Chapitre 10

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La fuite se passait bien : plusieurs semaines s’étaient écoulées sans le moindre de signe de leurs poursuivants. Le groupe avait dépassé la caverne au drake et avait avancé aussi vite que possible au cœur des Montagnes, s’enfonçant en elles parmi forêts de pins et pentes rocailleuses escarpées.

Évitant le plus possible les sentiers, ils furent vite contraints d’abandonner les chevaux et progressèrent donc laborieusement parmi collines, falaises et rivières. Jake était à la limite de l’épuisement à force de dormir dans le froid et de porter Mandra sur son dos toute la journée.

Gale fut cependant d’une aide inestimable durant tout ce périple. Il révéla une force physique en accord avec son imposante masse de muscle et porta Kaufman sur son dos sans se plaindre ni manifester le moindre signe de fatigue, allant même jusqu’à prendre de l’avance sur Jake pour monter un camp de fortune à la tombée de la nuit – généralement quatre lits composés d’aiguilles ou feuilles d’arbres. Il en profitait également pour chercher de quoi manger, généralement des baies et si ils étaient chanceux, du gibier.

Au bout de deux semaines ils osèrent faire du feu, jugeant la possibilité que leurs poursuivants les repèrent faible.
Pouvoir cuire la viande chassée et se réchauffer pendant la nuit fut d’un confort inestimable : Jake avança plus rapidement grâce à cela et au bout de la troisième semaine, ils trouvèrent l’endroit idéal.

C’était une petite vallée nichée entre deux gigantesques monts rocheux, abritant une forêt d’arbres d’assez grande taille filtrant doucement la lumière du soleil de printemps. Un cours d’eau se déversait sur le côté ouest et regorgeait de poissons tous très appétissants.

Attestant là encore d’une endurance et force physique incroyable, Gale construit un petit abri en bois en amont de la vallée et ils y installèrent Mandra et Kaufman qui purent enfin se reposer dans de bonnes conditions. L’état de l’épéiste s’améliorait de jour en jour et si ses côtes brisées ne lui permettaient de marcher que quelques minutes par jour, il retrouvait peu à peu son énergie.

La cheffe des chasseurs de primes posait plus de problèmes : âgée d’une soixantaine d’années, elle ne devait sa survie qu’a un corps parfaitement entretenu et maintenu en forme.
Elle était cependant en grande souffrance permanente, les brûlures de son corps guérissant moins vite que les feuilles poussaient sur les arbres de la vallée.

Elle dormait le plus clair de son temps et consacrait toute son énergie à boire et à manger avant de sombrer de nouveau dans un sommeil de plomb.

Le membre estropié de Jake cicatrisait bien et il était en pleine forme après quelques jours. Le trajet avait été éprouvant et lui et Gale n’avaient guère eu l’occasion de bavarder : profitant donc d’une après-midi ensoleillée passée à pêcher ensemble dans le cours d’eau, Gale se laissa aller à sa curiosité.

— J’ai quelques questions, fit l’homme balafré, si tu veux bien y répondre.

— Je me vois mal refuser, avoua Jake.

— Et bien… hésita Gale en se grattant la tête, déjà, Abta. Parle-moi de ce monde.

— Mmmh… j’ai jamais eu à répondre à une telle question avant.

Le barbu réfléchit quelques temps avant de continuer :

Il y a la capitale, où règne la famille De l’Émeraude depuis des siècles. Dans un rayon proche, des pâturages, des champs de céréales et autres terres cultivées. Au sud-ouest, la Grande Forêt et au sud-est, les Montagnes dans lesquelles nous nous trouvons actuellement. Personne n’est censé ignorer cela.

— Et au nord ?

— La capitale, répliqua Jake, confus. Je te l’ai déjà dit.

— Non, au nord de la capitale, corrigea Gale.

— Ah, ben la Frontière. Tout comme au sud des Montagnes.

— Qu’est-ce que la Frontière, mon ami ?

Jake était très déconcerté par le manque de connaissances de son sauveur.

— Attend je pige pas. Tu sais ce que c’est une forêt, tu sais ce qu’est une montagne, des pâturages ou des champs. Pourquoi tu ne sais pas ce qu’est la Frontière ?

— Certains de mes souvenirs sont flous, répondit Gale, évasif.

— D’accord, accepta l’homme barbu sans insister. La Frontière, donc.

— S’il te plait, oui.

