Chapitre 22

9 minutes de lecture

— Commandant ! cria l’un des deux Défenseurs encore au centre du cratère formé par Yakor, paniqué par l’attaque invisible que ce dernier avait encaissée.

— Calme toi Feign, répondit sa collègue cerclé 2. C’est un leurre. Crois-tu vraiment que le chef mordrait la poussière en un seul coup ?

— Pardon Mush, tu as raison : je le vois revenir.

Yakor marchait en effet vers Gale. Feign eu cependant du mal à garder son sang-froid en voyant son supérieur : boîtant presque, il tenait son abdomen de sa main libre et traînait sa gigantesque faux sur le sol.

— Espèce de… cracha-t-il en direction de l’homme balafré.

Il prit appuis sur son arme et respira profondément.

— On le massacre ensemble, chef ! aboya Mush sans attendre la réponse de sa partenaire.

En voyant ce nouvel adversaire s’avancer, Gale soupira de nouveau.

— Savez-vous ce qu’est l’Eno, chers disciples ? demanda-t-il a Jake et Kaufman.

Ils secouèrent la tête, trop affaiblis pour gaspiller leur énergie à parler.

— Pas étonnant, répondit leur mentor en secouant la tête de consternation. Par contre cet énergumène de Yakor en face de vous là, croyez-moi, sait parfaitement ce que c’est. Enfin bref, nous sommes pressés : je n’ai ni le temps ni la volonté de vous faire un exposé complet. Sachez tout d’abord que l’Eno est présent partout autour de vous, mais invisible à l’œil.

— Comme l’air ? demanda Kaufman.

— Oui, mais non. Bref, il a de multiples utilisations et de multiples formes. L’un de ses usages les plus basiques est la génération d’énergie. L’Eno peut s’exprimer physiquement : soit transformé, soit sous sa forme pure.

— Beaucoup de blabla pour quelque chose qu’on ne peut pas voir… maugréa Jake.

Mush avait parcouru la moitié de la distance la séparant du groupe. Elle accéléra en sortant une énorme double lame de sa cape et l’agita dans le vide avec exaltation.

— Vos yeux ne le voient pas car sa densité n’est pas assez élevée, continua Gale sans s’inquiéter de la menace approchante. Mais si vous apprenez à manipuler l’Eno, avec un peu de pratique et de talent, vous pourrez en concentrer suffisamment pour le percevoir.

Sur ces paroles, Gale agita les doigts dans les airs comme pour tisser quelque chose et une petite sphère de la taille d’une bille apparut dans la main de l’homme. D’abord translucide, elle vira petit à petit au bleu au fur et à mesure des mouvements de leur mentor.

— Vous voyez ? dit-il en leur montrant son œuvre. Ceci est de l’Eno pur. Sous cette forme, il n’y a probablement rien à en faire pour vous, mais au moins vous constatez son existence.

— Pour nous ? se vexa Kaufman. Et vous, que pouvez-vous faire avec une si petite chose ?

En guise de réponse, Gale daigna enfin se retourner vers la Défenseure assoiffée de sang qui sprintait vers lui. Il plissa les yeux et chercha quelque chose du regard puis, l’air satisfait, fit trois petits pas de côté sans quitter Mush des yeux. Il pivota lentement les épaules et leva son bras tenant la bille d’Eno comme pour la lancer.

— MUSH, FEIGN, ATTENTION, s’égosilla soudain Yakor. CE TYPE…

Une détonation d’une violence inouïe retentie, couvrant le reste de la phrase du Commandant. Le bord du cratère créé par ce dernier explosa en propulsant en l’air plusieurs tonnes de pierres.

Kaufman fixait son mentor, bouche bée. L’épéiste ne pouvait pas croire qu’un simple lancer de bille avait causé un tel ravage.

Jake quant à lui observait la Défenseure et n’en revenait pas non plus. Il vit Mush s’affaler sur le sol en même temps que sa collègue Feign au centre du cratère, plusieurs dizaines de mètres plus loin.

Les deux cerclés 2 étaient alignés avec Yakor.

Un petit trou de la taille d’une bille au milieu de leur front.

Yakor fixa avec consternation le corps sans vie de ses deux soldats.

Un inconnu avait buté d’un seul coup ses deux meilleurs combattants.

C’en était trop. Oubliant sa douleur à l’abdomen, il souleva sa faux et bondit en direction de Gale.

Ce dernier créa une nouvelle bille d’Eno et s’adressa aux chasseurs de primes :

— Vous voyez, plutôt pratique non ? Bon, m’est avis que celui-là ne se laissera pas avoir aussi facilement. Mais bon, sait-on jamais !

Il répéta la manœuvre et lança la bille sur Yakor avec une vélocité prodigieuse. Le projectile fit un trou dans le front du Défenseur.

