Chapitre 21

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Après avoir reçu des soins d’urgence habilement réalisés par Gale, Mandra avança avec précaution vers une Anita agonisante et paralysée au sol. La Défenseure ne se méprenait pas sur les intentions de la vieille femme et la terreur se lisait dans son regard.

— Attend ! cria Kaufman à sa supérieure.

— Tu veux t’en charger toi-même, c’est ça ? railla-t-elle.

— Non, j’ai des questions à lui poser.

L’épéiste s’était exprimé avec froideur, sans émotion perceptible. Il s’avança vers sa sœur et lui parla à voix basse, chuchotant presque :

— Pourquoi ? lui demanda-t-il. Pourquoi avoir choisi cette voie ? Pour le pouvoir ? L’argent ?

Un sourire ironique se dessina sur les traits de la Défenseure.

— Je n’ai pas choisi, abruti, lâcha Anita. Personne ne peut choisir. Votre ignorance vous donne l’illusion d’avoir le choix mais, très bientôt, vous comprendrez que tous vos efforts sont d’une futilité indescriptible.

— Tu vas crever dans quelques secondes, gronda Mandra. Arrête donc de parler en énigmes et donne-nous une réponse claire.

— C’est on ne peut plus clair, gronda l’intéressée en toussant du liquide pourpre. Vous n’avez aucune chance contre lui. Vous pourriez vous cacher et vous perfectionner toute votre vie dans les Montagnes, vous n’aurez toujours pas l’ombre d’une chance de lui faire face. Il…

La jeune femme s’arrêta, prise d’une sévère quinte de toux, crachant bave et sang sur les dalles noires.

— Il n’a accepté cette configuration de combat que par pur caprice, repris-t-elle avec difficulté. N’allez pas croire que nous avoir vaincu vous confère un quelconque avantage.

— Celui dont tu parles, avança Kaufman avant de lever par réflexe les yeux en l’air, c’est …

Le reste de sa phrase fut brusquement étouffée. Un énorme projectile de catapulte venu de nulle part s’écrasa à quelques dizaines de mètres dans une explosion de granit.

Kaufman lutta pour ne pas être jeté en arrière par le souffle colossal de l’impact, les bras devant les yeux pour se protéger de l’ouragan de poussière. Anita fut projetée comme un fétu de paille sur Mandra qui n’eut pas le temps d’esquiver ; les deux femmes roulèrent violemment sur le sol et finirent leur course plusieurs mètres plus loin.

Le projectile avait dû être d’une taille impressionnante : un immense cratère de dix bons mètres de diamètre apparu à l’emplacement du choc.

Mais le plus impressionnant restait les silhouettes qui apparurent au milieu du cratère.

Yakor et deux Défenseurs au col orné de deux cercles dorés se dressaient devant les chasseurs de primes.

— Je crois qu’on a trouvé le reste des méchants ! sifflota Gale debout et indemne, mais visiblement impressionné par la mise en scène du Commandant. Et le gros poisson, en prime !

— Faites le pitre tant que vous le voulez étranger, gronda Yakor en s’extirpant du cratère. Vous n’aurez plus ce luxe dans quelques instants.

— Doit on récupérer Anita et Gérald mon Commandant ? demanda l’individu à sa gauche, encapuchonné par la robe traditionnelle des Défenseurs, décorée de deux cercles d’or.

— Pfeuh ! cracha son acolyte de l’autre côté de Yakor. Laisse ces perdants dans leur merde.

Leur supérieur acquiesça :

— Mush à raison. Gérald est déjà mort, de toute façon.

Le regard d’Anita s’éteint en même temps que cette phrase.

— C’est fini… parvient-elle à articuler.

Yakor disparut brusquement. Il réapparu presque aussitôt devant les chasseurs de primes, comme sortant de terre.

—Rendez-moi la Reine et j’abrègerais vos souffrances rapidement, continua le Commandant. Je vous rappelle que vos exigences préalables ont été respectées.

Plusieurs secondes de silence pendant lesquelles les adversaires se jaugèrent passèrent au ralenti. Gale pris finalement la parole d’un air décontracté, comme à son habitude :

— C’est vrai, merci d’avoir tenu votre parole ! Cependant, vous comprendrez bien que parfois, de bons résultats peuvent parfois avoir… Comment dire… Une incidence sur les négociations ? En effet, je pense qu’après avoir vaincu vos deux sous-fifres, la tentation de mes camarades de renégocier les termes et – je reprends leurs termes – vous « botter le cul » est très forte.

L’homme balafré continua en haussant les épaules d’impuissance.

— Qui suis-je pour leur refuser une telle chose ?

Sur ce, il souleva délicatement Anita et s’éloigna, laissant Mandra, Jake et Kaufman en face de leurs trois adversaires.

Mandra, qui était certes blessée mais qui avait plus de temps que ses deux acolytes pour se reposer, passa la première à l’offensive. Elle s’enveloppa de nouveau de son armure de lumière, bondit vers Yakor, et s’empala brusquement sur une stalagmite de roche.

Du sang s’échappa de sa bouche en une lugubre cascade rouge.

