Les fugitifs - 3

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-Il nous a démasqués.

-Allons donc. Vos craintes emportent votre imagination. Pour vous démasquer, il faudrait qu’il s’attende à vous trouver là.

-Et pourquoi non ? Notre absence a pu finir par être découverte… Il suffit qu’ils aient épluché les registres de la commanderie et fait le décompte des prisonniers. Ils se sont aperçus qu’il en manquait trois, et que le refuge le plus proche…

-Il y a au moins deux monastères entre votre commanderie et le château. Ils vous auraient d’abord cherchés là-bas.

-Peut-être l’ont-ils fait. Cela fait des mois maintenant.

Jehanne tâchait de penser que les craintes des trois Templiers étaient irraisonnées, mais n’y parvenait pas. Le danger était trop grand pour ne pas être pris au sérieux.

-Bientôt, dit Vivian, vous prétendrez que le sire de Galefeuille est venu nous rendre visite uniquement dans ce but.

-Il en est capable, répliqua sombrement Jehanne.

Vivian fronça les sourcils.

-Il est venu me demander d’être le parrain de son enfant. Crois-tu vraiment qu’il pousserait la perfidie pour s’en servir comme excuse pour espionner ?

-Oui, trancha Jehanne.

-Je n’y crois pas. Le parrain d’un enfant est trop important et Victor reste un chrétien. De plus, il n’est pas bailli ou officier du roi que je sache. Tu ne l’aimes pas, et cela obscurcit ton jugement. A-t-il découvert la cache des manteaux ?

-Non, je suis allée la vérifier tout à l’heure, elle n’a pas été touchée.

-Tu vois. Même s’il avait des soupçons, il n’a aucune preuve. En réalité, je vous le dis à tous, vous vous emportez sur la base de quelques phrases ambiguës. Il n’y a aucune raison réelle de s’en soucier.

-Messire, peut-être avez-vous raison, répondit Gabriel.

Jehanne nota le pli qui barrait son front, et sentit qu’il devait y avoir d’autres mots dans le silence dans lequel il se plongea ensuite.

Ce en quoi elle avait raison, car Guillaume vint la trouver un peu plus tard.

-Dame, j’ai longuement discuté avec mes compagnons. Nous réalisons que nous avons bénéficié de votre hospitalité trop longtemps, et qu’il est temps pour nous de partir.

Jehanne sentit son cœur battre plus vite.

-Cet écuyer vous a effrayés.

-Oui, dame, répondit Guillaume avec dignité, effrayés pour votre sécurité. Si le roi venait à savoir que vous nous avez protégés, il pourrait vous condamner pour trahison, et la chose finira nécessairement par se savoir. Nous ne pouvons éternellement nous cacher en vos murs.

-Où comptez-vous aller alors ?

-En Espagne, où d’autres frères auraient trouvé refuge. Le roi Philippe n’est pas parvenu à convaincre les autres souverains d’Europe de se rallier à sa persécution.

Jehanne posa le livre qu’elle tenait à la main et s’accorda quelques secondes de réflexion. Guillaume était venu la trouver, parce qu’il avait confiance en son jugement – davantage, semblait-il, qu’en celui de Vivian, peut-être aussi à cause de la relation particulière qui les avait unis avant le départ de Guillaume pour la commanderie. Finalement, elle énonça :

-Guillaume, vous et vos compagnons allez faire une erreur. En ces murs vous êtes en sécurité : le roi lui-même ne pourrait assiéger le château, nul assaillant n’est jamais parvenu à percer ces murs. Sur les routes, en revanche, vous serez vulnérables ; si réellement le roi était à votre recherche, trois voyageurs tels que vous, cherchant à rallier l’Espagne, seriez rapidement reconnus et dénoncés. De plus, nous sommes en plein hiver…

-L’hiver est clément et les officiers du roi sont plus frileux en cette saison à battre les routes. Nous refusons d’être la cause d’un vôtre conflit armé avec le roi.

Jehanne tenta une dernière fois :

-Avez-vous songé que les sous-entendus de l’écuyer visaient peut-être précisément à vous faire sortir de ce domaine où vous êtes hors d’atteinte ? Pour vous pousser à vous exposer ?

-Peut-être, et dans ce cas, une dame telle que vous, connaissant le château et le pays, pourra nous aider à quitter ces lieux de la manière la plus discrète…

Jehanne soupira. Guillaume avait-il deviné qu’elle avait découvert certains secrets du château ? En tout cas, il avait raison, elle pouvait les aider à s’enfuir de la meilleure manière, en les faisant passer par le souterrain qui menait vers la campagne. Quand bien même le château serait observé, le départ des Templiers ne pourrait être remarqué. Elle capitula.

-Je ne peux vous empêcher d’agir selon votre désir, et vous apporterai de l’aide si je le peux. Mais allez voir Vivian en premier lieu.

-Bien entendu. Ma dame, merci de tout cœur.

Il eut l’air de vouloir ajouter quelque chose, et sur son visage s’imprima une expression qui la ramena deux ans en arrière. Qu’il se taise, supplia-t-elle en son for intérieur. Je ne veux pas parler du passé.

-Je n’oublierai pas ce que vous avez fait, dit-il finalement. Que Dieu vous garde.

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