Chapitre 23

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Cinq minutes passèrent dans un silence pesant avant que de nombreux bruits de pas se firent alors entendre.

Constatant plusieurs points lumineux avancer vers eux, Anita se leva avec précaution et s’approcha de Gale.

— Cette chose que vous vouliez éviter, interrogea la Défenseuse, qu’est-ce que c’est ?

— Ça n’arrivera peut-être jamais, répondit l’homme balafré. N’en parlons plus.

Faisant mine d’être satisfaite, Anita marcha vers le cortège qui se rapprochait. Ce dernier était composé d’une bonne centaine de Défenseurs, dont une dizaine de cerclé 1, la garde royale au complète ainsi qu’au moins deux cents civils improvisés en soldats.

— Anita Bergen, clama un garde lourdement armé, que faites-vous avez ces traîtres ? Où est le ...

L’homme ne put retenir un cri d’effroi en découvrant la dépouille de Yakor. Son cheval sentit sa panique et cabra, faisant presque perdre les étriers à son cavalier.

Après beaucoup d’effort pour calmer sa monture, le garde s’éclaircit la voix et repris :

— J’exige un rapport !

— Va chier Bonard, lâcha Anita avec son ton glacial habituel. Tu sais comme moi que je suis la plus haute gradée à présent que Yakor est mort.

— Pas plus que moi ! fit une très jeune femme aux côtés du garde, sur le dos d’une magnifique monture blanche. J’exige des explications ! Ou est ma sœur ?

— Votre altesse Constantine, salua Anita avec une pointe de moquerie. Sa reinauté Marjorie, ainsi que tous les autres Défenseurs cerclés 2, sont décédés. Comme je le disais donc à votre cher chef de garde, je suis la plus gradée dans la ligne de commandement et je n’ai, par conséquent, aucun compte à vous rendre.

— Foutaises ! gronda Bonard. Tu dois obéissance et respect à la sœur de la reine ! Je te conseille d’obtempérer, sinon…

— Sinon quoi ? l’interrompit la sœur de Kaufman en serrant le poing, un reflet de flamme ardente dans la pupille.

— Hem, et bien… balbutia le garde royal.

Puis le ciel s’embrasa.

Croyant subir une attaque d’Anita, Bonard leva précipitamment son bouclier devant lui avant de constater que la Défenseure regardait également le ciel avec stupéfaction.

Avec un temps de retard sur tout le cortège derrière lui, le garde royal leva alors les yeux et resta bouche bée devant ce qui se déroulait au-dessus de sa tête.

Des formes abstraites de couleur pourpres, violacées ou d’un bleu profond se succédaient dans les cieux. Puis une vague beaucoup plus grosse que les autres apparût à l’horizon : passant du Sud au Nord, elle bouscula les flaques de couleurs éparpillées comme des nuages au-dessus d’Abta et parcourut l’intégralité du ciel dans un boucan faramineux.

Seul Gale ne leva pas son regard vers le ciel. Il était assis en tailleurs, pensif, et jouait avec une pierre au bord d’une des failles créées par Yakor.

Au bout d’une dizaine de secondes de léthargie générale, le phénomène cessa et l’étranger poussa un soupir.

— Dommage.

Il se leva lentement, soupira une nouvelle fois et tendis le poing vers les profondeurs de la faille d’où tira violemment sur une prise invisible.

Malgré tous les exploits réalisés par son mentor, tous plus fous et inimaginables les uns que les autres, Jake fut toute de même effaré par ce qu’il constata.

Gale avait sorti son fusil de la faille. L’arme fétiche du chasseur de prime, léguée par sa grand-mère sur son lit de mort, qu’il avait cru détruite par le drake, était à présent dans les mains de son instructeur.

— Il… balbutia le barbu. Il était détruit… Comment ?

— Il faut vraiment te débarrasser de cette mauvaise habitude de poser trop de question, le sermonna sans conviction l’homme aux cicatrices en passant à côté de lui.

— Pas cette fois, cria presque le chasseur de primes. C’est toi qui a…

— Ce n’est pas le moment, le coupa Gale. On a très peu de temps.

Ce dernier fixait l’horizon, tous les sens aux aguets, puis bondit et… flotta.

Le mentor des chasseurs de primes restait suspendu dans les airs à la surprise générale. Faisant face à la ville, il tenait la faux noire d’une main et le fusil vert de l’autre : d’un seul coup, il joignit les mains et les deux Artefacts fusionnèrent.