— Que ? balbutia Kaufman.

Yakor fit un pas en avant et posa un regard froid sur l’épéiste.

Pris soudain d’une peur panique, ce dernier dégaina son sabre. Sa main gauche projetant la lame fila vers le flanc du Commandant à toute vitesse, mais continua sa course plusieurs mètres plus loin, désolidarisée de son poignet.

Kaufman hurla de douleur en se tenant le poignet, les yeux rivés sur sa main gauche qui roulait sur le sol.

D’un coup sec de l’avant-bras, Yakor se débarrassa du sang de l’épéiste présent sur la tranche de sa main.

Jake, transformé en nuage de sable, pris une forme de lance et se propulsa à toute vitesse sur l’homme en uniforme. Son adversaire, sans même daigner regarder le projectile, frappa le sol de son pied.

Un puissant son sourd, presque métallique, retenti lors de l’impact. La lance de sable fut brutalement projetée vers le sol et s’y écrasa avec lourdeur. L’instant d’après, Jake gisait aux pieds de Yakor, le corps parsemé de multiples hématomes sanguinolents, au bord de l’inconscience.

La main gauche de Kaufman s’arrêta de rouler.

Il ne s’était pas écoulé plus de quelques respirations, et les trois chasseurs de primes étaient déjà vaincus.

Des larmes coulaient à flot sur les joues d’Anita et Gale se grattait la tête d’un air gêné. Ce n’était pas prévu.

Yakor s’approcha lentement de Mandra et posa délicatement la main sur son épaule, puis, il se pencha vers elle pour lui murmurer quelques mots à l’oreille.

— Plutôt crever, articula-t-elle avec difficulté en serrant les dents de douleur. Trouve toi un autre toutou.

La stalagmite qui empalait la cheffe des chasseurs de primes s’agrandit brusquement, creusant un trou encore plus énorme dans son abdomen. Un gargouillis sanguinolent s’échappa de la bouche de Mandra, qui perdit connaissance.

Yakor secoua doucement la tête et ferma les yeux quelques instants, puis les rouvris braqués sur Gale.

— Maintenant, notre Reine, ordonna-t-il avec une pointe de mélancolie.

Une intense réflexion sembla se dérouler dans la tête de Gale. Au bout de quelques instants ou son regard alterna entre les trois chasseurs de primes défaits, il sembla abdiquer et haussa les épaules.

— Très bien, poursuivi l’étranger en soupirant. Désolé mes petits, c’est ici que s’achève votre aventure. Pour le coup, ta sœur avait raison, Kaufman, c’est injuste, mais c’est comme ça : vous aviez perdu d’avance. Désolé de pas avoir pu le prévoir.

Il fixa Yakor avant de continuer :

— Pour ce qui est de votre bien aimée Reine, je suis navré cher Commandant, mais elle n’est plus de ce monde.

Le visage du chef militaire d’Abta se changea en un masque d’effarement et de rage.

— Bonne continuation messieurs ! lâcha Gale d’un ton triste avant de tourner les talons.

Sans que ses yeux ne puissent le suivre, Kaufman vit Yakor apparaître devant son mentor et lui asséner un violent coup de poing.

Gale fut propulsé au sol mais, à la surprise des chasseurs de primes, se releva. Il épousseta sa chemise et regarda Yakor comme un père s’exaspère des bêtises d’un nouveau-né.

— Vous ne me laisserez pas partir tranquille, hein ?

— Non.

— Mais elle était insupportable ! se plaignit l’étranger. Royauté d’Abta par ci, Madame De l’Émeraude par-là, elle m’a fait suer comme jamais je ne l’aurais cru possible. Désolé, mais j’ai très peu de patience avec les monarques qui geignent au moindre petit accro sur leur belle petite vie de rêve.

Il continua, certain sa bonne foi et de la légitimité de son excuse :

— Allez mon bon Yakor, vous trouverez quelqu’un de super pour lui succéder, j’en suis sûr. Maintenant si vous voulez bien, je m’en vais tranquillement.

Visiblement loin d’être d’accord, le militaire frappa le sol de son pied et la terre se souleva.

La surface plate du sol de la place marchande… ondula.

Puis, telle une mer en pleine tempête, de violentes ondes se formèrent tout autour du Commandant. Il tendit le bras vers Gale et des véritables vagues de granit se précipitèrent sur lui.

Kaufman n’avait jamais rien vu de tel. Les dalles grises de plusieurs tonnes se mouvaient toutes seules avec autant de vélocité qu’un cheval au galop.

Soudain le sol s’ouvrit : les dalles formèrent un précipice insondable de plusieurs mètres de diamètre, comme la gueule d’un gigantesque loup minéral.

Yakor ferma brusquement le poing et Gale fut avalé par la terre. Il n’y avait pas d’autre mots pour le décrire. La masse de pierre se referma sur elle-même, enfouissant l’homme au plus profond de la terre en un horrible crissement de granit.

L’épéiste refusait de croire qu’un seul homme puisse générer une telle chose. C’était trop violent, trop démesuré, trop disproportionné pour être réel.

