Chapitre 9

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La nuit tombée, Kaufman s’effondrait à l’abri des regards dans une vieille ferme en ruine. Jake s’était réveillé quelques minutes après leur sortie de la cité et avait aidé son compagnon à s’éloigner le plus possible d’Abta et des Défenseurs.

L’homme barbu avait découvert son ami en piteux état. Le visage couvert d’hématomes, plusieurs côtés brisées, il ne comprenait pas comment il avait pu tenir debout jusque-là.

Se maudissant de n’avoir servi à rien de toute la bataille, Jake sorti rassembler quelques fruits sauvages, graines et racines et mastiqua son maigre repas en montant la garde, laissant Kaufman se reposer autant que possible.

Le repos de son camarade ne fut cependant pas très long : des pas se firent entendre dans l’environnement silencieux de la campagne Abtienne. Se préparant à voir arriver Anita et tout un contingent de Défenseurs, il réveilla l’épéiste et lui intima de se préparer à fuir de nouveau.

Mais il découvrit Gale, portant une Mandra inconsciente encore plus mal en point que Kaufman.
Les écorchures jonchant le corps de la femme, sa cheville déplacée dans le mauvais sens ou encore ses innombrables contusions paraissaient comme des détails insignifiants en contraste avec ce qui se révéla à Kaufman à la lumière de la lune.

La moitié du visage de Mandra et tout son bras gauche étaient couverts d’épouvantables brûlures. Les cloques laissaient sa peau rosie totalement à vif et le visage de la femme n’était qu’un masque souffrance.

— Elle est en vie, pour le moment, murmura gravement le nouvel arrivant, qui posa la femme délicatement sur un tas de paille à côté de Kaufman.

— Comment nous avez-vous trouvé ? demanda Jake.

— J’ai suivi un groupe de Défenseur qui montaient des chevaux dans cette direction, répondit Gale.

— Je suppose que vous demandez comment vous êtes arrivé avant eux est inutile ?

— Tu commences à saisir, mon petit ! répliqua l’étrange homme.

— Bon, soupira le chasseur de prime. Barrons-nous d’ici avant qu’ils rappliquent.

— Oh je ne m’en ferais pas pour ce groupe là si j’étais toi. Par contre il en viendra surement d’autres au petit matin, c’est peut-être ça le plus problématique.

— Si on se cache bien, impossible qu’ils nous trouvent aussi facilement, le contredit le chasseur de prime.

— Je n’en suis pas si sûr. Le groupe que j’ai suivi ici semblait connaître votre emplacement avec exactitude.

Jake fut étonné de cet affirmation : il n’avait jamais entendu de Pouvoir chez un Défenseur qui leur permettrait de les pister avec autant de précision.

— Reste les Artefacts, mon ami, renchérit l’homme aux cicatrices. Mais je doute que ces types possèdent quelque chose d’assez puissant pour vous détecter à distance à leur guise sans aucune condition. Non, c’est plus simple selon moi. Déshabille-toi !

— Pardon ? lâcha Jake, surpris.

— Tu m’as bien entendu, déshabille-toi ! Et ton collègue également, ils ont dû vous coller un traceur.

Avant que Jake ne puisse continuer à protester, la voix faible de Kaufman résonna dans l’ancienne ferme :

— Les bagues.

L’homme barbu interrogea l’épéiste du regard.

— Les bagues, Jake, continua celui-ci en désignant l’anneau doré à l’annulaire gauche de son collègue.

Ils examinèrent l’anneau serti d’une petite pierre verte au doigt de la main restante de Jake, le visage inquiet.

— Je savais bien que ce truc était louche, murmura avec appréhension le chasseur de prime.

— Et tu avais peut-être raison ! affirma Gale.

— Comment être sûr que c’est bien le traceur ?

— Facile, essaye de l’enlever !

Jake tenta donc de tirer dessus avec ses dents. Après plusieurs secondes d’effort intense, il ressorti son doigt de sa bouche, la bague toujours parfaitement en place.

— Le coupable est donc tout trouvé ! s’amusa l’homme balafré.

Jake se leva et se saisit d’un gros marteau rouillé qui gisait dans le coin de la pièce.

— Je ne ferais pas ça si j’étais toi.

L’intéressé hésita, fit mine d’armer le marteau pour l’abattre sur son doigt, puis se ravisa. La dernière fois que cet homme avait donné un tel conseil, il était pertinent. Tout comme la plupart de ceux qu’il prodiguait, d’ailleurs.

— Que doit-on faire dans ce cas, désespéra Jake en s’en remettant à Gale.

— Ah, ça va pas te plaire, mon gaillard, rétorqua celui-ci.

Le visage de Jake devint livide.

— Aller, railla Gale, il y a une semaine tu en perdais cinq en même temps que ton bras droit. Perdre un sixième ne devrait pas faire tant de différence que cela, si ?

— Si, justement, grogna Jake. Vous ne pouvez pas savoir ce que ça fait, vous, évidemment.

L’homme aux cicatrices éclata de rire :

— Oh ! J’ai perdu des choses bien plus importantes que des doigts. Bon, on se met au travail ?