L’objet vert enveloppa la faux, déployant valves et câbles pour l’étreindre jusqu’à recouvrir entièrement le manche de l’arme. Après un bourdonnement d’énergie sonore et visuel, la lame de la faux se teinta de vert.

Gale pris une longue inspiration et se positionna étrangement. Complètement fléchi, le bras replié par-dessus son épaule, il tenait fermement l’Artefact derrière lui via une poignée décorée de runes complexes placées sur le manche auparavant lisse et froid de la faux.

Le bourdonnement de l’objet et la lumière verte s’intensifia pendant quelques secondes ou l’homme resta immobile.

Puis il déplia brutalement l’entièreté de son corps, manœuvrant l’Artefact à une vitesse irréelle vers l’avant.

Gale découpa les cieux.

En direction de la capitale d’Abta.

L’attaque libéra un tsunami d’Eno verte qui se rua sur la cité. L’énergie pris peu à peu la forme d’une gigantesque mâchoire verdâtre qui ne cessa de s’accroître : en quelques secondes, elle fut aussi grande que l’enceinte de la ville.

La mâchoire d’Eno libérée par Gale s’écrasa sur la capitale et l’avala entièrement.

Le souffle provoqué par la violence du choc fut incommensurable. La plupart des soldats amenés par la garde royale tombèrent à la renverse, les chevaux paniquèrent et toutes les personnes encore debout sur la place du marché furent contraintes de se couvrir les yeux pour ne pas finir aveuglées par les débris et le souffle provoqué par le choc.

Après une interminable attente dans le chaos, Kaufman put enfin regarder devant lui.

Il ne restait que des ruines de sa capitale.

Un filet d’énergie verte naissait du centre des décombres et fluctuait rapidement vers le responsable du désastre.

Le flux s’aminci progressivement pour finir par disparaître complètement, laissant planer sur la place du marché un silence de mort entrecoupé de hennissement de chevaux affolés.

Gale avait le bras tendu devant lui et achevait de stocker l’Eno récoltée dans le fusil vert, désormais désolidarisé de la faux noire et brillant de puissance.

Il regarda de nouveau l’horizon et se laissa brusquement tomber au sol.

— Baissez-vous, ordonna-t-il d’une voix irritée.

Anita, Jake et Kaufman furent les seuls avec assez d’expérience et de jugeote pour l’écouter.

Une vague d’éclairs bleus sortie de nulle part fondit soudainement sur eux et faillit les réduire en poussière. L’attaque ne fut déviée que par une décharge d’énergie verte lancée par Gale avec le fusil.

Un bon tier des gardes et civils présents furent instantanément carbonisés au contact des éclairs.

— Qu’est-ce que… paniqua la sœur de la reine.

— Putain de merde, jura son capitaine de garde. Par l’Émeraude, c’est quoi ce truc ?

Une créature telle qu’ils n’en avaient jamais vu se tenait devant eux.

Sa silhouette s’apparentait à un gigantesque cerf de près trois mètres de haut. La peau de la créature était translucide : on pouvait y voir à travers des flux d’énergie turquoise, pourpres ou bleutés serpenter à l’intérieur du corps à quatre pattes.
Différents motifs noirs et complexes étaient dessinés sur son corps et sa longue queue. Cette dernière terminait par une gigantesque sphère, à l’intérieur de laquelle bourdonnait une myriade de particules multicolores.
Mais l’élément le plus extravagant de la créature se trouvait sur sa tête : des bois immenses, qui s’enchevêtraient vers l’arrière sur deux bons mètres de longueur, pleuraient des pétales de fleurs.
Il n’y avait pas d’autre mot pour décrire le phénomène : des centaines de pétales violacées apparaissaient sans discontinuer sur les extensions boisées de la bête et coulaient lentement vers le sol, comme des larmes formant une cascade rose ininterrompue.

L’être surnaturel fixait Gale avec deux minces fentes verticales bien plus rapprochées que les yeux d’un animal, ce qui donnait à son visage une expression dérangeante, presque humaine.

La voix grave et surnaturelle de la créature résonna soudain dans la tête des personnes à proximité :

Bonjour.

— Épargne moi les politesses ridicules, répliqua Gale, tendu à l’extrême.

