Ce n'était pas le moment de devoir témoigner sur un phénomène paranormal. Je devais faire profil bas. Et puis j'avais besoin de récupérer des forces. Bien que beaucoup plus limité que dans le cas du malabar, cet effort m'avais marqué.


Un peu plus tard, je somnolais devant la télévision. Le programme qui avait provoqué mon assoupissement était une énième déclinaison du «Le ... que les français aiment le plus ».

Après le village, le monument, la ferme, le marché, le musée c'était au tour des gares d'être scrutées. Bientôt ce serait les vespasiennes. Cette idée me fit sourire. Et pourtant, une telle émission pourrait rendre de grands services. Oh, bien sûr, les jeunes gens ne se sentiraient certainement pas concernés, mais les plus âgés si. Savoir quel lieu touristique est le mieux équipé, le plus propre...

J'en étais là dans mes divagations lorsque la sonnerie de l'interphone retentit. Je pensais immédiatement au lieutenant Dautun, et je ne fus pas déçu. J'allais à sa rencontre dans le jardinet, mais elle passa devant moi en trombe avant d'entrer dans la maison sans y avoir été invitée. Je la suivis donc, n'ayant pas vraiment le choix. Une fois la porte d'entrée fermée, elle attaqua sans détour. Avec elle c'était « droit au but » !

- Évidemment vous allez me dire que vous n'y êtes pour rien !

Son attitude était tellement exagérée que j'eus envie de sourire.

- De quoi parlez-vous ?

J'avais poussé le bouchon un peu trop loin. Elle explosa,

- Ce n'est pas le moment de faire de l'esprit. Il n'y a que vous pour réussir un tel coup et nous le savons tous les deux.

Cette fois je sentis la moutarde me monter au nez. Elle avait presque hurlé sa phrase et je lui répondis sur le même ton.

- Et que devais-je faire d'après vous ? Laisser cette femme et son bébé se faire écraser par ces planches ? Parce que j'ai besoin d'avoir l'autorisation du lieutenant Dautun pour porter secours à une personne en danger ? Allez, dites-le !

Interloquée par ma colère soudaine et la véhémence avec laquelle je m'étais exprimé, elle se laissa tomber dans un fauteuil. Elle resta un moment silencieuse avant de pousser un gros soupir. Elle repris la conversation d'une voix lasse.

- Vous avez bien fait, je ne vais pas dire le contraire, mais c'est fâcheux.

- Et en quoi c'est fâcheux ?

Elle hésita avant de répondre.

- A force d'utiliser votre... don dans des lieux publics vous finirez par vous faire repérer.

- Ah ! Parce que ce n'est pas déjà fait. Que faites-vous alors dans mon salon, où d'ailleurs vous êtes entrée sans soliciter mon accord.

Elle baissa la tête et répondit presque à voix basse.

- Je n'ai pas divulgué votre secret. De toute façon on vous aurait pris pour un dingue, et moi aussi par la même occasion.

Je restais sans voix. Elle n'avait rien dit, à personne ? Je ne comprenais plus. Je m'assis en face d'elle et la regardais attentivement. Le rapport de force venait de s'inverser brutalement, et je ne savais pas pourquoi. C'était elle qui paraissait coupable, mais de quoi ? Je la questionnais d'une voix mesurée.

- Ne croyez-vous pas qu'une explication s'impose ? Si vous n'avez pas l'intention de divulguer mon secret pourquoi êtes-vous là ?

Elle soupira à nouveau et me jeta un regard par en dessous.

- Je suis là parce que j'ai besoin de vous.

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