11 - Pas tellement comme un troll

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3e jour de la saison de la lune 2450

Une petite voix douce comme du velours, mais aussi imprégné d'inquiétude se joignit aux grognements quasi-muets de la grande troll à la peau dont la texture rappelait légèrement à du cuir. À présent, troll était un bien grand mot pour la décrire. Elle avait changé physiquement ainsi que mentalement et maintenant, elle était incertaine de ce qu'elle était : ni elfe, ni troll. Peut-être quelque chose entre les deux ? Qu'importe... Elle avait infiltré ce village et s'abreuverait sans permission de la réserve d'eau de quelqu'un, sûrement de cette fille. Elle allait encore se faire chasser; elle pouvait le prédire. C'était toujours ce qui arrivait lorsqu'on la voyait.

Que devait-elle faire ? Elle désirait se lier d'amitié avec un autre être dans ce monde solitaire, mais elle risquait la mort si elle demeurait où elle se trouvait. Non, elle était brave; elle ne connaissait pas la peur. C'était ainsi que sa tribu lui avait enseigner. Mais elle n'était plus complètement une troll et un tableau de nouveaux sentiments s'étaient installés dans son esprit. Elle n'y comprenait pas encore grand-chose, mais elle était certaine d'une chose : elle enviait les interactions sociales dont les autres êtres vivants jouissaient.

Elle choisit d'affronter sa peur comme son héritage troll le lui demandait. Elle fit volte-face, se laissa tomber à genoux et déposa son arc devant elle, dans la neige fraîchement tombée, pour démontrer qu'elle n'avait pas de mauvaise volonté. Elle prenait un immense risque; la vulnérabilité intentionnelle n'était pas quelque chose qui lui était familière. Elle pinça les lèvres, ses maintenant-petites défenses rendant le mouvement gênant.

Dans une gracieuseté et une délicatesse inhumaine, une elfe lunaire aux grands yeux turquoise et à la carrure frêle tourna le coin de la demeure. À la vue de Yejyn, elle figea, immobilisée par une frayeur évidente qui corrompit son joli visage angélique. Elle devait être une simple adolescente, bientôt prête à quitter le bercail pour aller faire sa propre vie. Ses lèvres au teint bleutée tressaillèrent, marquant une importante intensité d'émotions. Puis, une larme roula le long de sa joue et tomba au sol, creusant un trou dans la neige. C'était comme si elle voulait dire quelque chose, mais elle n'en était incapable.

Yejyn ne comprit pas cette réaction. Habituellement, autrui réagissait avec colère, avec cruauté, avec violence devant son horrible physique. Pas cette petite. Malgré que ce n'était toujours pas positif, c'était différent et cela donna un peu d'espoir à la troll.

Pour assurer que l'elfe sache bien qu'elle ne lui désirait aucun mal, elle poussa doucement son arc en sa direction et tenta de croiser son regard, mais elle ressentit un malaise et abandonna à mi-chemin, baissant les yeux sur la pureté de la neige.

- J-je suis Yejyn, balbutie-elle, très consciente de son apparence monstrueuse.

Aucune réponse.

Quelques instants plus tard, Yejyn osa lever la tête et devant elle, accroupie pour être à sa hauteur, se trouvait la petite elfe qui paraissait aussi attristée que concernée.

- Aylaëna, se présenta-t-elle dans un seul mot.

La colosse sentit son cœur se serrer et elle aussi fut victime de ses émotions. Elle était si joyeuse qu'on lui parle normalement, sans malice, qu'elle pleura doucement. Entre deux reniflements, elle insista à ce que cette Aylaëna lui fasse confiance et pour cela, elle sacrifia sa prudence en lui offrant directement son arc elfique.

- Prends-le, dit-elle en tentant d'adoucir sa voix du mieux qu'elle le pouvait. Je ne veux pas de douleur.

Cela devait avoir frappé une corde en son interlocutrice car celle-dernière accepta l'arme et lui offrit un sourire chaleureux et ce malgré la deuxième larme qui coula près de son petit nez délicat.

- Que fais-tu ici ? Tu risques de te faire chasser.

- Je sais, répondit Yejyn avec grimaçant de honte. J'avais soif... et... et... je suis un peu seule.

- Tu es... différente n'est-ce pas ? Je peux le voir malgré...

Elle hésita, détournant le regard pendant un bref moment puis, elle rattacha son attention sur la troll.

- Où es ta tribu ?