Je présume que tu es le responsable. Il est rare que quelqu’un comme toi se retrouve dans cette situation. Était-il vraiment nécessaire de faire autant de dégâts ? C’est toujours malheureux.

L’animal surnaturel souleva lentement la queue, levant dans les airs la sphère à son extrémité, causant les particules contenues à l’intérieur à s’agiter avec force.

Gale brandit la faux noire.

Un splendide rayon d’énergie émergea de la sphère et oblitéra l’endroit où se trouvait l’homme balafré. C’était d’une netteté stupéfiante : le rayon forma un globe bleuté à l’emplacement de Gale et découpa la roche aussi facilement que du beurre sur deux bons mètres de diamètre.

Impossible de savoir si l’homme avait esquivé l’attaque ou avait été totalement annihilé par elle. À l’horreur de Kaufman, la créature braqua son regard sur lui et lança une nouvelle déflagration d’énergie. L’esquive était impossible.

Le chasseur de primes disparut, remplacé par le même globe d’énergie bleue.

Le processus se répéta avec Jake et Anita, créant ainsi trois énormes nids de poules supplémentaires sur la place du marché déjà bien amochée.

Sans prêter la moindre attention à la panique générale qui naissait dans les rangs des soldats, l’être fantastique leva les yeux au ciel.

Cet Artefact est problématique.

Gale ricana au-dessus de la tête de la créature.

Il lévitait sur une grande dalle grise en compagnie de Jake, Kaufman et Anita qui s’efforçaient de reprendre leurs esprits et leur respiration.

Les trois individus étaient affalés sur la plateforme, le visage crispé et rempli de douleur. Soudain, Jake hurla à s’en déchirer les cordes vocales, Kaufman vomit ses tripes en convulsant tandis qu’Anita regardait dans le vide les bras ballants et les yeux vitreux.

Il est préférable que je récupère l’objet.

— C’est ça, va chercher, cria l’homme balafré.

Il se ramassa sur lui-même, passa son bras gauche vers l’arrière et bascula violemment tout son corps en avant, ses énormes muscles bandés à l’extrême, et catapulta la faux noire vers l’horizon.

Cette dernière disparut instantanément dans l’obscurité.

Pour la première fois depuis son arrivée, la créature eut une réaction brusque : sa tête pivota violemment vers la trajectoire de l’arme avant de rebasculer vers Gale.
Les fentes lui servant d’yeux s’ouvrirent en un bruit de succion désagréable. On aurait pu confondre les paupières de la créature avec deux sinistres mâchoires aux dents acérées, à l’intérieur desquelles se dévoilèrent deux sublimes orbes dorés striés de marques noires complexes.

C’est donc toi. Un honneur.

La créature disparut brusquement.

— Qu’est-ce que… balbutia Kaufman entre deux vomissements. Ou étais-je… Que… Argh… Pourquoi t’as bousillé Abta…

— Ça n’aurait pas fait grande différence, répliqua Gale en faisant descendre la plateforme au sol.

— Qu… Quoi ?

— Laisse tomber, lâcha son mentor. Vous pouvez marcher ?

— Je… Je crois, murmura faiblement Anita.

— Va bien falloir, rétorqua Kaufman en se levant péniblement.

— Bien. Fais quelque chose de positif, pour une fois, chère Anita, et porte ce bon vieux Jake. Tu as l’air d’avoir mieux supporté le processus.

Trop confuse pour protester, elle balança l’homme barbu sur son épaule.

Gale pointa l’horizon :

— Maintenant, tirez-vous d’ici si vous tenez à la vie. Le plus vite possible. C’est le dernier cadeau que je peux vous faire.

— Et nous ? supplia Constantine d’une voix plaintive.

La destruction de sa ville et l’état lamentable de sa garde royale avait fait abandonner tout orgueil à la sœur de la reine.

— Rien à foutre, soupira Gale. Vous allez sans doute crever, sauf peut-être les quelques cerclés 1 qui auront assez de jugeote pour se barrer d’ici.

— Pour aller où ? protesta Kaufman. Se terrer encore dans les montagnes ?

— Non, c’est franchement improbable que ce soit assez loin.

L’épéiste ne saisissait pas.

— J’ai compris, Kauffie, fit Anita. Suis-moi, je t’expliquerais en chemin. J’ai l’impression qu’on a plus beaucoup de temps.

