1.

10 minutes de lecture

Le sable s'incruste entre mes orteils et sous la plante de mes pieds, pourtant protégée par mes sandales, me brûle et m'oblige à marcher en canard, les jambes et les bras écartés.

— Regardez, Jules, se moque mon amie Camille en me montrant du doigt.

Ma bande d'amis éclate de rire. Je les assassine du regard.

— Rigolez, avec vos idées d'aller à plage si tôt dans l'après-midi...

— Oh ça va, détends-toi, on n'est pas partis en vacances pour rester enfermés dans l'appart, me rabroue Claude en me donnant une tape dans le dos. Vois le bon côté des choses : tu vas pouvoir te rincer les yeux.

Sur ce, il bombe le torse et contracte ses abdominaux dans un clin d'œil aguicheur. Je lève les yeux au ciel : certes, il a un beau physique et je fais pâle figure à côté de lui mais ça s'arrête là.

Nous continuons d'avancer, jusqu'à ce que Manon décide qu'on est passé près du bord de l'eau, assez loin des autres occupants de la plage mais pas trop parce qu'elle aime la présence des gens et ne veut pas être à l'écart.

Je dépose ma serviette entre celle de Julie et Manon et la cale tant bien que mal avec du sable sur chaque coin. Ma place est purement stratégique : à coup sûr, Antoine et Claude vont se comporter comme des gamins toute l'après-midi mais ils ne pourront pas venir m'ennuyer. Le premier n'oserait pas énerver sa copine et le second n'agira pas seul. Ainsi, je suis quasiment en sécurité, au moins tant que les filles sont avec moi.

— Allez, tout le monde à l'eau, crie Claude en frappant dans ses mains.

— Tu permets déjà qu'on mette de la crème solaire ?

Camille sort un tube de son sac et le secoue.

— Ces femmes... soupire Antoine.

— C'est ton problème si tu veux être tout ridé à cinquante ans alors que moi j'aurai une peau de bébé. Je te préviens, je ne resterai pas avec toi.

— Ne t'inquiète pas Antoine, je prendrai soin d'elle, lancé-je en souriant. Tu m'en mets dans le dos, ma poule ?

Je me tourne et je croise le regard de mon ami. Je me mords ostensiblement la lèvre lorsque la main de sa copine étale la crème sur mon dos. Camille et moi étions amis depuis le début de la fac et nous nous amusions à faire croire que nous étions en couple. L'arrivée d'Antoine n'a rien changé, bien au contraire : je prends un malin plaisir à la traiter comme mon épouse tout en le faisant passer pour son amant que je tolère.

— Pfff.

Mais un sourire se dessine sur ses lèvres. Il sait que Camille est folle de lui ; avec sa barbe châtain et ses cheveux longs blonds foncés, il était sûr de la séduire. Ça a été le coup de foudre dès qu'ils se sont rencontrés.

— Allez vous amuser si vous voulez, nous on va bronzer un peu avant, déclare Manon en les chassant de la main.

— Viens, Antoine, laissons-les entre copines.

— T'as dit quoi, Claude ?

— Rien du tout, Jules, me répond-il avec un visage d'ange.

Je hoche la tête. Malgré les apparences, j'ai un tempérament fort et Claude sait que je n’hésiterai pas à le remettre à sa place. Ce n'est pas qu'il me craint spécialement, mais je peux me montrer acerbe, quelques fois. Il en a déjà fait les frais mais contrairement à ce qu'on peut penser, c'est ce qui nous a rapproché. Depuis qu'il a compris les limites, nous nous taquinons gentiment.

Nous regardons les gars se jeter à l'eau et s’asperger mutuellement, éclaboussant au passage une vieille dame qui grimace. Ça va, ce n'était que les jambes, elle ne va pas en faire un drame, la mémé.

— Bon, Jules, c'est le moment de faire un repérage. Quoi que ce soit de beau à regarder ?

— Pas dans un rayon de dix mètres, en tout cas, lancé-je, l'air de rien.

Les filles me regardent et se mettent à rire.

— Tu n'as pas perdu de temps !

— Je n'y peux rien si j'analyse toujours ce qui m'entoure en premier, me défends-je, faussement outré.

Camille pose ses lunettes de soleil sur le bout de son nez et, pour l'imiter, Manon et moi sortons les nôtres. Puis, je m'allonge sur le dos.

— Au fait, Camille, tu as parlé à Antoine de ce que je t'avais dit ?

Je la sens s'agiter à côté de moi.

— Oui.

— Et ? demande Manon.

— Et il m'a dit qu'on pourrait essayer de s'attacher les mains ou de se bander les yeux, par exemple.

Je me redresse fièrement.

— Je le savais ! Je te l'avais bien dit, j'ai le pif pour ce genre de choses, dis-je en me tapotant le nez.

— C'est vrai c'est vrai.

— Et sinon, à part ça, tout se passe bien ?

— Oui, oui, tout va bien.

