Dans la cathédrale - 5

5 minutes de lecture

Il fut fait comme il en avait été décidé. Le lendemain, vêtu de sa cape brune qui ressemblait à mille autres semblables, Ophélie à son bras, Daniel quitta l’édifice comme n’importe quel citadin ayant rempli son devoir religieux. Ophélie avait mis un tissu autour de sa tête qui rabattait un peu sa chevelure fournie, et elle contrefaisait la bourgeoise à merveille. Ils repérèrent bien quelques soldats mais ils ne prêtèrent pas attention à eux parmi la foule qui se déversait hors de la cathédrale. Ophélie le conduisit jusqu’à une ruelle discrète où ils se dirent adieu.

– Nos chemins se séparent maintenant, chevalier. Mais écoute-moi, suis mon conseil. Je pressens que rien de bon ne peut t’arriver ici ; dès que tu auras trouvé ce que tu cherches, quitte Combelierre à l’instant.

– Je m’en souviendrai. Adieu, mon étrange salvatrice, je ne t’oublierai pas.

Ils s’étreignirent comme de vieux amis. Puis Ophélie s’échappa. Elle disparut si vite que son image laissa une impression sur la rétine comme un enchantement qui s’efface.

***

L’attitude du prêtre avait fait naître l’inquiétude en Ophélie, et à juste titre. Les soldats ne les repérèrent pas tout le temps qu’ils furent ensemble hors de la cathédrale, mais une paire d’yeux ne les quittaient pas. Il s’agissait d’un des gamins pour lequel le père Bastien tenait école et dont il s’était attaché les services en lui promettant quelque menue monnaie. Lorsqu’Ophélie et Daniel se séparèrent, le pas vif et discret du garçon s’attacha à ceux du chevalier. Il le suivit vers la rive nord de la Sourde, jusqu’aux abords du quartier des tanneurs, où se tenait une mauvaise auberge pour les voyageurs peu fortunés et en mesure de supporter les âcres relents provenant du nettoyage des peaux. Daniel y pénétra ; le gamin resta quelques instants pour vérifier qu’il n’en ressortirait pas aussitôt, puis satisfait, courut de nouveau vers la cathédrale pour rendre compte à l’archiprêtre.

Le père Bastien débattit longtemps avec sa conscience de ce qu’il convenait de faire. Il savait où se trouvait Daniel et souhaitait s’en débarrasser. C’était un rebelle, un bâtard et un sorcier, se répétait-il. Mais il savait aussi l’étendue de la haine de Victor. Daniel méritait-il le sort qu’il lui réservait ? Il pria longtemps, mais n’entendit que l’écho de ses pensées. Finalement, il enfila sa plus riche soutane et par-dessus une chape de velours, puis alla trouver le nouveau duc d’Autremont.

***

Victor exultait. Non seulement Daniel était enfin sorti de la cathédrale où il restait intouchable, mais il le menait, sans aucun doute, vers Amelina, sans que le prêtre, qui lui avait raconté l’histoire de la médaille, n’en eût aucune idée.

Il devait être prompt, pour ne pas laisser filer une telle chance. Mais sans qu’il osât bien se l’avouer, l’idée de confronter lui-même Daniel le terrifiait. Il se souvenait trop bien comment ce sorcier l’avait jeté à bas de cheval, gémissant comme un rat dans le noir, par la seule force de son regard.

Il réunit quelques-uns des hommes qui lui étaient les plus dévoués et leur ordonna d’arrêter Daniel, et tous ceux qui se trouveraient avec lui, à l’auberge du Lièvre errant. Allons, la potence n’avait peut-être pas été élevée pour rien. Il lui fallait, dès à présent, réfléchir à la manière la plus discrète de faire disparaître l’enfant.

