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  Longtemps je me suis levé de bonne heure.

Les esprits chagrins vont me faire remarquer que la citation exacte est "couché" et non "levé". Je leur objecterai que si je me lève de bonne heure, c'est justement grace au fait que je me sois préalablement couché tôt. Et comme l'incipit auquel ils pensent a déjà été utilisé par un écrivain célèbre, il ne me reste que la possibilité d' en créer un autre, bien à moi. Du coup, avec leur objection, par ailleurs tout à fait recevable, j'ai perdu le fil de ma confession. Je reprends donc au début :

  Longtemps je me suis levé de bonne heure. J'aime bien avoir le temps de consulter les dernières informations sur ma tablette en déjeunant. Cela évite que je me sente trop seul car, vous l'avez peut-être deviné, personne ne partage ma vie. Ce matin là ne dérogeait pas à la règle, bien que l'on soit dimanche. Les nouvelles n'étaient pas bonnes, je dirais « comme d'habitude » : viols, meurtres, guerres et autre joyeuseté, typiques de la race humaine. Nous sommes donc incapable de nous amender, d'avoir de l'empathie pour nos congénères. Et ce n'est pas tout, la violence peux aussi prendre le masque insidieux de « l'intérêt économique » pour briser les faibles et appauvrir encore plus les déjà pauvres. Alors autant sauter tout ça et aller directement aux informations sportives. C'est ce que je fais souvent. Hélas, ce matin là, le sujet principal de la rubrique consistait à disséquer, en long et en large, la défaite de mon équipe de foot préférée. Je commençais à regretter de n'être pas resté sous la couette.

Sans lever les yeux de ma tablette je cherchais à tâtons ma tasse de café. Mal m'en pris : je la frôlais au lieu de m'en saisir, renversant par la même occasion un peu du breuvage sensé me réveiller. Contrarié je me décidais à la chercher des yeux. Elle était là, trônant au milieu d'une flaque du liquide sombre. Impatient je claquais des doigts. C'est à cet instant précis que mon destin bascula. La tasse vola en éclats, projetant autour d'elle des tas de débris de porcelaine et de gouttelettes de café. Je restais abasourdis, contemplant stupéfait la catastrophe. Puis je réagis rationnellement à ce phénomène étrange, en allant chercher de quoi nettoyer la table, et jeter les vestiges de ma tasse à la poubelle. J'en était quitte à me refaire un café.

Peu après, je me levais et m’apprêtais à sortir de la pièce pour affronter le monde hostile, lorsque je me cognais violemment le pied contre la poubelle, que j'avais oublié de repousser hors du passage. Furieux, je fusillais du regard ce banal objet du quotidien, m’apprêtant à lui donner un monstrueux coup de pied. C'était l'occasion de montrer à mon attaquant préféré (je parle de foot bien sûr) ce qu'il aurait dû faire la veille au soir, pour justifier son salaire astronomique. A ce moment là, la poubelle s'enflamma, brûlant avec ardeur son contenu, avant de fondre et de se transformer en une masse informe de plastique.

Que se passait-il ce matin ? Quelle étrange malédiction me poursuivait ? Je décidais d'aller prendre l'air pour me calmer et réfléchir à tout ça calmement, rationnellement. Dans le hall d'entrée, un vase de fleurs se dressait sur une sellette. Il était sensé embellir la maison, mais j'avais omis de changer l'eau depuis trop longtemps. Les plantes avaient piteuse mine. C'était de ma faute, mais ce matin j'en voulais au monde entier, et je n'étais pas prêt à reconnaître mes tords, ne serait-ce que devant cet objet. Je tendis vivement la main pour me saisir du vase, mais un étrange pressentiment me fit la relever au dernier moment, peut être le souvenir de la tasse de café. Il y eu une détonation sèche et un trou apparu soudain dans la paroi, au dessus du vase, dans l'alignement de ma main. Je m'approchais pour l'examiner. Il faisait une dizaine de centimètres de diamètre et la tapisserie à son pourtour était roussie. Bon, d'accord, ce n'était qu'une bête paroi, pas un mur porteur, mais quand même ! Je contemplais ma main avec suspicion. Elle semblait normale et pourtant...

Je jugeais qu'il était urgent de sortir de chez moi, avant que la maison ne soit dévastée. Avec beaucoup de précautions, j'ouvris la porte et la referma doucement, avant de la verrouiller. Heureusement, aucune nouvelle catastrophe ne se produisit. Habitant en grande banlieue, je trouvais rapidement un endroit calme, au cœur de la forêt proche de mon domicile.

Je décidais que je pouvais mettre à l'épreuve ce nouveau don, car il était devenu évident que les incidents étaient de mon fait. Je me campais à deux mètres d'un petit arbre et, comme les enfants, je le mis en joue en imitant un pistolet avec mes doigts. Rien ne se passa. Déçu, je récidivais, accompagnant cette fois mon geste d'un « Pan ! » énergique. Je devais avoir l'air débile. Heureusement, personne ne me vit. Il ne se passa rien encore une fois. Soudain les buissons s'agitèrent sur mon coté gauche. Par réflexe, je pivotais et refis une troisième fois mon geste enfantin. Un lièvre détalla et ne dû sa survie qu'à son agilité car, au milieu du buisson derrière lequel il était caché, il y avait maintenant une trouée énorme. Des branchages jonchaient le sol et une odeur de bois brûlé se dégageait.

Qu'étais-je devenu ? Un monstre ? Une arme de guerre ? J'étais terrorisé en réalisant le danger que je représentais. Si j'avais été en ville, le premier mouvement brusque autour de moi m'aurait fait perpétrer un vrai massacre. Les mains dans les poches, j'errais un long moment dans la forêt pour me calmer, marchant comme un automate. Enfin je me rendis compte que je m'étais égaré, n'ayant pas du tout pris garde à mon itinéraire improvisé. Je levais la tête, et aperçu un panneau en taule signalant une réserve de chasse. Il avait déjà été criblé de plombs par des chasseurs irascibles, sans doute revenus bredouille. Je pointais un doigt sur lui, et me concentrais sur ce que je voulais faire : le détruire. Il vola à dix mètre de là, et lorsque je le retrouvais dans les hautes herbes, je pu constater qu'il était cabossé d'une manière impressionnante, avec un coin à demi arraché. J'avais appris quelque chose : ces phénomènes se produisaient sous le coup d'émotions, comme la colère avec la tasse, ou la peur avec le lièvre, mais aussi par un effort de volonté délibéré. Il fallait donc que j'apprenne à me contrôler.

Je choisis un gros arbre au tronc épais. Celui-là je ne risquais pas de l'abattre. Je me concentrais sur un point précis de l’écorce, tout en essayant de rester calme. Au bout de quelques secondes, une petite détonation retentit, et un trou apparu sur le tronc. Dix centimètres de large mais peu profond. Encouragé par ce résultat je continuais mes essais pendant plus d'une heure, gagnant en précision et domestiquant la force du phénomène. Rassuré, je repris le chemin de ma maison. Dorénavant, je saurai éviter les catastrophes. Pour autant je n'étais pas joyeux : ce don était une force potentielle mais aussi un fardeau. Il convenait de ne pas l'employer pour de mauvaises raisons. Que se passerait-il pour moi, si mon secret s'ébruitait ? Je n'avais aucune envie de devenir un cobaye de laboratoire, pas plus qu'un super soldat. Il fallait que je réfléchisse à tout ça. Ma vie venait de prendre un virage capital.

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