Chapitre 11

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L’épéiste fut rejoint par Jake peu de temps après.

— Ne crois donc pas une seule seconde que je sois convaincu.

— Qu’est-ce que tu fous ici, alors, bailla le barbu.

— Je me suis réveillé et pas moyen de me rendormir.

— Mon cul, s’amusa Jake. T’arrives tellement pas à digérer ta défaite contre Kurtis que tu préfères donner sa chance à cet inconnu, même si t’es persuadé que son enseignement ne te sera d’aucune utilité. Je lis en toi comme dans un livre, tu sais ?

— Ferme là, jura l’épéiste.

Les cheveux ébouriffés et le visage encore bouffi par le sommeil, Gale sorti de la cabane et invita le duo à le suivre en contrebas de la vallée.

Ils débouchèrent sur une petite clairière au milieu de laquelle se trouvait un gigantesque bloc de granit faisant tache avec le reste de l’environnement. Kaufman se demanda comment un tel rocher s’était retrouvé dans cette clairière. Il envisagea un instant la possibilité que Gale l’ai transporté mais réfuta rapidement cette hypothèse en constatant la taille du bloc – dix bons mètres de hauteur pour presque autant de large.

Leur instructeur improvisé s’adossa au rocher et les jaugea du regard.

— Bon. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, il est hors de question que je vous mâche le travail et que je vous dise tout ce qu’il y a à savoir pour faire de vous de véritables combattants.

— Comme si il en était capable… murmura Kaufman.

— Par contre, continua Gale en ignorant la remarque, je peux corriger un peu le tir et combler vos principales lacunes et pourquoi pas vous donner un petit coup de pouce pour comprendre quelques trucs. Compris ?

Les chasseurs de primes acquiescèrent mollement.

— Très bien. Je vais être franc avec vous messieurs, pour votre âge vous êtes plutôt doués.

— C’est trop d’honneurs, ironisa Jake. Que peux-tu nous apprendre dans ce cas ?

— Plutôt doué dans un domaine, précisa Gale. Vous avez beaucoup d’expérience au combat : vous jaugez bien les situations et vos adversaires, vous avez de bons réflexes, une bonne endurance ainsi qu’une force physique plus que correcte.
Mais tout cela, les aptitudes physiques, ce n’est que la moitié de la puissance d’un individu, et si vous êtes doués sur ce point, il y en a un autre qui est totalement différent. Vous voyez ou je veux en venir ?

— Pas du tout, répliqua Kaufman. Je vois pas comment tout cela ne peut faire que 50% de la puissance de quelqu’un.

—Petite devinette. Qu’est ce qui a permis à Kurtis de mettre Jake hors combat avant même que le combat n’ait commencé ? Qu’est ce qui, à votre avis, a permis à Anita de prendre le dessus sur Mandra alors que leurs prouesses physiques semblaient égalées ? Vous avez un bon corps messieurs, que vous utilisez superbement bien, mais vous ignorez tout une partie de votre arsenal et cela vous a été quasi fatal à de maintes reprises !

— Le Pouvoir, compris Jake.

— Exactement ! Et là encore je vais être direct avec vous : vous êtes des tanches. Des nuls. Des zéros. Je n’ai jamais vu ça, je suis sûr que certains gamins utilisent mieux leur Pouvoir que vous. C’est quoi votre problème pour vous créer un tel handicap ?

Le duo paraissait très gêné.

— On en a jamais eu besoin, je suppose.

Gale claqua sa main sur son front.

—Ils sont tous comme ça, les chasseurs de primes ? Vous n’avez pas une formation à l’école ? Un camp d’entraînement au Pouvoir ?

— Rien de tout ça, admis Jake. La seule chose à Abta qui se rapproche de ces choses-là c’est l’éducation au Pouvoir que reçoivent les Défenseurs. Mais c’est réservé uniquement à cette « élite ».

— Tiens donc. Utile pour mater les mauvais éléments le jour où ils font un peu trop de vagues. Ça me motive d’autant plus à mettre un pied dans tout ça, y’a rien de joli dans votre beau système de Défenseurs.

Gale secoua la tête et se recentra :

— Bref ! Commençons : Jake, je connais ton Pouvoir mais pas toi Kaufman. Montre-moi.

L’intéressé se renfrogna et regarda le sol, la mine déconfite.

— Je n’en ai pas, affirma-t-il.

Pendant une fraction de seconde, le visage de Gale devint plus expressif que Jake ne l’avait jamais vu être, révélant une stupeur et un trouble d’une intensité inouïe. Puis l’homme se ressaisit aussitôt en percevant la désapprobation du barbu envers son collègue.

— À d’autres, lança l’instructeur avec un sourire. Aller, on se dépêche. Tu ne vas pas me faire croire que tu n’oses pas te révéler à quelqu’un qui t’as porté sur son dos en changeant tes bandages régulièrement pendant plusieurs jours ?