La gaillarde ne sentait pas assez forte pour exprimer son abandon. Ainsi, elle lui expliqua sans mot en secouant lentement la tête de gauche à droite.

- Oh... Hé bien, tu dois avoir froid. Tristement, je crains ne pas pouvoir te montrer à ma famille. Je ne pourrais prédire leur réaction...

- Je comprends, dit-elle en acquiesçant. Tes paroles sont assez pour me réchauffées.

Elle n'osait pas lui expliquer que sa peau qui était plus endurante que celle d'un homme ou d'un elfe n'était pas affecter par le froid aussi facilement. Certes, elle n'était pas confortable, mais elle ne gelait pas non plus.

- Tu es galante pour une troll, remarqua Aylaëna avec un petit sourire. C'est ce que tu es, pas vrai ?

Galante ? Yejyn ne comprenait pas ce terme, mais elle n'osa pas le mentionner de peur d'en demander trop.

- J-je crois, avoua-t-elle avec incertitude. Du moins... Peut-être que je ne le suis plus.

La jeune elfe lunaire passa un long moment à examiner sa nouvelle connaissance. Cette-dernière lui accorda tout le temps nécessaire. Elle s'avéra docile et appropriée, ne désirant pas provoquer une réaction de panique de la part d'Aylaëna. Elle avait ici une chance bien réelle à établir une connexion avec quelqu'un et cela la submergeait de bonheur. Il ne fallait pas qu'elle la repousse.

Enfin, l'adolescente lui remit son arc puis elle lui agrippa la main, le tout dans des mouvements lents et incertains. Elle l'aida à se lever puis, elle réalisa à quel point sa nouvelle connaissance était grande ; une véritable colosse. Certes, elle n'allait qu'au torse des autres trolls, mais elle dépassait la petite elfe d'au moins deux têtes. Elle était magnifique, pas de la façon traditionnelle, mais sous un aspect plutôt sauvage et puissant. Lorsqu'Aylaëna l'observait, elle voyait un être dangereux, mais aussi qui se portait de façon presque enfantine comme si elle venait tout juste de naitre. Elle devait s'avouée intriguée. Était-ce un instinct maternel qui la poussait à réagir ainsi ? C'était ironique vue le physique intimidant de la personne avec une âme semblant nouveau-née.

De son côté, Yejyn se laissa entraînée par l'elfe jusqu'à ce qu'elles aboutissent à un petit chalet en bois rond près du lac, à environs une demi-heure de marche du village.

- Entre, l'invita Aylaëna d'une voix chaleureuse. Ce n'est que modeste, mais ma famille ne s'y rendent jamais sauf en été. Tu pourras avoir un peu de sérénité ici et un abri contre le froid. La température devient mordante, particulièrement durant la saison de la lune et du sapin.

La gaillarde se pencha pour passer au travers du seuil de l'entrée et referma la porte avec hésitation comme si elle n'était pas certaine de ce qu'elle faisait.

- C'est cela, confirma Aylaëna qui l'observait avec un petit sourire. Pour l'ouvrir, agrippe la poignée avec douceur et tourne.

La chasseresse acquiesça et s'avança, observant ses alentours avec émerveillement. En effet, la demeure n'était que modeste – la voûte rien qu'à quelques centimètres de sa tête -, mais elle était accueillante. Elle était équipée d'une chambre moyennement grande à l'étage qui n'était entourée que de deux murs, menaçant d'une ouverture béante où était les escaliers, d'un salon dans lequel reposait une cheminée dans laquelle on pouvait brûler du bois, une cuisinette et d'une salle de bain dans laquelle se trouvait un bain, chose que Yejyn n'avait jamais vue de sa vie.

- Tu peux y mettre de l'eau et te laver, expliqua l'adolescente à la vue de la confusion qui dominait le visage de la troll. C'est un peu énervant d'y transporté l'eau, mais c'est mieux que rien. Avec l'aide de la magie, c'est faisable avec aise.

- Vous... Vous pratiquez la magie ? demanda Yejyn avec malaise.

Elle avait appris très jeune de la culture trolle de ne jamais faire confiance à ceux qui pratiquent la magie, que c'était démoniaque, surnaturel et contre-nature.

- La plupart de ma famille oui, avoua la petite elfe, ses joues rougissantes.

- Toi aussi ? questionna la troll avec légèrement inquiétude.

- Je compte partir à une académie de mage reconnue l'automne prochain. Mes parents me disent un prodige et que j'ai trop de potentiel pour ne pas y aller. Le vrai prodige c'était mon grand-père.