— Tu ne crois pas si bien dire, acquiesça Gale.

La Défenseure pris son petit frère par le bras et l’entraîna rapidement vers le nord. Trois cerclés 1 les suivirent de loin pendant que les quatre restants essayèrent de convaincre Constantine de s’en aller.

Ils n’avaient parcouru qu’une petite centaine de mètres lorsqu’un éclair bleuté fondit de nouveau sur eux.

L’attaque fut stoppée une fois de plus in extremis par une barrière verte créée par l’ancien fusil de Jake, désormais au bras de Gale.

La bête cornue était revenue et fixait avec intensité l’homme aux cicatrices.

C’est vraiment regrettable que quelqu’un comme toi perturbe ainsi l’équilibre.

Kaufman entendait parfaitement les paroles de la créature malgré la centaine de mètres qui les séparait.

— Regrettable… répéta Gale. Je suppose que t’es pas du genre à discuter gentiment avec moi pour que je t’explique mon point de vue, hein ?

En effet.

L’homme leva alors les deux bras au l’air en poursuivant :

— Très bien. Tu peux donc te le foutre au cul, ton équilibre, si c’est à ça qu’il ressemble.

La créature ne sembla pas apprécier cette remarque. Elle ouvrit ses monstrueux yeux jaunes et l’air sembla vibrer autour d’elle. Un dégagement de puissance inouï se fit ressentir : les contours de la bête devinrent presque flous et le ciel s’assombri brusquement.

Une tempête comme Kaufman n’en avait jamais vu se déchaîna dans les cieux et de multiples éclairs de foudre bleutée s’abattirent sur Gale comme sur un paratonnerre.

La nature entière sembla se déchaîner sur son mentor.

La bête se détourna de Gale, ou plutôt de ce qui n’était maintenant plus qu’un insondable maëlstrom démesuré.

Au moment où elle braqua ses pupilles apocalyptiques sur les fuyards, une faible lumière verte naquit du centre du cataclysme. Un jet d’énergie pourfendeur traversa le corps du Monstre et forma une cloche protectrice autour du groupe, juste à temps pour éviter à Kaufman et ses comparses d’être instantanément désintégrés par le vomissement foudroyant de la tempête.

Un brame abominable s’échappa de la créature.

Elle s’ébroua brusquement, éparpillant du liquide rougeâtre sur le sol qui coulait à flot du tunnel que le rayon vert avait creusé dans son flanc.

La tempête cessa, révélant un Gale entouré d’un champ de force protecteur et pointant son arme sur le Monstre qui cessa de bouger et grogna sourdement.

Une partie des pétales roses qui tombaient sans interruptions de ses formidables bois s’anima soudainement. Une bonne partie vint se loger dans la plaie de la créature, la colmatant à vue d’œil et stoppant le saignement.

Il ne restait de la blessure qu’une tâche rosée sur les côtes de l’animal divin.

Les pétales ne s’arrêtèrent pas pour autant : une petite quantité s’immobilisa en lévitation dans les airs au-dessus de la tête du cerf. Petit à petit, une lueur violette s’amplifia au cœur des pétales et embrasa les environs d’un éblouissant éclat rosé telles de petites étoiles chargées d’énergie et de pouvoir.

Éclosion Violine

Ces mots raisonnèrent avec force dans la tête d’Anita, courant à en perdre haleine, qui avait pourtant abattu une distance très respectable entre elle et la créature qui n’était maintenant plus qu’un point à l’horizon.

Elle accéléra encore.

Resté en face du cerf, Gale, quant à lui, changea brusquement sa posture et d’expression lorsqu’il capta les paroles.

La rafale de foudre qu’il avait subi quelques secondes plus tôt avait été d’une violence inouïe, sans que la créature n’ai besoin de prononcer le moindre mot pour la créer ou l’amplifier.

L’homme balafré n’osa pas imaginer la puissance de cette nouvelle attaque nommée.

Il fit trembler son fusil vert, qui se changea instantanément en un immense bouclier qui semblait faire résonner l’énergie qui l’irriguait.

Une partie de lui espéra qu’il avait suffisamment provoqué la créature pour qu’elle lance l’intégralité de son attaque sur lui et délaisse les fuyards.

L’autre partie priait au contraire pour que l’attaque ne soit pas dirigée entièrement contre lui.

Les pétales scintillants éclatèrent.

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