L’épéiste acquiesça à contrecœur et, timidement, tendis le bras devant lui. Le visage rouge vif, il ouvrit la paume de la main vers le ciel et rien ne se passa.

Puis, très lentement, une lueur naquit de sa main. Une lumière blanche et surnaturelle y apparue, contrastant avec la lumière chaude du soleil du matin.

N’osant regarder quiconque dans les yeux, Kaufman avait les lèvres serrées et paraissait souffrir le martyre, embarrassé par son Pouvoir.

— Relève la tête, jeune homme, ordonna Gale, soudainement très sérieux. De quoi as-tu honte ?

La manière qu’avait l’homme balafré de l’infantiliser alors qu’il ne paraissait pas beaucoup plus vieux que lui aggrava le sentiment d’agacement de l’épéiste.

— Vous voyez bien, pourtant ! explosa-t-il. Ce truc est complètement inutile !

— Pas du tout, contesta Gale, écoute, si tu…

Il fut interrompu par la fureur de Kaufman.

— Non, vous écoutez ! Arrêtez un peu ! Depuis mes six ans je suis la risée de tout le monde : mes camarades, ma famille, mes professeurs. Le lampion, on m’appelait… Si vous saviez combien de fois j’ai été tabassé par les autres enfants !

— Merde, Kauf… s’émeut Jake en posant une main amicale sur l’épaule de son compagnon.

Main qui fut violemment repoussée par Kaufman, qui continua à épancher sa colère :

—Je ne pouvais pas me défendre, mon poignet gauche est incapable de manier quoi que ce soit dorénavant… Ils se croyaient si supérieurs de par leur Pouvoir toujours un minimum utile et, vous savez quoi ? Ils avaient raison ! Je ne leur arrivait pas à la cheville avec cette merde de lumière !

Des larmes se mirent à couler le long des joues du chasseur de prime qui semblait ne plus pouvoir s’arrêter.

— Certains pouvaient devenir invisible, poursuivi-t-il, d’autres se transformer en glace. Et moi ? ET MOI ? HAHA ! Kaufman Bergen, frère d’Anita la plus grande prodige du village ? Moi, je pouvais éclairer dans le noir… Voilà ! Ça nous fait une belle jambe hein ! Voilà ce que je suis et pourquoi je ne dépasserais jamais Kurtis ou personne d’autre, puisque comme vous le dites, je suis dépassé sur la bonne moitié des aptitudes normalement requises pour un combattant !
Quand j’ai quitté ma bourgade pour venir à la Cité, j’ai réussi à faire croire à tout le monde, y compris à Jake, que je cachais un redoutable Pouvoir dont je n’avais même pas besoin pour vaincre des Monstres.
Risible, hein ? Mais pourtant je peux vous dire une chose : ça ne m’a apporté que du bien ! Personne pour me moquer, personne pour me sous-estimer, c’était la belle vie… Jusqu’à ce que… Putain…

La longue tirade de l’épéiste, dont les larmes continuaient à couler, fut interrompue brusquement par un corps musclé couvert de cicatrices l’enlaçant de toute sa massivité.

À la grande surprise de Jake, Gale pleurait lui aussi. Il maintint Kaufman dans ses bras pendant de nombreuses secondes et finit par murmurer doucement à l’oreille de l’épéiste :

— Je comprends. Si tu savais comme je comprends, Kaufman. Je suis désolé. Tu n’aurais pas dû subir tout ça.

Il essuya ses larmes ainsi que celles du chasseur de primes d’un geste tendre et affectif.

— Ton Pouvoir fait partie de toi bonhomme, continua Gale. Il est peut-être différent de celui des autres, mais il fait partie de toi. On aurait jamais dû s’en prendre à toi à cause de ce que tu n’as pas choisi, c’est totalement injuste.

Kaufman acquiesça et de nouvelles larmes coulèrent sur son visage.

— Ce que tu as vécu à dû être très difficile. Nous sommes intimement liés à notre Pouvoir et le cacher ainsi est… Bref, je comprendrais que tu refuses d’utiliser ce Pouvoir ou de travailler dessus d’une quelconque manière.

Mais voici ma promesse, Kaufman : si tu le souhaites, ensemble, on peut faire en sorte que tu te réappropries ton Pouvoir. Je peux t’aider à en faire une force redoutable qui fera trembler tes ennemis et prouvera à ceux qui se sont moqué de toi qu’ils avaient tort de le faire. Je peux t’aider à en être fier. Très fier.

Incapable de prononcer un seul mot, l’épéiste hocha violemment la tête de bas en haut, dispersant ses larmes sur toute la clairière, une flamme naissante dans les yeux.

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