5. 

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La visite de la ville a été une effroyable torture. Ce n'est ni la chaleur et le soleil qui tapaient trop fort sur la tête, ni les beaux monuments historiques et les petites ruelles dans la vieille-ville qui m’oppressaient. C'est encore moins la randonnée du matin le long des falaises qui surplombent l'océan et la fatigue d'une journée bien remplie. Non, les responsables de mon calvaire portent le nom de Camille et Manon.

Lorsqu'elles n'étaient pas essoufflées à cause de la marche, ou en adoration devant tel ou tel paysage, elles s'étaient ruées sur moi comme des abeilles sur un pot de miel. Elles avaient décrété qu'elles me prépareraient pour le « date de l'année » et elles s'étaient mises en tête de me donner mille et un conseil sur ce que je devais ou ne devais pas faire, dire ou penser.

— Mais Jules, on parle de Marcus ! s'est écriée Manon quand je leur avais demandé d'arrêter. Tu sais, le beau gosse de la plage, tablettes de chocolat, bras aussi gros que mes cuisses et pectoraux en acier ?

— Manon ! Je m'en moque de ça et Marcus n'est pas que ça. Il est aussi gentil, drôle et rassurant.

La vérité est que, dans mes rêves, ses pectoraux sont tout mous. Manon m'a jeté un regard en coin.

— Tu vois que tu en pinces pour lui.

— Mais n'importe quoi ! protesté-je. C'est juste la vérité et vous ne pouvez pas le nier.

— Bon d'accord, je l'avoue. Mais alors, explique-moi pourquoi il voudrait te voir juste toi et il a même proposé une journée entière.

J'ai hésité une seconde et Manon s'est ruée sur l'occasion.

— Je te l'avais dit ! Toi aussi tu penses que c'est un date ! Il faut à tout prix que tout se passe bien, Jules, c'est une question de vie ou de mort !

J'ai supplié silencieusement Camille de venir en aide mais la traîtresse n'a fait que me renvoyer un grand sourire, me laissant seul avec une Manon enragée. Elle a même fini par rejoindre son camp à la pause déjeuner. Autant dire que j'ai souffert une bonne partie de la journée.

Malgré cela, notre découverte du coin a été un vrai émerveillement ; pour des citadins qui ne sont pas sortis de leur ville de toute l'année, la faute aux études chronophages, se rendre à des centaines de kilomètres de chez eux et dans la nature, qui plus est, s'est révélé être une vrai bouffée d'air frais. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai dû prendre en photo mes amis et inversement. En couple, seul, à deux, trois, par des inconnus, devant des bâtiments, ma galerie en est saturée. Il faudra que je prenne le temps de trier tout ça mais pour l'heure, je suis bien trop faignant.

Nous retournons à notre appartement exténués mais heureux.

Alors que j'étais en train de flâner dans ma chambre, mon téléphone vibre. Je jette un coup d'œil aussi et mon cœur commence à battre plus fort en voyant le nom de Marcus s'afficher. C'est dingue à quel point mon corps tout entier ne peut s'empêcher de réagir dès que je pense à lui. Même avec les filles ce matin, mon estomac se tordait quand elles parlaient de lui.

Il me demande comment s'est passée la journée et je lui raconte succinctement. La réponse ne se fait pas attendre et je souris devant son message : il me demande si on peut se voir demain. Il ne perd pas son temps et si je ne le connaissais pas un minimum, je penserais qu'il n'a qu'une idée en tête. Mais ce n'est pas son genre, du moins je l'espère.

Il semble avoir tout prévu car, dès que je lui dis que je suis libre toute la journée, il me propose de nous retrouver demain matin sur la promenade le long de la plage, non loin du bar dans lequel nous sommes allés le premier soir que nous nous sommes rencontrés. J'accepte, le sourire aux lèvres et les doigts tremblants. Je ne sais pas à quoi m'attendre du tout et venant de sa part, je dois m'attendre à tout. Mais il y a une chose dont je suis sûr : je vais passer une très mauvaise nuit.