***

Dans l’auberge, Daniel commanda une bière et s’assit dans un coin. Autour de lui tout était calme : il était encore tôt le matin et ni l’aubergiste ni les quelques convives ne lui prêtaient la moindre attention. Quand il eut terminé sa boisson, il se glissa vers l’escalier pour rejoindre l’étage. Parvenu à la porte que lui avait indiqué Lucie, il hésita, puis frappa. On lui ouvrit : il se retrouva face à une jeune femme qu’il ne reconnut point du tout, et à voir son expression il en allait de même pour elle. Ils ne s’étaient jamais vraiment vus qu’au travers d’une grille épaisse, et il fut pris de doute : s’il avait frappé à la mauvaise porte ? L’idée lui venant, il extirpa la médaille de Jehanne de dessous sa chemise. Le visage de la jeune femme aussitôt s’éclaira.

– C’est bien vous. Entrez vite.

Elle s’effaça pour le laisser entrer, et il eut un coup au cœur. Il s’attendait à voir l’enfant, mais pas à ce qu’elle ressemblât de manière si frappante à sa mère ; il croyait voir une version miniature de Jehanne, tant étaient semblables les yeux élargis d’écureuil, les cheveux châtains, et jusqu’à l’arc de ses sourcils. La petite fille était assise sur le sol poussiéreux, un chiffon noué – pour faire peut-être une poupée ou une figure – étroitement serré dans son poing. Elle le dévisageait de ses yeux immenses avec l’intensité commune aux enfants qui n’ont pas encore appris à détourner leur regard.

Une autre personne épiait avec attention la réaction de Daniel. Lucie n’était pas au château du temps des amours de Jehanne et Daniel, mais avait entendu bien des clabaudages à ce sujet, et elle espérait que la ressemblance de l’enfant d’avec sa mère éveillât un attachement chez le chevalier et le pousserait à la prendre sous son aile. Aussi ne les quittait-elle pas des yeux.

Daniel s’agenouilla devant l’enfant et dit :

– Amelina ?… Je m’appelle Daniel.

– Dan… Dan…

Amelina fit tous les efforts, mais la fin du mot était trop difficile. Elle prit un air boudeur qui fit sourire Daniel.

-« Dan’ » fera l’affaire.

Il détacha la médaille autour de son cou pour la remettre autour de celui d’Amelina. Aussitôt l’enfant s’éclaira et se mit à faire tourner le petit disque doré entre ses doigts comme l’avait fait Daniel, mais avec beaucoup plus de concentration. Les reflets du métal et le dessin gravé semblaient la fasciner.

– Elle a beaucoup pleuré quand je la lui ai retirée du cou, dit Lucie. Elle est contente à présent.

– C’est la sienne. Vous n’auriez pas dû la lui enlever.

Elle fut surprise par la dureté de son ton.

– Mais grâce à cette médaille vous êtes là à présent.

– C’est peut-être un tort. Je la mets encore plus en danger.

– Ce n’est pas vrai. Vous saurez la protéger mieux que je ne pourrais le faire.

– Vous vous trompez, répondit-il avec une amertume si profonde qu’elle en fut glacée. C’est un leurre de croire qu’on peut protéger qui que ce soit.

Elle fut prête à se mettre en colère, à en appeler à sa pitié, à rappeler les liens du sang qu’il partageait avec elle, à tout faire pour le persuader ; mais aussitôt il ajouta :

– Mais enfin, c’est une enfant, et elle a besoin d’adultes. Elle ne peut pas continuer à vivre ainsi. C’est une enfant noble, il faut la rendre aux siens.

Lucie attendit la suite, pleine d’espoir. Il hésita, puis il dit :

– Il lui reste des oncles dans sa demeure à Beljour. Nous pourrions la ramener là-bas.

Elle fut enchantée.

– Oui ! Je savais que vous trouveriez une solution. Partons demain.

– Demain…

Il se souvint du conseil d’Ophélie, mais demain ne lui parut pas trop tard.

– Cela me laissera le temps d’aller chercher de l’argent.

C’était peut-être beaucoup pousser sa chance, mais il espérait retrouver le chemin de l’usurier sans se faire remarquer.

– D’accord. Mais vous reviendrez n’est-ce pas ?

Il fut surpris de la soudaine crainte sur son visage.

– Bien sûr, je reviendrai.

– Promettez-le.

Il promit. Elle parut rassérénée, et il partit un peu perplexe mais classa sa réaction en lubie de femme craintive.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire MehdiEval ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0