À la mention de ce dernier, son humeur s'assombrit et elle parut concernée. Yejyn ne put s'empêcher de se questionner à ce sujet. Elle avait des souvenirs vagues du jour où elle s'était éveillée et une voix féminine qui s'écriait Grand-père ! la dérangeait. Combien de ces grands-pères existaient-il ? Seulement un ? Plusieurs ? Était-ce elle la petite elfe de ce malheureux jour ? De toute manière, Yejyn était profondément perturbée par ses anciennes habitudes. Elle n'avait pas osé tuer un elfe depuis son éveil; elle ne trouvait pas ça moralement correcte.

- Grand-père mort ?

- Il a été dévoré par un troll des montagnes, révéla Aylaëna. Ils ne viennent jamais jusqu'à ce village normalement. C'était étrange; inhabituel. De plus, il y avait des habitations avant la nôtre. Pourquoi ne sont-ils pas arrêtés là ?

La gaillarde sentit son cœur se serrer. La situation décrite ressemblait fortement à ses souvenirs. Est-ce qu'Aylaëna réalisait qui elle était ?

- Je suis désolée, murmura-t-elle en entrecroisant ses six doigts, mal à l'aise.

- Ce n'est pas ta faute, répliqua l'elfe qui baissa le regard, ses longues mèches dorées dissimulant son visage.

La troll craignait le résultat, mais elle devait découvrir la vérité de ce jour. Il était grandement possible que ce soit cette jeune elfe qui avait été la victime de son carnage. Elle avait été la seule à la traiter comme une personne et elle lui en devait autant. Si c'était bien eux, elle savait qu'ils étaient mages. Serait-ce possible que le grand-père lui ais jeter un sortilège ? Mais pourquoi ? Pourquoi ne pas tout simplement la tuer si c'était le cas ? De plus, elle n'avait pas ressenti la présence de magie dans l'air.

Elle devait demander à Aylaëna.

- Est-ce que grand-père se défendre ?

- S'était défendu, corrigea l'adolescente en gloussant. Non. Il était très pacifique; il n'utilisait pas ses pouvoirs de façons offensives. Il ne disait souvent que toutes les créatures de ce monde sont notre égale, qu'elles ont tous leur raison d'agir et qu'il ne faut pas leur en vouloir.

La troll écoutait avec attention, intéressée à tout ce qu'Aylaëna lui racontait à propos de son proche. Elle ne la connaissait que depuis peu, mais elle l'appréciait déjà grandement. Elle s'assit au sol, son visage pratiquement au même niveau que le sien.

À ce geste, la jeune mage émit un petit rire jovial. Elle semblait amusée par quelque chose.

- Il avait bien raison dans ce cas. Il ne faut jamais juger à première vue.

- Eh ? dit la colosse, confuse par cette conclusion.

- Rien du tout. Enfin bref... En sa mémoire, j'ai décidé de prendre cette chance avec toi. Je suis contente que j'ai fait ce saut.

Yejyn sourit. Enfin, du mieux possible. C'était toujours aussi inconfortable avec ses défenses.

- Moi aussi. Mais... Continue... Je veux en savoir plus à propos de grand-père ?

- De mon grand-père, corrigea Aylaëna à nouveau. Nous avons tous chacun un grand-père. C'est essentiellement un titre qui signifie le père de ton parent. Tu as donc deux grands-pères et deux grand-mères.

- Mmmm les trolls n'utilisent pas ces titres. Mais... Je crois comprendre.

- Enfin bref... Mon grand-père faisait des recherches complexes et dangereuses. Il me répétait toujours de ne jamais toucher à rien. Il y avait des flacons de liquides aux couleurs éclatantes, souvent différentes. Je ne comprenais pas ce que c'était, mais ma mère me l'a enfin expliqué après sa mort...

Elle racontait l'histoire de son grand-père avec passion, avec entrain jusqu'à ce passage. Elle s'était arrêtée, semblant en conflit avec elle-même.

- Tu crois que c'est moi ? lâcha la chasseresse avec innocence, ne désirant aucunement blesser qui que ce soit.

- C'est possible... Vois-tu... Il étudiait les propriétés du sang draconique. Et ce jour-là, il y avait une troll qui avait bu un flacon de sang de dragon bleu avant de le dévorer.

- Qu'est-ce que cela aurait causer ?