XXX

Mon cœur se met à battre plus fort lorsque je l'aperçois adossé à la rambarde qui surplombe la plage. Il ne m'a pas encore vu, son regard est fixé sur l'immensité de l'océan et il semble complètement dans son monde. Je ralentis pour pouvoir l'admirer encore un peu tant qu'il ne sait pas que je suis ici. Il porte un short qui dévoile ses jambes musclées et une chemise bouffante dont les pans se relèvent lorsque une bise le frôle. Il est beau, indéniablement. Je ne suis certainement pas le seul à m'en être aperçu, Manon et Camille l'ont confirmé depuis bien longtemps. Même lorsqu'il ne fait rien, il est empreint de ce charisme serein que j'ai rencontré peu de fois, comme si seules certaines personnes pouvaient le posséder. Et cela inspire une certaine admiration ou tout du moins une certaine reconnaissance. Je me questionne alors : est-ce spécifique à chacun ou une large partie de la population ressent la même chose que moi quand je croise son regard ?

Je ne me sens pas petit à ses côtés, bien au contraire. Lorsqu'il me regarde et qu'il m'adresse son sourire en coin, je deviens alors la personne la plus incroyable, comme s'il pouvait d'un simple regard me donner la confiance en moi que je n'ai jamais eu. Tout ce que je dis, tout ce que je fais est plus important que tout, comme s'il avait la capacité de rendre les personnes qui l'entourent confiantes. Il rayonne et il ne garde pas ça pour lui, égoïstement, non, il le fait partager aux autres. Et je pense que c'est ce qui m'a séduit dès que ses yeux se sont posés sur moi, lorsqu'il est venu vers nous le premier jour.

Je rassemble mon courage et marche droit vers lui, appréhendant l'instant où il sentira ma présence. Je suis incapable de me souvenir de tous les conseils que mes amies m'ont prescrits. Mais je sais que je ne me ridiculiserai pas car il ne me le permettra pas.

— Qu'admires-tu ?

Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai la conviction qu'il savait déjà que j'étais là, peut-être savait-il même que je l'observais. Les salutations ne sont donc plus de rigueur. Marcus garde le visage tourné vers l'horizon.

— L'océan. J'ai toujours adoré me perdre dans ses eaux, depuis tout petit. Il me fascine et me terrifie en même temps. C'est une véritable force de la nature et nous, nous ne pesons rien dans la balance. Il pourrait ne faire qu'une bouchée de nous, s'il le voulait.

Je hoche la tête.

— Il nous rappelle où est notre place sur Terre.

Un sourire flotte sur ses lèvres et il détourne enfin la tête pour me regarder. Aussitôt que je croise ses yeux gris, je me sens emprisonné, comme si j'avais scellé mon destin à ses deux perles d'acier. Mais les barreaux de ma prison sont en soie.

— Je suis heureux que tu sois venu.

La sincérité de sa voix est perceptible et je dissimule mon trouble derrière l'humour :

— C'est malpoli de poser un lapin.

Il entre dans mon jeu comme si c'était ce qui convenait naturellement de faire.

— Tu as pensé à le faire ?

Je prends le temps de répondre.

— Disons que l'idée m'a traversé l'esprit mais je ne peux pas m'en résoudre ça, ce serait aller à l'encontre de ce que je voulais.

Son sourire s'élargit, signe qu'il a saisi le sous-entendu.

— Suis-moi, je veux te montrer quelque chose.

— Où ? réponds-je, tout en lui emboîtant le pas.

J'ai cessé de me préoccuper de ses changements brusques de conversation. J'ai compris que son cerveau tourne toujours à mille à l'heure et qu'il ne peut pas rester sur place à ne rien faire. Il doit sans cesse bouger ou dire quelque chose.

Il se retourne, un sourire énigmatique aux lèvres.