Après avoir vu une telle chose, il comprit les propos de sa sœur. Le chasseur de primes n’en voulait pas à Gale d’avoir voulu s’enfuir : il ne pouvait plus rien et il les avait déjà beaucoup aidés.

Il aurait aimé voir son mentor réussir à survivre, mais il comprenait que c’était perdu d’avance.

Il tourna la tête vers son bourreau et fut stupéfait par son visage. Trois grosses veines ressortaient du front de Yakor, plissé sous l’effort.

Sa mâchoire semblait verrouillée par des vis, les muscles de son cou étaient tendus à l’extrême et son poing tremblant restait fermé.

— Qui es-tu enfoiré… maugréa le chef militaire d’Abta avant de refrapper le sol une nouvelle fois de son pied.

Cette fois ci, pas de vagues : un simple piton rocheux apparu quelques mètres devant lui.

Les bras entravés dans cet énorme pilier de roche noire, Gale souriait.

Malgré ses vêtements en lambeaux, l’homme semblait en parfaite santé.

— Moi qui pensait pouvoir me faire la malle sous terre… confessa-t-il. On ne te la fait pas à toi hein ?

Un début de méfiance sembla naître sous le masque de rage de Yakor. Il jeta un regard derrière lui, comme pour vérifier les personnes présentes sur la place du marché, et tendis le bras sur sa droite.

« Trak »

Claqué plus que prononcé, le mot résonna étrangement aux oreilles de Kaufman et Jake. Un léger ronronnement s’échappa alors des entrailles de la terre, se rapprochant de plus en plus.
Soudain, un objet émergea à toute vitesse du sol dallé, dans une gerbe de roche brisée, et vint cogner plus que rejoindre la main de Yakor qui referma sèchement le poing sur l’arme.

Les chasseurs de primes et les deux Défenseurs restés dans le cratère eurent tous sans exception un glapissement de peur incontrôlé.

Une immense faux noire les menaçait. Sa grandeur irréelle contrastait avec son subtil manche lisse et sombre.

Formant une courbe élégante et sinistre, la lame, noire également, faisait presque deux mètres d’envergure. Sans aucuns détails ni ornements, cette représentation assassine semblait forgée dans un matériau aussi délicat que le verre et pourtant aussi résistant que l’acier. Le contraste de voir un engin de meurtre d’une telle finesse dans le poing d’un homme aussi brutal que Yakor était aussi perturbant qu’effrayant.

Pourtant la peur que les chasseurs de prime ressentirent à la vue de l’arme leur parût bien ridicule en comparaison à ce qu’ils voyaient dans le regard de Gale.

Ils ne l’avaient jamais vu dans cet état.

Leur mentor resta gelé devant l’arme un court instant avant de se libérer d’une simple torsion d’épaules, faisant exploser la structure de pierre de Yakor d’une facilité déconcertante.

— Fils de slard, jura-t-il une fois retombé au sol sans quitter la faux des yeux. C’est bien pire que ce que j’imaginais.

Yakor arma son bras pour frapper, mais Gale disparut brusquement.

— Vous avez de la chance, lança l’homme qui se trouvait désormais derrière Kaufman, vous allez vivre.

Le regard fermé, il semblait tenter – avec un succès très modéré – de camoufler les violentes émotions qui se bousculaient en lui.

Il voulut aider Jake à se relever lorsqu’une gigantesque ombre passa derrière lui. Yakor était déjà à son niveau et tenta de l’embrocher avec la faux.

— Dégage, lâcha un Gale bouillonnant de colère.

Il tendit le poing en direction du ventre du Commandant à une vitesse qui dépassait l’entendement. Yakor fut projeté comme un fagot de paille à travers la place marchande. Il s’écrasa une bonne centaine de mètres plus loin.

— Fais chier, jura l’homme balafré en tenant son poing comme pour le retenir. Lève-toi Kaufman.

Il alla aider Jake à se relever et s’approcha de Mandra.

La femme avait rendu son dernier souffle. Gale souleva délicatement la femme et l’allongea avec Jake à côté d’Anita.

— Assied toi maintenant, dit-il brusquement à Kaufman.

— Faudrait savoir, répliqua Jake avec une pointe d’humour. Tu voulais qu’il se lève, maintenant tu veux qu’il s’assoie, au bout d’un moment il…

— Silence, lui intima Gale d’un ton qui ne laissait aucune possibilité de réponse. Tain, ça fait longtemps que j’ai pas fait ça. J’espère ne pas avoir perdu la main.

Leur mentor se mit à réaliser des gestes incompréhensibles dans les airs. Puis, il creusa dans la roche à l’aide de ses seules mains un cercle autour des quatre blessés. Il se releva, abattit son poing dans le vide et le remonta brusquement.

Rien ne se passa.

Il reprit la parole, ignorant l’expression interloquée de Jake et Kaufman, persuadés qu’il avait perdu la tête.

— Ne dépassez ce cercle sous aucun prétexte si vous tenez à la vie.

Il soupira.

— Bien. Messieurs, ouvrez grand vos yeux, ceci sera ma dernière leçon.

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