Chapitre 6

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Étendus sur le sol, le duo reprenait son souffle en contemplant le plafond du tunnel de roche. Quelques minutes passèrent avant que Kaufman n’ai la force de se relever. Il se frotta les tempes et cligna des yeux pour vérifier qu’il n’était pas en train de rêver.

Constatant avec stupeur qu’il était bel et bien vivant, il aida son compère à se relever et ils titubèrent tant bien que mal vers la sortie.

— Ne nous pense pas sorti d’affaire, lâcha Jake, de plus en plus faible.

— C’était ça les soupçons de Mandra ? Qu’on nous envoie droit à la mort pour avoir effectué trop de missions ? Ça n’a pas de sens !

— Et envoyer Anita, une cerclé 2, nous escorter alors qu’ils sont sensés manquer d’effectifs pour la mission, ça a du sens ?

L’épéiste n’avait pas de réponse à cela.

— M’est avis qu’elle n’était pas là en tant que guide, Kaufman. Et qu’elle nous attend au bout de ce tunnel.

— On pourra au moins lui parler, à la différence de ce satané drake, espéra son collègue.

— Qui est cette Anita ? fit une voix légère.

Les chasseurs de primes se retournèrent d’un bloc.

Gale était derrière eux, trottinant légèrement comme si de rien n’était.

— Ma sœur… maugréa l’épéiste.

— Oh, tout cela est une histoire de famille donc ? Je ne ferais mieux de ne pas mettre mes pattes là-dedans…

Les chasseurs de primes n’eurent pas l’occasion de répondre : des éclats de voix leur parvinrent de l’extérieur.

— Comment ça envoyés là-dedans ? fit une voix féminine. Tu sais ce qu’il y a dans ce truc ?

— Je ne suis pas habilitée à répondre à cette question.

— Pas habilité hein ? Je vais te le dire moi : la mort ! Voilà ce qu’il y a là-dedans. Alors maintenant tu vas me faire le plaisir de bouger ton joli minois de l’entrée de cette grotte et me laisser aller récupérer mes meilleurs chasseurs de primes.

— Si ce sont les meilleurs, vous ne devriez pas avoir d’inquiétudes. Je ne sais pas comment vous avez eu vent de cette position, mais sachez que je ne bougerais pas, madame Lakas.

Jake et Kaufman découvrirent une scène pour le moins tendue. Anita bloquait l’entrée du tunnel face à une Mandra rouge de colère. Cette dernière, accompagnée de trois autres chasseurs de primes, semblait sur le point d’en venir aux mains avec la Défenseure.

Une lueur dorée surnaturelle naquit dans les yeux de Mandra.

— Tu bouges, ou je te bouge, menaça-t-elle en serrant les poings.

Anita, le regard froid comme un glaçon, raffermi discrètement ses appuis.

— Mandra ! cria Kaufman aussi fort qu’il le put, STOP, nous sommes là !

La cheffe des chasseurs de primes écarquilla les yeux à la vue du duo et de l’état de Jake. Les deux compères dépassèrent Anita, visiblement décontenancée par leur présence. N’en pouvant plus, Jake s’évanouit et s’effondra, rattrapé de justesse par Mandra, horrifiée de constater les blessures et la moitié de bras manquante de son subalterne.

Pour la première fois depuis qu’ils avaient quitté Abta, le visage d’Anita exprimait quelque chose. Les sourcils froncés, la bouche ouverte et les yeux écarquillés, la confusion régnait sur le visage de la Défenseure. Kaufman comprit qu’il n’était pas dans ses plans que lui et Jake reviennent de ce tunnel. Son acolyte ne s’était pas trompé.

— Vous… commença-t-elle en dévisageant les deux chasseurs de primes. Non… finit-elle par murmurer après quelques secondes d’observation.

Puis elle se ressaisit, recomposa son masque et, d’une voix formelle et assurée, s’adressa à son frère :

— Jake Ling et Kaufman Bergen, avez-vous rempli votre mission et vaincu le Monstre dans cette caverne ?

Mandra leva les yeux sur Kaufman, seul du duo encore conscient.

— Non, gronda-t-il, de la fureur dans les yeux. Tu sais très bien que non. Nous n’avions aucune chance, et nous serions d’ailleurs mort là-dedans si nous n’avions pas croisé cet étrange…

Le jeune homme chercha Gale du regard, encore à côté d’eux une minute plus tôt. Il n’était nulle part.