— Eh bien, raconte-nous ! insiste Manon. Tu ne dis jamais rien.

— Il n'y a rien à dire de plus, vraiment.

Manon et moi nous regardons et décidons de laisser tomber. Camille est secrète sur son couple et je me rends compte aujourd'hui qu'elle a raison. J'aurais dû faire ça égalementl lorsque j'en avais encore l'occasion.

Nous profitons du soleil, allongés sur le dos. Le bruit des vagues est camouflé par celui des gamins non loin qui essayent de construire un château de sable et par le couple qui discute à côté.

— Les filles ! Jules ! Veneeeez.

Ça, ce n'est clairement pas la voix de gamins, même si elle monte dans les aigus. Je m'appuie sur mon coude et cherche du regard qui m'appelle, quand je vois deux lourdauds au bord de l'eau nous faire des grands gestes.

— Ils nous foutent la honte jusqu'ici, eux, marmonné-je.

— Allons les rejoindre sinon ils vont s’époumoner encore plus et alerter tout le quartier, propose Camille.

Nous abdiquons. Nous essayons tant bien que mal de rentrer dans l'eau lentement car elle est encore fraîche même à cette saison. Mais pressés par les gerbes d'eau qu'Antoine et Claude projettent sur nous, nous sommes obligés de nous mouiller entièrement si on ne veut pas mourir de froid.

Nous barbotons tous ensemble mais les esprits s'échauffent vite. Nous créons une alliance pour couler Claude qui veut à tout prix nous faire boire la tasse malgré les cris désespérés des filles qui hurlent de ne pas leur mouiller les cheveux. J'avoue prendre un malin plaisir à le faire également mais elles ne peuvent pas se retourner contre moi, l'amour qu'elles me portent est trop grand.

Finalement, après quatre assauts sur Claude réussis, trois pour Antoine et un pour moi, nous ressortons transis de froid nous jeter sur nos serviettes pour que le soleil nous sèche et nous réchauffe de ses puissants rayons.

Allongé sur le ventre, la tête à moitié écrasée sur le sol, je me laisse aller et sombre dans mes pensées, goûtant à la quiétude et à la chaleur bienfaisante du soleil sur mon dos. Bercé par les bruits alentours, je sens que je me glisse dans un état de torpeur, ce moment où l'esprit flotte entre deux mondes, quand mon prénom retentit à mes oreilles.

— Jules, regarde là-bas ! chuchote Manon.

— Hmm ? grogné-je, en relevant la tête.

— Regarde.

— Où ?

— Mais là, idiot !

Elle montre du menton le bout de la plage et je baisse mes lunettes de soleil sur mon nez pour mieux voir.

Un groupe de jeunes approchent, chargés de serviettes, parasols et grosses valises. Ils posent leurs affaires non loin devant nous et commencent à rester leurs vêtements. Mon regard est immédiatement attiré par le plus grand des deux hommes : il enlève son marcel gris et dévoile un torse dessiné en plus de ses biceps déjà visibles. Il reste en short de bain rouge et enfile sur sa tête une casquette marron dont il place la visière en arrière, camouflant ainsi sa chevelure mi-longue bouclée aux mèches blond foncé.

— Putain, pas mal du tout, marmonne Manon qui, visiblement, regarde la même chose que moi.

— Complètement d'accord.

— Je confirme, s'élève une seconde voix féminine.

Nous sursautons et tournons la tête vers une Camille qui nous adresse un sourire de sainte.

— Bah quoi ?

Nous ricanons mais prenons soin de ne pas réveiller Antoine allongé à côté d'elle. Nous reportons notre attention sur le petit groupe et les épions aussi discrètement que trois commères puissent le faire. Ils déballent de leurs affaires deux poteaux en plastique et un filet qu'ils montent. Ils vont certainement jouer au volley.

— Les gars, putain, j'ai croisé le regard de Casquette, s'écrie Manon, au bord de la crise d'asthme.

— Euuh... Je crois qu'il arrive, s'alarme Camille.

— C'est pas vrai ?

C'est bel et bien vrai. Monsieur Casquette brave la chaleur du sable et les rayons du soleil pour s'avancer vers nous en compagnie d'une de ses amies. Arrivé à notre hauteur, il nous sert un grand sourire :

— Salut les gars, vous profitez bien du soleil ?

— On essaye, répond Camille, la plus sociable d'entre nous.

Sans elle, Manon et moi ne saurions pas comment faire. À chaque fois que nous allons quelque part, nous comptons sur elle pour établir le lien.

— Vous êtes en vacances ?

Ses yeux gris se posent sur moi.

— Oui, acquiescé-je. Ça se voit tant que ça ?

Son sourire se transforme en une moue ironique.

— Vous êtes sur la plage en plein milieu d'après-midi au mois d'août et tu es aussi blanc que la neige, ce n'est pas difficile à comprendre.

Ses yeux glissent sur mon torse et je sens le rouge s'emparer de mes joues. Heureusement, Antoine détourne son attention :

— Je te signale que tes amis et toi êtes aussi sur cette plage.