— Je suis sûr que vous avez suivi les itinéraires recommandés à tous les touristes hier lors de votre visite de la ville.

Je hoche la tête, ne comprenant pas où il voulait en venir.

— Les guides n'y connaissent rien. Laisse-moi te montrer quelque chose que tu n'oublieras pas. J'espère que tu es prêt à marcher encore un peu.

— Je me suis bien entraîné hier ! réponds-je en bombant le torse.

Un petit rire le secoue et mon cœur se gonfle de bonheur. J'accélère le pas pour me mettre à sa hauteur, ses yeux brillent d'une lueur de malice.

Nous longeons la plage avant de quitter la ville pour nous enfoncer à travers la forêt de pins. Je lève la tête pour observer la cime des arbres ; j'ai toujours aimé me perdre parmi ces grands pins qui offrent un spectacle différent de nos forêts. Ici, tout semble différent, comme si j'entrais dans un nouveau monde. Je me rappelle lorsque je partais en vacances avec ma famille, nous pique-niquions à l'orée des bois et je grimaçais lorsqu'une épine s’infiltrait dans mes chaussures et me piquait le pied. Malgré tout, j'aimé partir à l'aventure pour découvrir tous les secrets que ces arbustes centenaires gardaient au creux de leurs racines.

— Viens, nous ne sommes plus très loin, murmure Marcus

Je n'avais pas fait attention qu'il était resté près de moi. Je remarque pour la première fois les taches de rousseur qui parsèment son nez et lui donnent un air enfantin malgré sa musculature. C'est peut-être ça que j'aime chez lui, ce décalage entre ce qu'il paraît être et ce qu'il est vraiment. Soudain, je sens ses doigts sur mon poignet et ce simple contact m'électrise. Il me guide à travers les arbres sans lâcher mon poignet emprisonné dans sa main. Je me rends compte bien plus tard que nos doigts ont fini par s'entrelacer, comme s'ils s'étaient cherché pendant tout ce temps et qu'ils ne voulaient plus se quitter. Etrangement, je me sens apaisé, je suis à ma place, suivant Marcus qui m'entraîne à travers la forêt d'épines et de pommes de pin.

Les troncs finissent par s'espacer, signe que nous quittons les bois. L'herbe réapparaît sous mes pieds, délivrée de son étouffante couverture marron et l'air chargé d'effluves iodées. Je comprends que nous ne sommes pas si loin de l'océan.

— On y presque, souffle Marcus.

Nous avançons encore un peu avant et je réalise que nous sommes sur le versant d'une petite falaise qui borde l'océan. Je peux apercevoir l'océan à l'horizon et le bruit des vagues qui s'écrasent contre les parois rocheuses sous mes pieds retentit. Soudain excité, je lâche la main de Marcus et court jusqu'au précipice. En prenant garde où je mets les pieds, je m'approche doucement et me penche juste assez pour voir en dessous de moi. J'ai toujours aimé cette sensation de vertige qui broie mon cœur dans un étau et j'adore regarder dans le vide, au grand dam de ma mère qui a étouffé plus d'une fois des hoquets de frayeur. Le vide exerce sur moi une fascination un peu morbide, je l'admets, mais j'ai simplement cette volonté de rechercher des sensations.

— Jules, reviens un peu s'il te plaît. On peut descendre plus bas si tu veux, il y a un petit chemin par là-bas, me rappelle Marcus.

— Tu as peur que je saute ? dis-je en souriant.

— Ne dis pas de bêtises.

Mais sa voix est hésitante et même si c'est ridicule, je suis touché. Je recule quand même et le rejoins. Nous dévalons le petit sentier et arrivons jusqu'à une sorte de cuvette creusée à flanc de montagne, juste assez grande pour accueillir deux personnes. Je m'assois au bord, les pieds dans le vide et après un instant, Marcus me rejoint.

— Si je glisse, tu me retiens.

J'étouffe un petit rire.

— Comme si je pouvais le faire. Tu m'emmènerais avec toi.

