Dans la cathédrale - 4

7 minutes de lecture

Aucune annonce ne fut faite quant au jour où le duc Vivian et sa mère furent inhumés ; pourtant l’information se répandit comme un feu de forêt, et il y eut foule ce jour-là dans la cathédrale pour voir descendre les corps dans leur caveau. Ils furent ensevelis dans un simple sarcophage sans ornement ; mais bien des années plus tard, de mystérieux donateurs devaient apparaître et la beauté d’Isabeau de Tourmaille et de son fils Vivian d’Autremont trouveraient leur image idéalisée dans des gisants de pierre déposés au-dessus.

Ce jour-là, à l’issue de la messe, une des communiantes se sépara de la foule qui sortait et se glissa jusqu’au prêtre qui s’apprêtait à rejoindre sa sacristie. Elle lui murmura quelques mots, la tête couverte et baissée ; puis elle se glissa dans l’un des confessionnaux. Le père Bastien fronça les sourcils, puis grimpa vers la tribune de l’orgue d’où Daniel avait suivi la cérémonie. En voyant le prêtre, celui-ci leva un sourcil d’étonnement. L’ecclésiastique l’avait jusque-là évité avec grand soin.

– Une personne veut te parler. Il paraît que c’est de la plus haute importance, et pour t’en convaincre elle m’a demandé de te transmettre ceci.

Le prêtre s’approcha à contrecœur en tendant le bras le plus possible pour lui donner l’objet. Il pendait au bout d’une chaîne, et Daniel le recueillit dans sa main. Il eut un coup au cœur : c’était une médaille, au dos de laquelle était gravé un épervier. Il connaissait parfaitement cet objet pour l’avoir toujours vu au cou de Jehanne.

– Elle t’attend dans le confessionnal le plus proche de l’autel, du côté nord. Mes paroissiaux sont partis. Ne tarde pas.

Le père se détourna d’un air pincé et le quitta. Daniel resta un moment abasourdi devant l’objet apparu comme un miracle entre ses mains. Ce pouvait être un piège, et sans la médaille la prudence l’aurait sans doute retenu.

Quand il fut certain que le dernier chantre avait quitté le chœur, il rejoignit le confessionnal indiqué, où il voyait en effet une ombre à travers les mailles. Il referma avec soin le panneau de bois sur lui et attendit que son interlocutrice parlât. Ce qu’elle fit, d’une voix si basse et si tendue qu’il devait tendre l’oreille à toute force. La grille entre eux l’empêchait de distinguer clairement sa figure.

– Daniel de Mourjevoic… c’est bien vous ?

– Oui.

– Mon nom est Lucie. Je suis la nourrice d’Amelina, la fille de sire Vivian. J’ai besoin de vous.

Le nom d’Amelina fut douloureux à Daniel, quoiqu’il n’eût jamais vu la petite fille. Guy de Mismille lui avait affirmé qu’elle était morte en même temps que sa mère. Mais Lucie enchaîna :

– Amelina n’était pas avec la duchesse sur le cheval quand elle a chuté. Sire Vivian et elle l’avait confiée à moi auparavant, et elle est encore avec moi.

La nouvelle était de taille. Daniel sentit l’espoir se lever en lui comme un soleil. Se pouvait-il que l’enfant des deux êtres qu’il avait aimés le plus soit encore en vie ?

– Ici à Combelierre ?

– Sire Victor ne penserait pas que nous soyons restées si près, ne croyez-vous pas ? Et il est plus facile de se dissimuler dans une grande ville…

Daniel resta perplexe, hésitant à juger si le raisonnement était habile ou très sot.

– Mais maintenant je ne sais plus quoi faire, dit-elle avec une note de désespoir dans la voix. Je voudrais refaire ma vie, je ne veux plus être obligée de me cacher. Mais tant que l’enfant reste avec moi…

Elle se tut, comme si elle attendait une réponse de sa part, peut-être un signe de compréhension. Il dit :

– Qu’attendez-vous de moi ? Je suis fugitif, moi aussi, je suis la dernière personne qui puisse vous secourir.

– Mais vous êtes le dernier membre de sa famille… j’ai pensé… j’ai pensé que vous aurez peut-être une solution. Et ensemble, nous aurions l’air d’un couple avec un enfant, il sera plus facile de nous dissimuler. Rejoignez-moi, je vous en prie. Je suis dans une auberge près du quartier des tanneurs, à côté du fleuve. Elle a une enseigne avec un lièvre. Nous sommes dans la chambre juste à droite à l’étage.

Elle fit mine de sortir, mais Daniel la retint :

– Attendez ! La médaille… Comment l’avez-vous eue ?

– Dame Jehanne l’avait mis au cou de sa fille. Je n’avais rien que cela pour vous convaincre de ma bonne foi. Je craignais que vous ne redoutiez un piège et que vous refusiez de venir. Ramenez cette médaille à Amelina, je vous en prie.

Cette fois, elle s’échappa avec vivacité, sans lui laisser le temps de répliquer.

Il resta quelques instants à faire tourner le petit rond de métal entre ses doigts, ne sachant qu’en faire. Puis il la passa autour de son cou et la dissimula sous sa chemise. La médaille avait été attiédie par ses manipulations. La porter de la sorte lui fit un drôle d’effet, mais lui apportait en même temps un certain réconfort.