— C’est… hésita Jake, cherchant ses mots. C’est comme un mur. Tu sais ce qu’est un mur ?

— Oui, merci, ironisa l’homme aux cicatrises.

— Bon. Bah imagine un mur, mais incassable, infranchissable et qui s’élève plus haut que le ciel.

— Et ce mur est au nord d’Abta ?

— Ainsi qu’à l’est, à l’ouest et au sud. Il est partout autour du monde, formant un cercle grossier. Personne n’a jamais réussi à le franchir, si tant est qu’il y a quelque chose derrière. Il ressemble à … Comment pourrais-je te le décrire. Ah ! Tu te souviens de la barrière qui bloquait l’entrée – et la sortie – de la caverne au drake où on s’est rencontré ?

— Parfaitement, affirma Gale.

— Et bien c’est pareil, mais sans la couleur verte et sans la possibilité de prier pour que ça s’ouvre.

— Je vois. Intéressant.

— Moais, à force c’est plutôt frustrant. Se demander sans cesse si il y a quelque chose derrière un truc infranchissable, ça a de quoi rapetisser le monde et provoquer l’ennui.

— Je peux comprendre. Est-ce pour ça que tu es devenu chasseur de primes ?

Jake marqua un temps de silence.

— En partie, ouais. À la base, je trouvais ça simplement marrant, de buter des Monstres. J’avais un pouvoir qui me rendais quasiment intouchable et un bon Artefact pour les réduire en miettes.

— Cette fameuse arme verte ? s’interrogea Gale. Désolé qu’il se soit perdu dans la caverne. Comment l’avais-tu obtenu ?

Le chasseur de prime détourna le regard et répondit d’un ton grave :

— Un parent à moi.

— Et comment ce parent l’avait obtenu ?

— Navré, cette question-là, je ne peux pas y répondre.

Compréhensif, Gale clôtura la discussion et proposa à Jake de ramener le fruit de leur pêche à la cabane.

Kaufman était levé. Il les accueilli avec un grand sourire, affirmant qu’il se sentait très bien aujourd’hui. Ses blessures allaient beaucoup mieux et il pouvait faire un peu d’exercice physique.

— Bien, se réjouit Gale en constatant les progrès de l’épéiste. Demain, nous débuterons.

Jake et Kaufman l’interrogèrent du regard.

— Débuter quoi ? demanda le barbu.

— Votre entrainement bien sûr. Vous ne croyez quand même pas que le reste de votre vie va se résumer à cette vallée, ses poissons et ses arbres ?

Le duo avoua qu’il n’avait pas envisagé d’autre alternative.

— Je te jure, se plaignît l’homme aux cicatrices, consterné. Demain, vous entrerez dans la phase la plus difficile de toute votre courte existence. Et après ça, vous me ferez le plaisir de retourner à la capitale botter le cul de ces foutus Défenseurs.

Le croyant devenu fou, Kaufman secoua la tête :

— Arrête un peu, Gale. Tu as bien vu ce qu’ils m’ont fait, à moi et à Mandra. Tes tours de passe-passe nous ont permis d’éviter la mort et je t’en remercie, mais ne croit pas une seconde que nous soyons capables de tenir tête à tous les Défenseurs d’Abta, surtout les cerclés. Franchement, vivre ici, c’est le meilleur que nous puissions rêver.

— Tu as donc si peu d’ambition que ça, Kauffie ? demanda une voix faible.

Mandra s’était levée et avait volontairement utilisé le surnom de l’épéiste pour le provoquer, avec succès.

— Ce n’est pas une question de…

— Suffit, l’interrompit sa supérieure. Demain, vous me ferez le plaisir d’écouter et de suivre à la lettre toutes les consignes de ce type. Ce n’est pas discutable.

Sur ces paroles, la vieille femme retourna en boîtant dans l’obscurité de la cabane, un poisson grillé en main.

— Elle parle comme si il restait une quelconque hiérarchie entre nous, s’offusqua Kaufman. C’est fini, on ne jouera plus jamais aux chasseurs de primes.

— Hey, ça coûte quoi ? demanda Jake.

— De quoi ?

— D’essayer, renchérit-t-il. Ne me refais pas le coup du type qui baisse les bras ! Tu veux continuer à rester dans l’ombre de ta sœur ?

Pire, me laisser foutre une raclée à Kurtis tout seul pendant que tu resteras ici à pêcher et manger des racines ?

La provocation était facile et puérile.

Kaufman fut le premier levé à l’aube le lendemain.

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