— Il n'a pas tort, Marcus, ricane la brune à côté de lui.

Elle est aussi bronzée que lui. Ils doivent être du coin.

— C'est vrai, je vous l'accorde. Ça vous dirait de venir jouer avec nous ? On pourrait jouer qu'à quatre mais tous ensemble, la partie serait mieux.

Nous nous concertons tous les cinq du regard. Pourquoi pas ?

— D'accord ! accepte Camille. On peut emmener nos affaires près des vôtres ?

— Aucun souci !

Nous nous levons et faisons rapidement nos sacs avant de nous mettre en marche. La brune commence à faire la discussion aux filles et je suis mis à l'écart. Je suppose qu'il est plus simple de se lier d'amitié avec une femme lorsqu'on en est une aussi. Je ralentis le pas pour attendre Antoine et Claude sur ma droite lorsque Marcus débarque à ma gauche, me faisant presque sursauter.

— J'espère que je ne t'ai pas blessé quand j'ai dit que t'étais blanc. T'as fait une drôle de tête.

Nos épaules se touchent presque et je sens ses yeux posés sur moi. Je les croise un instant mais m'en détourne aussitôt, de peur qu'ils ne trahissent mon embarras.

— Pas du tout. J'ai bien conscience de la couleur de mon corps.

— Ne t'en fais pas, dans quelques jours, tu seras aussi bronzé que moi !

Il me gratifie d'un coup d'épaule et je souris poliment. J'ai toujours détesté le contact physique, et encore plus lorsque c'est un mec qui fait le double de moi. J'ai l'impression d'être misérable à côté.

Marcus se charge des présentations et apprend par la même occasion nos prénoms. La brune porte le nom de Claudia et je trouve qu'elle porte très bien son prénom avec son nez fin et ses yeux bleus. L'autre fille, Julia, s'avère être la sœur de Marcus mais la ressemblance est si grande que la précision est inutile : elle a les mêmes cheveux blond foncé et ses yeux sont aussi gris que son grand frère. Enfin, le garçon aux longs cheveux châtains se prénomme Adrien.

— On fait comment pour les équipes ? demande ce dernier, en faisant tournoyer le ballon sur son index.

Une pointe d'admiration monte en moien le voyant maîtriser parfaitement son petit tour de dextérité. 

— Nous contre vous, propose Camille.

— Oubliez-moi, je ne joue pas, intervient Claude, j'ai toujours été nul à ce jeu. Je fais l'arbitre.

— Alors, c'est parti.

Nous nous mettons en place, Antoine et Manon derrière et Camille avec moi devant. Claude tape dans ses mains pour donner le signal d'envoi et comme au ralenti, je vois Marcus lancer la balle en l'air et détendre son bras pour venir la frapper. C'est à ce moment que je comprends l'erreur que j'ai commise en me plaçant en première ligne. Je ne suis pas un sportif comme Camille.

Par la grâce d'une force supérieure – je ne vais pas invoquer Dieu maintenant – j'arrive à réceptionner la balle et à la renvoyer dans le camp adverse. Mais la chance s'arrête ici : Adrien s'élance, saute et frappe la balle qui file à une vitesse folle sur notre terrain. Elle touche le sol avant que Camille ne puisse réagir.

— But ! hurle Claude, comme si nous étions aveugles.

— Promis, on va y aller moins fort, nous nargue Marcus.

Il ne se départ pas de son sourire en coin qui lui crée cette petite fossette sur la joue droite. Il pose son regard d'acier sur moi :

— Tu l'attrapes Jules ?

Et avant que je ne puisse répondre, il se détend comme un ressort, la main levée. Son torse musclé se dévoile sous mes yeux: ses abdominaux dessinés, son pectoral qui se contracte. Le cri de Manon me ramène brusquement à la réalité, juste à temps pour que je frappe la balle en retour. Je n'arriverai jamais à me concentrer. Pourquoi diable a-t-il fallu qu'il se place en face de moi ?

Une demi-heure plus tard, Claude siffle la fin et le constat se fait : l'équipe qui joue à domicile a gagné le match à dix-neuf contre sept. Une défaite à plate couture que nous acceptons sans rechigner.

— Ne vous en faites pas, la prochaine fois, je suis sûr que vous gagnerez. Mais pour l'instant, la victoire laisse un goût délicieux sur nos langues, lance Marcus, victorieux.

Je l'assassine du regard avant de sourire à mon tour. Je n'ai jamais été mauvais joueur. Et surtout, ses paroles laissent planer un doute imperceptible sur la tournure que mes vacances vont prendre.

Il s'approche de moi et me tend une bière qu'il vient de décapsuler.

— Tiens, champion, tu t'es bien battu.

Je le remercie d'une petite moue timide et il me fait un clin d'œil.

— La prochaine partie, on se met ensemble.

Finalement je change d'avis : je vais adorer ces vacances.

Annotations

Vous aimez lire Alex’s_18 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0