***

– Il faut que je quitte la cathédrale au plus tôt.

Ophélie ouvrit de grands yeux.

– Voilà donc bien de l’impatience. Il s’est passé quelque chose ?

– Je ne peux pas rester ici toujours.

– Certes non. Mais la cathédrale est surveillée. Comment comptes-tu échapper ?

– J’ai pensé que nous pourrions sortir ensemble à la sortie de la messe, comme si nous étions un simple couple de bons chrétiens. Si notre attitude ne nous trahit pas, parmi la foule il sera difficile de nous remarquer.

Elle se mit à rire.

– L’idée est bonne. Mais avec tes cheveux tu te ferais repérer en un instant. Il te faut les teindre. Je peux te préparer ce qu’il faut avec de la suie et…

Elle s’interrompit et fixa un point sous son menton.

– Je suppose que ta soudaine précipitation n’a rien à voir avec cette nouvelle chaîne que tu as au cou.

Il rabattit d’un air coupable sa chemise sur la chaîne délatrice.

– Allons, garde tes secrets. Suis-moi, nous allons faire de toi un beau brun, quoique le roux t’aille mieux selon moi.

Le père Bastien n’avait pas la conscience tranquille. Tout d’abord, il était jaloux des attentions d’Ophélie pour Daniel ; mais que pouvait-il protester sans trahir la trouble relation qu’il avait avec sa servante – qui était, de reste, assez peu un secret, mais la tolérance de sa hiérarchie ne pouvait durer qu’aussi longtemps qu’elle pouvait feindre l’ignorer. Or, Ophélie était, comme il aimait à le dire à voix basse comme un blasphème, son paradis sur terre et pour rien au monde il n’y aurait renoncé. Mais cela ne faisait qu’augmenter son antipathie pour le chevalier fugitif : il craignait d’abriter un sorcier, un criminel ; seul le prétendu miracle – que ne l’avait-il constaté de ses yeux ! – dans la chapelle de Marie l’avait dissuadé de l’en chasser. Mais on murmurait trop sur lui, sur la mort du duc Vivian, et tôt ou tard le prélat aurait à répondre devant le nouveau maître d’Autremont. Il avait déjà beaucoup fait pour attirer son courroux, en accueillant Daniel en sa cathédrale et en acceptant d’y établir la tombe de Vivian et d’Isabeau, sans être persuadé d’avoir justement fait. Il craignait pour son église, pour son âme, la jalousie y ajoutait son motif ; et voilà qu’était tombée entre ses mains cette médaille. Il en avait reconnu les armes pour les avoir vues sur les habits d’une jeune épousée et ceux de ses convives. Il n’avait pas été bien long de faire le lien avec l’enfant disparue dont la rumeur murmurait qu’elle avait échappé à l’emprise du sire Victor. Lentement dans l’esprit de l’ecclésiastique se dessinait une perspective pour se racheter auprès du nouveau duc ; une partie de son esprit y répugnait, mais l’idée devenait de plus en plus séduisante au fur et à mesure qu’il tâchait de la repousser. Ophélie revint à ce moment-là, et il espéra oublier entre ses bras un instant la réflexion qui le tourmentait ; mais ce soir-là elle se refusa à lui, et il laissa éclater sa fureur.

– J’en étais sûr, cet homme-là t’a tourné la tête. Tu ne te donnes plus qu’à lui maintenant, c’est ça ?

Ophélie haussa les épaules. Elle se souciait peu de démentir l’imagination du prêtre, quoiqu’elle n’eût jamais eu avec Daniel d’intimité physique plus proche que celle de nettoyer sa blessure.

– La jalousie ne te sied pas.

– N’as-tu pas honte ? Tu ne sais donc pas qui il est ?

– Un malheureux qui a eu besoin de secours, certainement, secours que tu ne lui as pas refusé non plus.

– Nous ne mettons pas le même sens derrière le mot secours, je crois. C’est un bâtard et un fils de sorcière ; voilà avec qui tu te compromets !

– Je me suis déjà compromise avec un homme d’Eglise ; que m’importe ? Mais cela ne sera bientôt plus ton souci. Demain il aura quitté la cathédrale.

La colère du prêtre retomba d’un coup.

– Demain ? Comment est-ce possible ? Les hommes de sire Victor le guettent.

– Je lui ai teint les cheveux, et à la sortie de la messe nous nous mêlerons à la foule. Il sera à mon bras : les hommes cherchent un homme seul, pas un couple.

– Ah !

Voilà qui lui donnait matière à réflexion. Puis une soudaine pensée lui vint :

– Mais toi… tu reviendras, n’est-ce pas ?

– Où irais-je ? répondit-elle avec amertume. Quoique tu en penses, je ne suis pas assez folle pour suivre un homme traqué.

– Ah ! répéta-t-il. Bien, bien… allons, va-t’en maintenant, puisque tu ne veux pas de moi. J’ai besoin d’être seul.

Elle le regarda, comme prise d’un soudain doute. Mais il réitéra son ordre et elle n’osa pas interroger plus avant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire MehdiEval ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0