— Que c'est gentil de vouloir m'accompagner dans ma mort !

Je lui donne un petit coup dans l'épaule. Là où nous sommes, le vent souffle plus fort, faisant parfois s'envoler les mèches de Marcus.

— J'aime bien venir ici, quand j'ai besoin de réfléchir. Regarder l'océan m'apaise et être entouré de la nature me permet de faire le vide en moi.

— Tu es venu ici récemment ? demandé-je.

Il me jette un coup d'œil et ses jambes se balancent doucement.

— Oui, hier.

— Oh...

Je voudrais ajouter quelque chose mais rien d'assez intelligent pour répondre à ça me parvient en tête.

— J'ai décidé de t'emmener ici quand j'étais assis juste là, reprend-il en me montrant du doigt le flanc de la falaise derrière nous.

Je comprends à son intonation que très peu de personnes ont eu la chance d'être à ses côtés lorsqu'il était perché dans ce lieu, à plusieurs mètres de hauteur. Peut-être même que personne sauf lui n'a frôler ce sol depuis des années: le coin est bien caché et nul ne s'aventurait seul jusqu'à cette petite cachette. Je décide de lui poser la question qui me brûle les lèvres depuis que nous sommes arrivés :

— Pourquoi moi ?

J'ai parlé le regard rivé sur l'horizon, de peur de sa réaction devant ma question idiote. Mais lorsque je tourne la tête, alerté par ce soudain silence, ses yeux posés sur moi brillent d'un éclat que je n'avais jamais vu. Ils sont emprunts de nostalgie et je décèle même une lueur de... désir ?

Je prends soudain conscience de la proximité de nos corps, de nos cuisses qui se touchent et de la chaleur qui se diffuse à travers ce simple contact.

Mes yeux glissent sur ses lèvres, pleines et rosées et j'ai une folle envie de goûter à leur saveur. Le rouge me monte aux joues et je relève les yeux, coupable de ressentir ce sentiment, pour mieux être englouti par le gris de ses prunelles. Son visage s'est rapproché imperceptiblement du mien, ou alors est-ce moi qui m'approche de lui, incapable de lutter contre son regard hypnotisant, pour qu'il me happe entièrement. Les battements de mon cœur bourdonnent à mes oreilles, étouffant le son des vagues et me coupant du monde. Seul compte Marcus et l'attrait terrifiant qu'il exerce sur moi.

— Je peux t'embrasser ? murmure Marcus.

Sa voix délicieusement rauque résonne en moi tandis que son souffle chaud glisse sur mon menton. Incapable d'émettre le moindre son ou le plus petit geste, je le supplie du regard de le faire pour mettre un terme au feu que sa présence suffit à allumer dans mon corps.

Mais lorsqu'il vient effleurer mes lèvres des siennes, les cendres se transforment en brasier qui me consume tout entier. Marcus exerce une simple pression et ce qui était tout d'abord une simple caresse devient un baiser fiévreux. Il attrape ma lèvre entre ses dents et la mordille avant de venir lécher du bout de la langue le coin de mes lèvres. Je chancèle et m'accroche à ses épaules pour ne pas tomber dans le vide. Interprétant ça comme une invitation, ce qui est entièrement cela, il pose sa main sur ma joue et plaque l'autre sur mes hanches. Sa langue force le barrage de mes lèvres explore les moindres recoins de ma bouche avant de venir chatouiller la mienne. Je m’enivre de son goût, et ma tête se met à tourner.

Comme s'il avait compris mon besoin muet, il rompt le contact et me laisse reprendre mon souffle. Son regard glisse sur moi et mes joues deviennent honteusement cramoisies alors qu'un sourire gourmand se dessine sur ses lèvres.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Et ma voix ressemble plus à un couinement peu viril plutôt qu'à celle ferme d'un homme qui maîtrise ses émotions.

— Tu es beau quand tu rougis.

En cet instant précis, je dois être le plus heureux des hommes.

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