Chevauchées - 2

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Il n’était guère glorieux pourtant, le fier chevalier, quand il rentra chez lui le nez tout en sang. Il y trouva Sara, blottie près du feu. Elle se trouvait en compagnie de Philippa qui changeait la paille du sol. La jeune femme poussa une exclamation en voyant la piètre mine de l’arrivant ; il y avait peut-être même un peu de déception dans sa surprise, de voir son maître choir du piédestal guerrier où elle l’avait placé.

Sara, calmement, lui enquit d’aller chercher de l’eau, s’empara d’un linge propre et entreprit de bassiner le visage du chevalier qui s’efforçait de ne pas gémir chaque fois qu’elle touchait le cartilage blessé.

-Là, ton nez n’est pas cassé. Tu pourras encore séduire les dames à l’envi. On dirait que cette fois tu as l’occasion d’un peu de bagarre ?

-Pas même, répliqua Daniel d’un ton étouffé. J’ai simplement été stupide. J’avais l’un des attaquants à ma merci, et je lui ai laissé l’occasion de me frapper et de s’échapper. Je crois même que c’était leur chef… je n’ai eu que son épée. Mais elle ne porte pas la moindre armoirie… j’aurais pourtant cru…

Il resta songeur, porta instinctivement la main à son nez et grimaça à peine qu’il l’eut frôlé.

-Tu es bien sûre qu’il n’est pas cassé.

-Certaine.

Philippa, avec espoir, proposa à nouveau un gobelet de vin, et cette fois se le vit accepter avec gentillesse. Mais elle comprit les raisons de cette amabilité quand il ajouta :

-Les hommes à la cuisine souhaitent se restaurer, Philippa. Peux-tu aller les servir ?

La jeune fille comprit qu’on la congédiait. La tête haute, elle sortit de la pièce. Daniel s’installa sur un faudesteuil à côté de la vieille femme, et se mit à siroter son vin sans rien dire, les yeux dans le feu.

-Ma visite n’est pas fortuite, Daniel, dit tout-à-coup Sara d’un ton un peu hésitant. J’ai quelque chose à te demander.

-Bien sûr, Sara, répondit le chevalier, étonné du manque d’assurance inhabituel chez la vieille guérisseuse. Qu’y-a-t-il ?

-Eh bien voilà, le toit de notre chaumine s’est effondré à cause de la neige. Personne n’était à l’intérieur quand ça s’est produit, heureusement. Bruno et Jacques sont restés là-bas avec quelques hommes du village pour tenter de sauver ce qui peut l’être, mais… nous aurions besoin d’un logis pour quelque temps. Le temps de réparer la toiture.

-Oh ! Oui, évidemment. Restez ici aussi longtemps que vous le désirez. En fait…

Daniel se sentait pris d’une joie rare et eut besoin d’une seconde ou deux pour en comprendre l’origine.

-… je serais heureux de vous avoir près de moi… grand-mère.

Un vrai foyer, composé de ses gens, et de sa famille. Il en perçut soudain tout le prix, et se sentit plus riche que le roi lui-même. Pour peu, il aurait béni le ciel de cette chute du toit. Sara comprit son émotion, et lui prit la main en souriant.

Soudain, Daniel sentit une fourrure contre son tibia et sursauta. Baissant les yeux, il rencontra le regard jaune et placide d’un vieux chat à la couleur incertaine.

-Ah ! fit Sara avec amusement, je te présente celui que j’appelle mon félin ami. Il loge parfois chez moi, parfois me suit. J’ai bien été tentée de lui donner un nom, mais les chats se moquent éperdument de la manière dont on les baptise.

Daniel ne prononça pas une parole, abasourdi. Le chat avait le museau un peu écrasé, les pattes courtes, le pelage blanc sale, et un regard morne et indifférent démenti par la manière qu’il avait de se frotter contre les jambes. Il bondit tout à coup sur les genoux de Daniel, s’y lova et se mit à ronronner avant même que celui-ci ait posé la main sur lui.

-Il ressemble tellement à… mais celui-ci doit être mort depuis longtemps. Il paraissait déjà si vieux il y a plus de dix ans…

Il se mit à caresser pensivement le matou. Sara les observa attentivement, un pétillement dans les yeux.

-Les chats sont des créatures étonnantes, dit-elle prudemment.

***

La duchesse Jehanne déclara un beau jour devoir se rendre instamment en ses terres de Beljour, avant que son état ne l’en empêche. En effet, son frère Stéphane, depuis la mort de leur père qui avait fait Jehanne comtesse de Beljour, était chargé d’administrer l’héritage de sa sœur ; or, depuis son mariage, Jehanne n’avait pas encore vu l’ombre des revenus qu’il devait récupérer en son nom et lui envoyer.

-Il lui aurait été si simple, dit-elle tout haut à Blandine, de prélever une part de cet argent avant de me l’envoyer ; la fraude aurait été bien plus discrète, et j’aurais bien été en peine, si loin de mon comté, d’évaluer si une juste somme me revenait… Mais mon frère n’est pas même assez fin pour cela. Il croit pouvoir feindre d’oublier sa tâche et garder tout le gâteau, en comptant, sans doute, sur le fait que mon mariage et ma grossesse me décourageront de réclamer mon dû.

En quoi il la connaissait bien mal, puisque, enceinte de près de cinq mois, Jehanne s’apprêtait à enfourcher sa jument préférée pour aller réclamer son bien en personne. La demeure des Beljour, après tout, ne se situait qu’à quelques jours de cheval de celle des Autremont, le voyage seulement un peu rallongé par la brièveté des jours qui obligeait les voyageurs à faire étape tôt dans la soirée. Le duc Vivian, après s’être récrié sur les folies d’un voyage entrepris alors que l’hiver blanchissait encore les campagnes, finit par consentir à ce départ, non sans avoir doté son épouse d’une solide escorte.

Le matin du départ, quelques difficultés se présentèrent : on avait oublié de ferrer un cheval, l’un des soldats d’escorte fut pris de flux de ventre et il fallut le remplacer par un autre. Le temps que la petite cohorte se mette en route, la journée était déjà avancée.

La petite troupe, pour être celle d’une duchesse d’un rang élevé comme l’était Jehanne, était somme toute très modeste : elle se composait de huit hommes à cheval et d’une seule suivante, Blandine. Fait remarquable pour le voyage d’une noble dame, très peu de chargement suivait le cortège : nul chariot, nul coffre, seulement quelques mulets chargés de fontes.

Si peu alourdie que fut la troupe, Jehanne faisait aller les chevaux lentement, sous prétexte de ménager son état ; si bien que, le soleil déjà glissant vers l’occident, la colonne n’était pas même encore sortie du duché. Tout naturellement, alors, la duchesse Jehanne proposa de faire un crochet vers le nord, pour y être hébergée par le seigneur de Mourjevoic. Il n’y eut guère que Blandine pour y voir autre chose qu’une sage décision entraînée par un enchaînement de circonstances, mais quoiqu’elle en pensât, elle ne pouvait bien sûr l’exprimer.

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