— Il y avait un homme… poursuivit-il. Un homme très musclé couvert de cicatrices, d’âge incertain et à moitié nu, juste à côté de nous, là ! Vous l’avez vu, n’est-ce pas ?

Les trois acolytes de Mandra, cette dernière et Anita regardèrent Kaufman comme si il avait perdu l’esprit. Il n’y avait aucune trace de l’inconnu.

— Que vous fassiez des rêves éveillés ne m’intéresse nullement, repris la Défenseure. Quoi qu’il en soit, vous avez non seulement failli à votre mission, mais également déserté un poste qui vous avait été assigné. Par l’autorité que les deux cercles sur mon col me confèrent, je vous relève de vos fonctions et vous condamne à l’isolement en attendant qu’une sanction soit prise par la Reine pour vos actes de trahison envers Abta.

S’approchant de Kaufman, elle tendit la main.

— Ton sabre, Kauffie.

Kaufman hésita quelques secondes avant d’obtempérer. Il n’avait plus la force de discuter ni de contester. Dans l’épuisement le plus total, il monta sur un cheval et attendit, le regard dans le vague.

— Cet homme est blessé et a besoin de soins d’urgence, ne vous avisez pas de l’approcher, gronda Mandra à Anita en tenant Jake dans ses bras.

— Je veux juste son arme. Un civil n’est pas en droit de posséder un tel Artefact.

— Son fusil a disparu en même temps que son avant-bras, sans doute détruit ou enfoui quelque part là-dedans, lâcha Kaufman en désignant le tunnel.

Pas complètement convaincue, la Défenseure abdiqua cependant. Elle accepta que Mandra s’occupe de ramener Jake à Abta pour lui fournir des soins d’urgence et escorta la troupe. Le trajet se passa dans un silence de mort, ponctué seulement par les regards furibonds que lançait Mandra à Anita à intervalle régulier. Kaufman cru même distinguer une silencieuse promesse de mort formée par les lèvres de la cheffe des chasseurs de primes.

Ils arrivèrent à Abta à l’aube. Mandra et ses trois acolytes foncèrent jusqu’à la clinique des chasseurs de primes tandis qu’Anita escortait Kaufman chez les Défenseurs. Elle y fit son rapport et on mit Kaufman aux fers. Il fut enfermé au sous-sol du bâtiment rouge et blanc, dans une cellule de moyenne taille comportant pour tout mobilier un seau pour faire ses besoins et un tas de paille pour dormir.

Sans une once d’hésitation, Kaufman s’écroula sur son lit de fortune et plongea dans un sommeil agité.

Il y avait un deuxième tas de paille occupé à ses côtés lors de son réveil. Il ne sut dire combien de temps il avait dormi, mais à voir le peu de lumière qui filtrait à travers la minuscule grille du mur de leur cellule, il avait dû dormir la quasi-totalité de la journée.

Jake était toujours inconscient mais semblait un peu moins mal en point que lorsqu’il l’avait quitté. Un bandage propre avait été apposé à son moignon et sa respiration semblait un peu plus régulière. Kaufman fis de son mieux pour rassembler ses esprits et commença à observer sa cellule.

Il n’y avait malheureusement pas grand-chose à en tirer. La grille donnant sur le bas de la rue était beaucoup trop petite pour y passer plus qu’une main, les murs de pierre étaient lisses et solides et les barreaux de l’unique porte de sortie étaient en acier trempé.

Mais le plus grand obstacle à une quelconque évasion était sans doute le vieil homme posté en face de la porte de la cellule. Confortablement installé dans un fauteuil, une couverture sur les genoux, il tricotait nonchalamment et portait la traditionnelle tunique bleue des Défenseurs, agrémenté de deux cercles dorés au niveau col.

Kaufman n’avait jamais rencontré le vieux Gérald en personne, et voilà qu’il le trouvait en train de garder sa cellule. Il ne savait pas grand-chose de ce vieillard, si ce n’est qu’il était sans doute le plus ancien des Défenseurs encore actifs et l’un des plus puissants.

On avait décidé de ne leur laisser aucune chance.

***

Ils furent convoqués une semaine plus tard. Kaufman vivait des nuits inconfortables à cause de la pierre dure et froide bien trop perceptible à travers la maigre paillasse, mais il se remettait bien des évènements. Jake lui, passait le plus clair de son temps à dormir et réservait son énergie à manger les maigres rations qu’on leur apportait, deux fois par jour. Il récupérait néanmoins incroyablement vite et son état s’améliorait de jour en jour.

