La futaine et la soie - 5

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C’est ainsi que Daniel s’acoquina avec les ombres de la nuit, les ruffians et les voleurs, les filles de joies, tous ces êtres au rebut de la société, parmi lesquels se trouvait un grand nombre de bâtards et de sorcières, qui ne pouvaient avoir que sympathie pour Daniel, pour lui et pour le trésor qu’il leur promit. Il s’agissait de l’entièreté des ressources qu’il avait épargnées pendant les deux ans écoulés, et qu’il avait placé en sûreté chez un usurier qu’il connaissait, juif faussement repenti qui pratiquait secrètement les rites de son peuple et avait donc lui aussi toutes les raisons de se montrer discret. La somme que le chevalier fit miroiter à ses complices était importante, mais elle était supposée être divisée entre tous, tandis qu’un seul traître pouvait obtenir une part individuelle bien plus conséquente.

Victor de Galefeuille passa des jours en proie à une fièvre atroce. Un feu lui brûlait les tripes et faisait bouillir son sang. Malgré des fouilles acharnées, personne n’avait trouvé trace de la duchesse Isabeau : elle semblait s’être volatilisée. Elle n’avait pourtant pas pu passer par le souterrain du cellier : Victor l’avait découvert après la fuite de Vivian et Jeanne, et il avait pris soin d’en faire changer le système de fermeture et gardait précieusement la clef par devers-lui.

Victor était certain d’être condamné, et les souffrances du poison étaient un avant-goût de l’enfer. Mais au bout de quelques jours, le feu de son ventre s’apaisa, sa conscience émergea des brumes de la fièvre. Après une semaine, il put se lever et se nourrir. La duchesse Isabeau, dans son désir de le faire souffrir le plus longtemps possible, n’avait pas assez concentré le poison dans le vin, ou bien Victor n’en avait pas avalé une quantité suffisante pour le terrasser. Il était sauvé.

Lorsqu’il réalisa qu’il avait échappé à la mort, il prit conscience plus encore qu’auparavant de la fragilité de sa situation. Il était veuf et sans descendant, et point encore duc d’Autremont, aussi longtemps que Vivian respirerait. Il avait des ennemis, et parmi eux la veuve du duc Henri d’Autremont et son fils bâtard, tous deux fugitifs, et son héritière, Amelina d’Autremont, qu’il n’était pas parvenu à retrouver. Ils étaient là quelque part, ombres menaçantes autour de lui, aussi sournoises que le poison dans ses veines.

Isabeau était la plus dangereuse, car la plus à même de rallier autour d’elle des partisans, et sans doute la plus déterminée à sauver son fils. Mais il connaissait son cœur : une fois son fils mort, elle aurait les dents limées.

Les choses pour lui étaient claires : il lui fallait faire exécuter Vivian et se faire nommer duc au plus vite ; et en attendant, il lui fallait se protéger. Il s’entoura d’une garde fournie, fit proclamer Isabeau de Tourmaille et Daniel de Mourjevoic hors-la-loi, et mit leur tête à prix.

Ses efforts fournirent leurs fruits la veille de l’exécution, au moment où il s’y attendait le moins. Il résidait dans une chambre d’hôte de la prison de Combelierre, où il avait transféré Vivian sous forte escorte, et la nuit était tombée depuis longtemps. Il était nerveux, et buvait coupe de vin sur coupe de vin, observant le léger tremblement de ses mains qui reprenait parfois, restes de son empoisonnement. Demain au matin, Vivian serait pendu, et l’après-midi il serait nommé duc en grandes pompes. Il ressassait ce rêve, caressant le bord de sa coupe du pouce, quand un soldat vint lui annoncer qu’un jeune homme avait d’importantes nouvelles à lui livrer. Il le fit entrer : c’était un tout jeune homme aux cheveux châtains et aux joues pleines de taches de rousseur, mais au regard déjà plein de morgue.

-Pour la récompense promise, messire, dit-il d’une voix grêle, je puis vous livrer Daniel de Mourjevoic.

La jeune servante qui servait le vin à Victor eut un mouvement involontaire. Elle repoussa ses mèches brunes derrière son oreille pour justifier son geste. Elle s’effaça dans l’ombre pour se faire oublier des deux hommes, et les laisser palabrer tout à loisir, les oreilles grandes ouvertes.

***

-Mais tu n’as pas su où il comptait les piéger ?

-Non, ma dame, fit la femme brune. Victor a fini par se rappeler ma présence et m’a chassée de la pièce avant que j’aie pu recueillir toutes leurs confidences. Mais je sais où sire Daniel compte intervenir.

Sa comparse se mordit la lèvre dans sa réflexion. Sa main vint froisser nerveusement la robe de servante sur ses genoux. Ses yeux se plissaient et accentuaient les pattes d’oies au coin de ses cils. Son regard en paraissait encore accentué. Elle coula un regard vers la fenêtre bouchée d’une toile cirée transparentes. Les deux femmes se trouvaient dans une chambre sous les combles en un quartier reculé de la ville où nulle noble dame n’eût osé s’aventurer en d’autres circonstances.

« Si vite, si vite ! Je n’ai eu le temps de rien. Si j’avais eu un délai un rien plus long, j’aurais pu rassembler des alliés armés autour de moi. Mais il nous faut nous débrouiller seules. Comment ce maudit Victor a-t-il échappé au poison ? J’ai perdu la main… »

-Il nous faut une carte de la ville, dit enfin la femme la plus âgée. Peut-être à partir de là pourrons-nous deviner le plan entier.

-Comment comptez-vous leur venir en aide, ma dame ? Victor aura toute une garnison de soldats à son service.

-Je sais cela !

Sous la violence de la réponse, la femme brune se rencogna. Au bout d’une minute, son interlocutrice reprit :

-Il nous faut du soutien, ne serait-ce que pour la suite. Je vais écrire des lettres, et tu seras ma messagère. Il nous faut un réseau et des protections, pour qu’ils puissent fuir et trouver refuge. J’ai des amis parmi l’évêché, et même à Paris. Tu seras leur point de contact.

Elle ne demanda point le consentement de sa complice, mais celle-ci hocha la tête avec approbation. Son expression n’était pas moins déterminée que celle qui lui donnait des ordres. Aucune des deux, cependant, n’oubliait que l’urgence était de sauver Vivian de la corde.

-Je me posterai non loin de l’intervention prévue de Daniel. Si nous ne pouvons deviner où Victor compte le piéger, il me faudra les suivre au mieux jusqu’à ce que je puisse leur venir en aide. Je tuerai Victor, si je ne puis les sauver.

Le plan était rien moins que peu fiable. Il leur restait si peu d’heures. En vérité, il faudrait un miracle, mais pourquoi pas ? Leur cause n’était-elle pas juste au point que la Providence puisse s’en émouvoir ?

La dame marqua une pause, puis conclut :

-Il me faut une arme.

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