- Augmentation drastique d'intelligence. Pour un troll dont l'intellect est minimal, cela l'aurait probablement amené à un niveau moyen, soit normal pour un humain ou un elfe. Il y a parfois des effets secondaires tels que des changements physiques, sûrement pour rapprocher le changement mental du physique. Mais à tout coup, la couleur du sang varie toujours, le bleu se mélangeant avec l'original, devenant une partie intégrale de l'être.

Tout ce qu'elle réclamait faisait du bon sens avec ce qui était arrivé à Yejyn. Il n'y avait aucun doute; c'était bien elle. De plus, lorsqu'elle fut blessée par son congénère troll, le sang déversé était violet, un mélange de rouge et de bleu. Elle grimaça, mécontente de ses actions.

- M-mon sang...

Elle n'eut pas le courage de terminé sa phrase. Au lieu, elle se mordit légèrement le bout du pouce, provoquant un petit cri aigue de la part de l'elfe, et de la plaie dégoulina une goutte de teinte améthyste.

- Je n'ais pas voulu... Je te l'assure... Je n'étais encore qu'une simple bête...

Malgré son bon cœur, Aylaëna ne put s'empêcher de verser des larmes. Après tout, elle n'était pas parfaite et c'était normale. Yejyn lui avait arrachée un être qui lui était chère et malgré qu'elle n'eût jamais éprouvée cette douleur, elle réussissait à sympathiser.

- Cela n'arrivera plus, promit la gaillarde J'ai appris... Je ressens à présent...

- Je sais, répliqua Aylaëna dans un mélange de sérénité et d'amertume. Je comprends ta situation. C'est exactement ce que grand-père cherchait à démontrer. Pourquoi exactement ? Je n'en suis pas certaine.

- Je m'en veux. Étant seule, je comprends ce que c'est d'être isolé et je ne te souhaite pas cela.

- Tu es coincée entre les trolls et les elfes, devina la mage. Une monstruosité à leurs yeux.

- Dans un sens, je suppose que c'est un peu cela ma punition pour avoir commis les atrocités de mon passé.

- Mais tu n'avais pas l'esprit assez affinée pour comprendre tes actions.

- Ce côté de moi existe toujours, mais il est facile à réprimer maintenant.

- Merci pour ta franchise.

- Merci pour ton ouverture d'esprit et ta bonté.

Soudainement, Aylaëna approcha, affleura son épaisse chevelure emmêlée et la fixa directement dans les yeux. Yejyn demeura immobile avec une expression neutre mis à part ses yeux écarquillés, incapable de trouver le courage de réagir. Elle était trop apeurée et confuse pour quoi que ce soit.

- Ne laisse pas ma famille te trouver, avertit l'elfe.

Sur ce, elle quitta le chalet, sans plus, sans lui donner d'indication, sans lui dire si elles allaient se revoir ou non. C'était probablement trop difficile pour elle et Yejyn comprenait.

Des heures passèrent et la troll prit le temps d'explorer sa demeure temporaire. Elle trouva un grand miroir dans laquelle elle pouvait observer la plupart de sa réflexion. Elle étudia longuement son physique, incapable de se décider sur quoi que ce soit. Elle se repoussait et elle s'appréciait simultanément. Elle était véritablement quelque chose d'unique en ce monde et elle craignait de passer sa vie dans une solitude étouffante. Ce besoin pour de la compagnie la pognait au cœur. Elle s'en aurait bien passé, mais elle était ainsi.

Elle réussit à comprendre le fonctionnement de la cheminée, mais elle ne jugea pas en avoir besoin. Sa peau était épaisse et sa cape à fourrure était assez pour la garder à une température acceptable. Elle n'avait pas chaud ni froid.

En pleine nuit, elle sortit de sa cachette comme les autres prédateurs nocturnes. Elle traversa maintes forêts, clarières et rivières à la recherche de nourriture. Enfin, elle dénicha un petit ours qu'elle abattit en luttant sans arme. Elle aurait pu utiliser son arc, mais elle désirait se défouler. Elle avait appris au cours de sa courte vie en tant qu'être intelligent qu'il était préférable de laisser ses côtés sombres rôder de temps en temps pour les apaiser. De plus, la fourrure de cet animal était excellente pour en faire une couverture.

De retour au chalet, elle trouva une hache avec laquelle elle brisa la glace du lac. L'eau était trop froide, mais elle devait se désaltérer un peu. Ensuite, elle monta à l'étage, se roula en boule sur le lit avec sa nouvelle couverture et fut bénit d'un sommeil profond dans un confort absolu.

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