Le duo fut emmené par deux Défenseurs non gradés et Gérald dans une salle d’audience au niveau de l’aile gauche du bâtiment principal des Défenseurs. Mandra, la mine grave, était présente, ainsi que quelques chasseurs de primes proches de Jake et Kaufman.

Également présents, le Commandant Yakor, Anita, Kurtis ainsi que certains autres Défenseurs de cercle 1. Présidant la pièce depuis un estrade, la Reine d’Abta, Marjorie De L’Émeraude, posait un regard inquisiteur sur le duo menotté qu’on amenait devant elle.

Âgée d’une trentaine d’année, elle se tenait très droite et peu d’émotions transparaissaient de son masque de noblesse. De grandes boucles blondes impeccablement coiffées entouraient un visage dur et autoritaire. Elle était décorée d’un diadème doré serti d’une immense améthyste et de boucles d’oreilles de ces mêmes couleurs. Entourée par bon nombre de notables et autres membres de la cour, elle prit la parole d’une voix forte :

— Yakor, je vous en prie, débutez.

— Bien, ma reine, répondit l’intéressé en s’inclinant respectueusement. Jake Ling et Kaufman Bergen ici présents, sont coupables des faits suivants : couardise, désobéissance et tentative de tromperie d’une Défenseure de cercle 2, leur supérieure hiérarchique directe et représentante de sa majesté la Reine Marjorie, j’ai nommé Anita Bergen.

— Commandant Yakor, répliqua Anita en se mettant au garde à vous.

— Je vous prie de témoigner, madame Bergen, poursuivi le Commandant.

— Bien. Je devais accompagner ces deux hommes au sud-ouest d’Abta, au niveau des Montagnes. Nous avions relevé là-bas une activité suspecte de Monstre et ces chasseurs de primes étaient chargés d’éliminer la menace. C’était un grand honneur qui leur été fait de se charger ainsi d’une mission qui aurait pu être réservée à des Défenseurs, mais ces lâches ne se sont pas montrés à la hauteur.

Anita poursuivi sous l’œil mauvais de Mandra qui semblait vouloir assassiner la Défenseure avec son seul regard.

— En effet, après avoir monté la garde environ deux heures devant le tunnel, les deux hommes sont revenus sans avoir même essayé d’accomplir leur mission. Pire, ils ont fomenté un stratagème pour cacher leur couardise et ne sont même pas allé confronter le Monstre.

— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? demanda la Reine.

Kaufman ne perçu aucune trace de curiosité dans les yeux de la monarque.

— Et bien, repris Anita en jetant un regard aux chasseurs de primes présents, pour des raisons que nous devons garder confidentielles dans une telle audience publique, nous pouvons affirmer avec certitude qu’il est impossible que ces deux hommes soient allés à l’encontre du danger.

La seule théorie restante est donc que les blessures dont Jake Ling a été victime aient été infligées soit par lui-même, soit par son collègue Kaufman Bergen.

— C’est ridicule ! cria Kaufman, hébété. Vous voyez bien que ces blessures ne viennent pas d’un homme ! Vous croyez vraiment que le meilleur chasseur de prime d’Abta se couperais le bras juste pour ne pas confronter un Monstre ? Bien sûr que nous y sommes allés, mais le drake à l’intérieur mesurait au moins trois mètres de haut et le double de large, c’est absolument…

Il fut interrompu par les rires soudains de tout le rang des Défenseurs. Kurtis, le plus hilare de tous, ne put retenir une remarque :

— Un drake de trois mètres de haut et le double de large ? Fais un effort, Kauffie, tu ne trompes personne !

— Suffit, dit Yakor d’une voix forte et autoritaire. Ma Reine, je confirme ces informations comme exactes : ces blessures ont été infligées de la main de monsieur Ling ou monsieur Bergen.

— Très bien, je m’en remets à votre jugement, Commandant, acquiesça Marjorie.

Kaufman, Jake et les autres chasseurs de primes étaient abasourdis.

— La sentence pour de telles charges est bien évidemment la peine de mort, continua la Reine. Vous serez tout deux exécutés demain à l’aube.

Voyant l’agitation et la probable indignation imminente des chasseurs de primes présents, Yakor se plaça devant eux et les mit en garde d’une voix forte.

— Vous savez ce qu’il en coûte de contester un jugement royal ?

Aucun n’eut le courage – ou l’idiotie –, d’aller à l’encontre du cerclé 3 et se contentèrent de regarder avec désapprobation la Reine et ses sbires.

— Vite fait, bien fait ! se réjouit le vieux Gérald en raccompagnant les deux accusés dans leur cellule.

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