— Mouais, maugréa cependant Gale. Fallait s’y attendre.

La silhouette de son adversaire vacilla et se transforma peu à peu en pierre. Un deuxième Yakor – son torse – apparut à ses pieds, brandissant la gigantesque lame.

Gale enfonça brutalement le talon dans le sol, brisant la roche et révélant l’entièreté du corps du Commandant, et avant que ce dernier ne puisse envoyer son coup, lui asséna un violent coup de pied au menton.

Le choc projeta le Défenseur avec une telle force que son corps creusa un sillon dans le granit : aussi épaisses soit-t-elles, les dalles de la place du marché n’arrêtèrent le corps qu’au bout d’une dizaine de mètres de bourdonnement rocailleux.

Sans lui laisser le temps de riposter, Gale fondit sur son opposant à la vitesse de l’éclair : il lui saisit le col d’une main et frappa son torse de l’autre. Le coup fut sourd et brutal : l’onde de choc se répercuta plusieurs mètres autour des deux combattants et la roche sous le corps Yakor se craquela sous la pression de l’attaque.

Jake n’avait jamais vu un tel déploiement de force brute. L’homme qu’il avait cru inoffensif était en train de donner une raclée à la personne la plus puissante d’Abta.

Yakor ne semblait cependant pas si affecté, encaissant très bien les coups.

Gale se préparait à envoyer un deuxième coup de poing lorsqu’un son métallique retentit au-dessus de sa tête.

L’origine de son ne lui plaisait pas du tout.

Un amas sphérique de roche noire bourdonnait quelques mètres au-dessus de sa tête. Un bruit sourd, artificiel et strident en sortait. De la roche d’une densité prodigieuse semblait s’agglutiner et s’entrechoquer avec force. La friction que cela engendrait était assourdissante et semblait générer un champ magnétique qui…

SKRIUUUM

Pour la première fois depuis le début du combat, Kaufman vit son mentor esquiver.

Il ne pouvait pas lui donner tort. L’ampleur de l’attaque était telle qu’elle rangeait la déflagration de flammes d’Anita au rang de pichenette. Il n’avait jamais vu cela et n’aurait jamais pu l’imaginer.

Une faille gigantesque séparait désormais les deux combattants. Sa largeur – un bon mètre – était certes impressionnante, mais c’était surtout sa profondeur et sa longueur qui laissa les chasseurs de primes pantois.

La profondeur de la brèche était insondable : on ne pouvait rien y distinguer d’autre que la noirceur des entrailles d’Abta.

Quant à sa longueur, Jake eu beau cligner des yeux pour éclaircir sa vision, il ne parvint pas à voir où se terminait la crevasse. L’entaille que Yakor avait fait à la terre s’étendait à perte de vue vers l’est.

— Eh bah, sifflota Gale à l’attention de son adversaire. Avec un peu plus de maîtrise et de rapidité d’exécution, cette technique aurait pu t’emmener loin mon p’tit gars. Mais tu te laisses emporter, tu devrais savoir ce qu’il peut en coûter d’utiliser une attaque d’une telle ampleur ici. On est pas en Zone Régulée n’est-ce pas ?

Le Commandant d’Abta paraissait affolé.

— Tu ne sais rien étranger, grogna-t-il. Tu es venu fourrer ton nez dans une histoire qui ne te regarde absolument pas.

— Je sais bien, admis Gale. Mon plan était d’ailleurs de ne donner qu’un petit coup de pouce à ces braves personnes qui ne demandaient rien de plus que la justice.

— La justice ! cracha Yakor. Quelle noble cause... Ça n’a amené que le chaos et la guerre.

Gale acquiesça, compréhensif, avant de répliquer :

—Vois-tu, cette arme que tu as sortie change la donne. J’ai un passé tumultueux avec tes maîtres.

Ces propos scellèrent la résolution de Yakor. La faux dans sa main droite se mit à vibrer dangereusement.

— T’en a plus rien à foutre hein ? lâcha Gale avant de croiser précipitamment ses avant-bras devant sa gorge.

Ce geste lui évita sans doute d’être décapité.

Comme mû par une volonté propre, la lame noire de l’Artefact s’étira et fondit tel un serpent affamé sur la gorge de Gale. L’arme creusa un sillon ensanglanté sur les avant-bras de l’homme, qui se propulsa en arrière.

Les deux hommes se relevèrent avec difficulté. Yakor semblait très essoufflé : l’attaque qu’il venait de porter n’était sans doute pas sans conséquence sur ses réserves d’énergie.

Gale tenta une négociation :

— Je propose de nous arrêter là. Laisse-moi partir, je te laisserai tranquille.

— Va… Chier… haleta Yakor.

