Chapitre 1

8 minutes de lecture

Vingt ans plus tard, quelque part dans un village de campagne.

— On se fait chier, râla Jake, adossé au mur de l'abri de fortune qu'il avait dégotté.

— Ferme la, chuchota Kaufman qui massait son poignet gauche qui recommençait à le faire souffrir.

— Nan, sans rire. On est coincés ici depuis... combien, quatre ? Cinq heures ? Ils peuvent pas être un peu plus précis sur leurs indications à la con ?

— Je dois t'égorger pour que tu la boucles ?

— Elles viennent des Défenseurs ces indications alors elles sont forcément infaillibles… poursuivi-t-il ironiquement. Mais bordel ils pourraient faire un effort, je sais pas moi. Dans tout Abta et ses environs y'a pas un seul tocard capable de prévoir avec plus de précision que ça le déplacement d’un Monstre ? Sérieusement, la barbe…

Kaufman se redressa et fit mine de brandir son sabre pour menacer son collègue.

— … qui va quitter le reste de ton corps, si tu continues.

La cachette des deux acolytes, simple cabanon en bois, vola soudainement en éclats. Par un réflexe inouï, Kaufman réussi à sortir de l’habitation à temps, effectua une roulade pour s’écarter du danger et dégaina son sabre.

Il était grand, fin, portait une grande cape violette, une sacoche en cuir attachée à sa ceinture et un long sabre à la poignée bleutée. Ses longs cheveux aussi noirs que ses yeux étaient noués en une queue de cheval que le vent agitait avec force.

Le Monstre était aussi haut qu'une maison. Il ressemblait à un gigantesque cylindre blanc duquel partait six tentacules de plusieurs mètres de longueur. Ses excroissances n’étaient terminées par aucune sorte de doigts ou griffes mais leur poids et leur envergure suffisaient pour infliger de lourds dégâts aux habitations alentours.

La créature ne semblait pas faire attention à lui et semait la destruction en balançant ses membres au hasard dans ce qui n’était déjà plus qu’un amas de gravats sans forme précise.

Lorsqu’un tentacule vint se placer au-dessus de la tête de Kaufman, l’homme se ramassa, plaça sa main droite sur la garde de son sabre et réparti tout le poids de son corps sur sa jambe arrière.

Il attendit patiemment que le Monstre abatte son membre et à l'ultime moment, en un mouvement, il s’élança vers l’avant avec une vélocité prodigieuse.

Kaufman fit décrire une large courbe à son sabre, tranchant net le tentacule qui chutait sur lui.

Le bras de la créature, réduit de moitié en longueur, se rétracta jusqu’au tronc en un bruit de succion désagréable. Kaufman se réjouit de voir que son attaque avait réduit d’un sixième le pouvoir destructeur de son adversaire avant de jurer, voyant les deux yeux rouges de la bête se braquer vers lui.

— Ça aurait été trop te demander de te laisser gentiment découper sans me remarquer, hein ?

L’intéressé arma un tentacule et lui fit décrire un arc de cercle en rase motte pour faucher Kaufman. S'accroupissant jusqu'à l'extrême limite de sa souplesse, ce dernier réalisa un bond d'une hauteur irréelle pour esquiver le tentacule.

Le Monstre hurla en émettant un son strident et retenta de faucher son adversaire en alignant cette fois, dans le sens de la hauteur, ses 3 bras disponibles.

— Et t’es malin en plus de ça, maugréa l’épéiste en réalisant qu’il était incapable de sauter aussi haut.

Il rengaina vivement son sabre et cria à plein poumons :

— Jake, espèce d’abruti ! Il serait temps de te bouger !

Puis, pendant que les trois tentacules meurtriers fonçaient sur lui, il ouvrit sa sacoche pour en sortir un disque argenté de la taille d'une main et le planta dans le sol avec des gestes rapides et précis.

L’attaque qui aurait dû faucher et réduire l’homme en bouillie se stoppa nette à sa hauteur en un fracas assourdissant. Le Monstre resta immobile, observant l'immense nuage de poussière soulevé par l’impact se dissiper.

Un gigantesque disque argenté de cinq mètres de hauteur, dont le tiers était planté dans le sol, était apparu entre Kaufman et les trois tentacules.

À l’instant où la créature réalisa l’inefficacité de son attaque, une grande explosion verte surgit du néant et la percutât, la projetant au sol avec violence dans un vacarme sonore et visuel.

Un puissant cri de rage retentit avec sa chute.

Jake toussa et tenta de reprendre son souffle. Il suait à grosse gouttes et semblait au bord de l’évanouissement. De la crasse et de la poussière parsemaient la moindre parcelle de sa peau.

Il était petit, trapu et musclé. Seules deux choses chez lui paraissaient en bon état : sa massive barbe rousse et l’arme accrochée à son bras droit. Cylindre agrémenté de valves, câbles et autres dispositifs complexes, une moitié de l’arme entourait son avant-bras jusqu’au coude tandis que l’autre moitié, terminée par une large ouverture de la taille d’un poing, était braquée vers l’endroit où se tenait la tête du monstre avant l’explosion.

Kaufman poussa un soupir de soulagement.

— T’en a mis du temps… râla-t-il à l’attention de son partenaire.

L’épéiste n’en était pas moins impressionné. Il lui aurait fallu bien plus longtemps pour pouvoir abattre ce Monstre seul. Non pas qu’il en fut incapable, bien sûr, mais sa seule manière de le terrasser, c’est-à-dire couper un à un les tentacules de la créature pour achever le tronc démembré, était sans aucun doute moins expéditif et moins efficace que la prouesse dont venait de faire preuve son collègue.