Gale sorti un petit poignard de sa poche et agita insouciamment la lame de gauche à droite.

— Enlève moi ce sourire de merde de ton visage, menaça Jake en présentant malgré tout son annulaire posé sur le sol. Je te mettrais mon poing dans la figure si tu n’avais pas sauvé Mandra.

Il ferma les yeux et tout son corps se contracta, entendant Gale se préparer et se placer à côté de lui. Il lui chuchota doucement :

— Détend toi, ça ne fera qu’empirer les choses si tu es tendu comme ça.

— FERME LA ET VAS-Y, cria Jake, tendu à l’extrême.

Le chasseur de prime attendit, à l’affut de l’épouvantable douleur qui suivrait le découpage de son doigt. Il attendit, de nombreuses secondes, se contractant de plus en plus. Il attendit encore et, n’en pouvant plus, il ouvrit les yeux pour réprimander Gale qu’il trouva hilare, se tapant sur le ventre en le pointant du doigt.

— Je t’ai bien eu ! Tu verrais ta tête, gloussa-t-il.

Furieux, Jake se leva, fonça vers l’homme moqueur et le frappa de son poing valide. L’air apeuré, Gale bloqua de justesse le coup de ses deux mains et fut malgré tout éjecté par la force de l’impact contre un tas de paille.

Le chasseur de prime s’avança de nouveau vers Gale, l’œil fou de colère et bien décidé à continuer à passer ses nerfs sur l’homme. Il fut stoppé par la voix faible de Kaufman :

— Jake, stop. Regarde.

L’épéiste tendit sa main vers son compagnon pour lui montrer son annulaire.

La bague avait disparu.

— Observe ta main aussi, continua-t-il.

Confus et les sourcils froncés, Jake remarqua l’absence de bague à son annulaire.

— Qu’est-ce que ? balbutia-t-il en relevant les yeux vers Kaufman.

— Il m’a enlevé la mienne quand tu pensais qu’il allait te couper le doigt, et a dû enlever la tienne en bloquant ton coup. Il semble vraiment être de notre côté, Jake.

Ces paroles semblaient avoir consommé les dernières forces du blessé, qui s’affala un peu plus sur son tas de paille et sombra dans l’inconscience.

Sa colère retombée, Jake s’excusa auprès de Gale et l’aida à se relever. Il ne comprenait pas comment un homme aussi faible était parvenu à leur enlever ces bagues ou à kidnapper la Reine devant des monstres comme Gérald, Anita ou même Yakor. Ce dernier dégageait une aura absolument terrifiante, qui aurait dissuadé même le plus grand des guerriers de le provoquer.

Pourtant Gale l’avais fait, lui qui ne dégageait rien, alors même que le plus simple des Défenseurs donnait toujours une petite impression de puissance. Il était sans doute la personne la moins menaçante que Jake n’ait jamais rencontré et il s’en voulut de l’avoir frappé.

— Boarf, c’est pas grave l’ami, le rassura l’homme en se relevant sans aucune rancune discernable dans son expression sereine. Regarde, petit tour de magie !

Il ouvrit la paume de sa main et dévoila les deux bagues, intactes, un grand sourire sur le visage.

Se gardant de poser une question auquel il n’aurait pas eu de réponse, Jake se contenta de remercier encore une fois son bienfaiteur.

— C’est rien c’est rien, un tour de passe-passe qui nous évitera des bricoles ! répondit Gale en agitant la main avec négligence. Bon, je vous propose de bouger d’ici avant que le reste de la cavalerie débarque. En parlant de cavalerie, regardez ce que j’ai amené avec moi !

Et il désigna une demi-douzaine de chevaux sans cavalier qui attendaient patiemment à l’extérieur de la bâtisse. Jake se demanda si il y avait des limites aux étranges ressources que semblait posséder cet homme.

Jake se chargea d’attacher fermement Mandra, clairement la plus mal en point du groupe, au cheval qui lui sembla le moins farouche. Gale fit de même avec Kaufman qui se réveilla, observa les chevaux et saisit le poignet de l’homme en murmurant d’une voix étouffée :

— Les bagues… Qu’en avez-vous fait ?

— Oh ? je les ai laissées dans la ferme. Pourquoi ? s’interrogea l’homme balafré.

— Non… répliqua faiblement l’épéiste. Mettez-les sur un cheval… croirons qu’on part … dans une autre direction…

Peinant au départ à appréhender le sens de ces paroles, le visage de Gale s’illumina lorsqu’il comprit :

— Bien sûr ! Hey Jake, ton camarade est sacrément futé, à défaut d’être assez fort pour vaincre ce blondinet de Défenseur… Comment vous l’appelez déjà ? Kur-quelquechose ?

— Kurtis… grogna Kaufman entre ses dents avant de s’évanouir de nouveau.

Gale exécuta le plan de ce dernier et attacha les deux bagues à un cheval qu’il fit partir au galop vers l’ouest pendant qu’ils se dirigeaient vers le sud-est, droit vers les Montagnes. C’était, selon Jake, l’endroit le lieu idéal pour cacher leur groupe en fuite.

Du moins il l’espérait.

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