— Allons, mon cher Commandant ! Ouvre les yeux, tu ne tiens plus debout ! Ta seule chance de me tuer est d’utiliser la Faux, et tu sais comme moi que tu ne sais que partiellement l’utiliser. Encore une attaque comme celle-ci et tu ne pourras même plus bouger le petit doigt.

Les mots firent mouche.

Après quelques instants d’hésitation, Yakor jura :

— Tires toi d’ici et ne revient jamais.

— Entendu, acquiesça l’homme balafré.

Horrifiés, Jake et Kaufman virent leur mentor disparaître.

Yakor se retourna alors et s’approcha d’eux d’un pas lourd et menaçant.

— Éloignez-vous d’Anita et je l’épargnerais, gronda le Défenseur.

— Plutôt crever, rétorqua Jake.

— Ça sera fait.

Arrivé à leur hauteur, le Commandant d’Abta brandit son immense faux et voulut l’abattre sur les chasseurs de primes.

Son bras et son arme furent violements emportés par une masse invisible.

Boum

Avec un délai incompréhensible, une détonation assourdissante se fit entendre et une bourrasque de vent s’abattit sur le groupe.

— Quel abruti, ricana Yakor en se tenant l’épaule droite d’où le sang coulait à flots. Il a dû finir trois Zones plus loin avec une telle inertie.

Il ne semblait pas surpris par cette attaque. De la roche se matérialisa sur sa plaie béante et un bras de pierre remplaça son membre manquant.

— Finissons-en avant qu’il n’ait le temps de revenir.

Il voulut saisir la gorge de Kaufman mais sa main se heurta à un obstacle invisible. Blessé, furieux et désespéré, il frappa de toute ses forces le champ de force qui le séparait des chasseurs de primes.

Une bulle bleue partant du cercle de roche créé auparavant par Gale scintilla en absorbant le choc avant de redevenir invisible.

Poussant un hurlement de rage, il frappa le sol du pied et une quantité astronomique de roche s’agglutina au-dessus de lui. De plus en plus de dalles quittèrent leur emplacement pour se compresser dans la sphère de Yakor.

L’attaque semblait presque prête à être lancée lorsqu’une dalle passa entre le Défenseur et le soleil couchant, projetant une grande ombre aux pieds du Commandant.

En un battement de cil, l’ombre s’élargit et se matérialisa derrière l’homme en une forme fantomatique.

Une silhouette drapée dans l’obscurité, dont on ne distinguait que deux sinistres yeux rouges, brandit une gigantesque faux noire.

— Voilà comment on utilise cette arme, murmura la silhouette.

Gale découpa Yakor en deux par la diagonale.

Les deux parties du corps du Commandant tombèrent lourdement sur le sol. Au lieu de créer une grande mare de liquide rouge, le sang de Yakor s’éleva lugubrement dans les airs pour venir rejoindre la sphère de roc, qui pris une teinte écarlate.

Le phénomène créé par Yakor continuait de compresser la roche en crissant sous la pression, puis, brusquement, explosa.

L’entaille fut moins puissante que la précédente, mais suffit largement à briser le bouclier d’Eno protégeant les chasseurs de primes.

L’onde de choc passa à quelques millimètres du visage de Kaufman, à peine plus de l’épaule de Jake et manqua d’amputer les jambes d’Anita.

Le corps de Mandra fut lui englouti par l’attaque qui créa une deuxième faille sur la place du marché d’Abta.

Furent-ils placés autrement, les deux chasseurs de primes et la Défenseure seraient morts sur le coup.

­— Eh bah ! siffla Gale. Vous avez toujours autant de chance vous deux. Cette chère Mandra vous a encore une fois sauvé la mise.

— Pour la dernière fois, rétorqua Jake d’un air lugubre.

— Oui c’est dommage, acquiesça l’homme aux cicatrices. Elle était chouette.

— Elle ne serait peut-être pas morte si vous vous étiez décidé à agir avant, reprocha Kaufman. Au lieu de faire le couard et vous sauver ainsi…

— C’est vrai, admis Gale à la surprise des chasseurs de primes. Il y a quelque chose que je voulais éviter et ce n’était pas compatible avec le fait de vous sauver.

— Et cette… Faux noire a changé les choses ?

— En quelque sorte.

— Pourquoi ? demanda Anita, sortant de son mutisme.

— J’ai des… Différents avec les personnes qui ont donné cette arme à Yakor.

Le regard de l’étranger se perdit dans l’horizon. Il répondit en chuchotant presque :

— Je n’ai pas pu m’en empêcher.

— Ça ne vous ressemble pas, gronda Kaufman.

Gale les regarda d’un œil triste.

— Je n’ai jamais prétendu être une bonne personne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Aïro ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0