Jake Ling, ce type était un moulin à parole insupportable mais son aide en tant que co-équipier était… appréciable. Il toussa de nouveau avant de répondre :

— Ça va, ça va…

— Tu as perdu ton souffle ? demanda Kaufman en souriant à son coéquipier, non sans une pointe de moquerie.

— Il va revenir. Tout comme cet enfoiré qui vient de détruire tout le pâté de maisons. Heureusement qu’on avait évacué le quartier.

Un hurlement retentit de l’endroit où le Monstre avait chuté. Il se releva et les contours de sa silhouette tubulaire devinrent flous : le corps de la créature se changea en une simple sphère blanche en lévitation. Elle était toujours agrémentée de cinq tentacules et surplombée d’yeux encore plus rouges qu’auparavant rivés sur Kaufman et Jake.

Ce dernier soupira.

— Quand faut y aller…

Le barbu sprinta vers la sphère, fit une glissade pour esquiver un tentacule meurtrier lancé sur lui à toute vitesse, puis sauta.

Un saut sans grande ampleur, voire ridicule comparé à celui de Kaufman quelques instants plus tôt. Jusqu'à ce qu'il tire sur le sol avec son arme.

L’impact déclencha une bruyante explosion, créant un trou d'un mètre de diamètre dans le sol et soulevant Jake dans un tourbillon de débris et de fumée. Grâce à l’inertie de sa course, le chasseur de prime continua à se rapprocher du monstre tout en montant dans les airs.

Puis, très rapidement, trop rapidement, cinq tentacules écrasèrent Jake sur le haut de la tête du monstre.

— NON ! crièrent des enfants, qui s’étaient aventurés à distance respectable de la scène de combat.

— Ne vous inquiétez pas, les rassura Kaufman qui se dirigea vers eux.

— Mais… Mais… Il vient de se faire écrabouiller, juste sous nos yeux, là ! protesta l'un d'eux.

Kaufman s’assis dans l’herbe en guise de réponse.

Le monstre poussa un cri à mi-chemin entre la douleur de s’être infligé un tel coup et la satisfaction d’avoir fait mordre la poussière à son ennemi.

De la poussière, c’est exactement ce qui s'échappait en grande quantité du point d’impact. Celle-ci, d’aspect et de texture semblable à du sable gris, s’agglutina au-dessus du monstre d’abord de manière chaotique puis, en quelques secondes, forma une silhouette humanoïde à la barbe massive.

— Regardez bien, fit Kaufman aux enfants.

Jake apparu dans les airs à la place du sable et une intense lumière verte naquit le long de son bras droit. Dans un vacarme assourdissant, un éclair vert d’une intensité extraordinaire surgit de l’arme et frappa la créature de plein fouet.

La créature sphérique s’écrasa au sol avec un trou béant au milieu du corps. Inerte, le Monstre perdit petit à petit le brillant de ses yeux tandis que Jake retomba en souplesse au milieu de l’impressionnant tunnel que son arme avait creusé dans le corps de la créature.

Celle-ci se dissout en un liquide blanchâtre qui se répandit sur le sol.

Les trois enfants, deux garçons et une fille, applaudirent longtemps, des étoiles plein les yeux.

Jake marcha d'un pas fatigué et s'écroula dans l'herbe. Son arme s'était rétractée en une simple manchette noire avec quelques reflets verts et des motifs complexes dessinés à sa surface.

— T'en fais trop, fit Kaufman.

— Qu'est-ce que tu veux, avec un public pareil, je devais donner le meilleur de moi-même, dit-il en lançant un clin d'œil aux enfants.

L'un d'eux, un petit brun à l'air sérieux réagit et s'avança :

— Moi aussi je peux me transformer ! Un jour je veux faire exactement comme vous, monsieur !

Il agita son bras de gauche à droite en faisant virevolter une petite flamme dans sa main.

— Tu ne sais pas de quoi tu parles gamin, répliqua Jake avec un sourire timide. Risquer sa vie comme ça, tous les jours, c'est pas enviable.

— Mais c'est pour une cause noble ! continua l'enfant. Vous nous débarrassez des Monstres !

Jake secoua la tête, l'air blasé.

— Et alors ? Ils reviennent encore et toujours, inlassablement. Ce n’est qu'une question de temps avant que je me fasse réduire en charpie par l'un d'eux. Restez loin de ça.

— S’ils reviennent, cherchez la source ! dit l'autre garçon, un blond aux grands yeux bleus.

— La source ? soupira Jake. Ça fait depuis l'aube des temps qu'on la cherche. C'est d'ailleurs le boulot des Défenseurs, pas de foutus chasseurs de primes comme nous.

— Moi je veux en apprendre plus sur eux, affirma-t-il.

— Et toi ? demanda Kaufman à la fille.

— Je veux surtout rester avec ces deux-là, réagit-elle avec un regard insistant vers le brun.

L’épéiste opina en souriant légèrement.

— On sait déjà tout ce qu'il y a à savoir sur eux et la façon de les combattre ! ajouta le blond.

— Ouais, enfin, surtout toi... maugréa le brun.

— Ah oui tu sais déjà tout ? s'amusa Jake. Très bien, je t’écoute me réciter…

— Aller, ça suffit, le coupa Kaufman. Il est temps de rentrer.

L’épéiste marqua une pause et s’adressa aux gamins :

— Les enfants. Ce type est idiot, mais il fait parfois preuve de bon sens. C’est le cas ici : abandonnez l'idée de devenir chasseurs de primes, ça ne vous apportera rien de bon. Ce n’est même pas si bien payé.

Il se leva soudainement et parti vers le sentier menant à la ville, son compère à sa suite.

Le duo avança vers le centre d'Abta.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Aïro ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0