CHAPITRE 5

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L'espoir est un scepticisme. C’est douter du malheur un instant” (Paul Valéry)

L’aire de repos, vers 22h30

Les gyrophares bleus éclairaient le visage absent de Valérie. Assise sur la marche arrière de l’ambulance, elle prenait patience face à l’urgentiste qui venait de lui apporter une couverture. Paniqué par sa crise de nerf, le bon vieux Georges avait fait du zèle en appelant, en plus de la police, les services d’urgences. La voilà coincée dans cette ambulance où elle est gardée, comme une enfant, par un babysitter à blouse blanche.

  • Promis Madame Braumercier, dès que vous aurez pris ce calmant et que votre mari sera disponible, je vous laisserai partir, lui avait-on dit d’une voix mielleuse.

Mais elle, elle ne voulait pas partir ! Elle voulait rester pour chercher ses enfants. Elle ne pouvait même pas imaginer quitter ces lieux sans avoir vérifié chaque centimètre de cette forêt et de la montagne. Elle y resterait des heures, des semaines s’il le fallait ! Max avait rejoint l’équipe chargée de l’enquête. Elle l’aperçut de loin près de l'une des voitures de gendarmerie. Des gendarmes ? Il y en avait partout ! Certains avaient des chiens et tous étaient équipés de lampes frontales. Max observait, de temps en temps, sa femme. Il s’inquiétait pour elle. Cette histoire arrivait vraiment au plus mauvais moment. Si bien sûr, il existait un bon moment pour ce type d’épreuve ! Perdre des enfants au milieu de nulle part devait être cauchemardesque ! Il craignait qu’elle ne s’engouffre dans la forêt pour aller les chercher toute seule en méprisant le danger. Un gendarme vint le voir.

  • Monsieur nous avons ratissé jusqu’à plusieurs kilomètres autour de l’aire, aucune trace des adolescents. Il fait vraiment très sombre, maintenant. Nous allons devoir arrêter les recherches quelques heures mais, dès l’aube, nous nous y remettrons.
  • Merci. Vous connaissez un endroit pas loin pour que nous puissions nous reposer, ma femme et moi ? Il montra du regard son épouse qui n’avait pas bougé d’un iota. Puis, il reprit, notre hôtel est à presque deux heures d’ici et nous aimerions revenir demain matin. Ma femme ne voudra quitter ces lieux qu’à cette condition.

L’homme de loi fit mine de réfléchir un instant.

  • Il y a l’auberge de la ferme d'Anémone qui est juste au pied de cette montagne. C’est pas luxueux, je vous préviens, mais ils sont gentils et on y mange bien aussi. Puis, les chambres sont correctes et la vue est magnifique.

Max ne voulait pas en entendre plus. Ce n’était vraiment pas le moment de parler tourisme. Il interrompit son interlocuteur d’un ferme merci et se dirigea vers son épouse. Elle avait le teint gris, les yeux enfoncés dans son joli visage et des rides sur le front exprimaient une inquiétude profonde. A l’arrivée de son mari, elle se lova contre lui et s’y abandonna quelques instants. Il lui expliqua la situation. Bien sûr, il avait envisagé sa réaction. Elle ne voulait pas partir. Elle ne voulait pas dormir. De toute manière, elle n’y arriverait pas. Elle préférait rester ici au cas où ils reviendraient sur l’aire d’urgence.

  • -Voyons, chérie, sois raisonnable ! Même si tu ne dors pas cette nuit, tu dois te reposer un minimum pour tenir le coup demain. L’auberge est à huit cents mètres à peine de l’aire d’urgence ! Une patrouille reste cette nuit et nous serons automatiquement prévenus si il y avait du nouveau.
  • Je ne peux pas les abandonner ici !
  • Tu ne les abandonnes pas. Tu te ménages pour pouvoir mieux les aider. Allez, viens !

Il lui enlaça les épaules et, doucement, la dirigea vers une voiture de gendarmerie où un agent les attendait. Après avoir aidé sa femme à s’y installer, il alla parler à Georges.

Il le remercia et lui promit de lui donner des nouvelles au plus vite. Georges le rassura sur leurs bagages restés à l’hôtel de Cucugnan. Il les ferait suivre jusqu’à l’auberge. Et, d’un air ennuyé, lui fit comprendre que si battue, il devait y avoir le lendemain, il pouvait compter sur lui et ses fils.

Valérie regarda la lueur des gyrophares bleus dans le rétroviseur pendant que la voiture l’éloignait encore un peu plus de ses enfants. Elle scruta son portable comme il y a deux minutes, comme elle le fera encore dans deux minutes. Mais celui-ci restait désespérément silencieux.

Au bout d’un quart d’heure, ils descendirent du véhicule pour faire face à une vieille bâtisse. Une longère très joliment décorée de géraniums aux fenêtres et d’une multitude de petites fleurs vivaces au bord des murs blancs. Ils remercièrent leur chauffeur et entrèrent dans le hall. Le bois prédominait la pièce réchauffée par une imposante cheminée et un carrelage de pierre bleue.

Un homme d’un certain âge vint à leur rencontre. Il s’excusa de la situation et leur témoigna des encouragements bienveillants tout en leur présentant les services de l’auberge.

  • Votre chambre se trouve au rez-de-chaussée. C’est la plus grande et la seule qui possède une petite terrasse. Vous pourrez voir la montagne.

Il ouvrit la porte de la chambre et tendit ensuite les clefs à Max. Il s’attendait très certainement à une réaction de ces clients tardifs. Face au silence, il se racla la gorge, un peu gêné, et quitta la chambre laissant le couple seul. Valérie s’approcha de la porte fenêtre qui donnait sur la terrasse. On n’y voyait rien ! Même la montagne restait dans l’ombre. Dehors, c’était le néant ! Et dans celui-ci, se trouvait ses enfants. Où étaient-ils ? Étaient-ils blessés ? En sécurité ? Avaient-ils froid ? Bien sûr, qu’ils avaient froid ! Toine portait un bermuda, une veste légère, Simone juste un petit chemisier et un pantalon de toile. Ils devaient aussi avoir faim. Mon dieu, où sont-ils ?

Elle se laissa tomber sur le lit tout en fixant le noir profond, seul cadeau de l’horizon. Les larmes coulaient doucement sur ses joues. Un goût âcre et amer envahissait sa bouche. Son cœur s’emballa, trop gros pour sa poitrine. Elle craqua de nouveau et se mit à pleurer sans plus pouvoir s'arrêter. Elle enserra l’épais oreiller et se recroquevilla en position fœtale. L’odeur de lavande de la literie l’enivrait quelque peu. Elle n’eut pas un regard, pas un mot, pas une attention pour Max. Sa seule compagnie était son inquiétude. Max, compréhensif, la déchaussa et lui posa un plaid sur le corps. Elle ne réagissait ni à ses petites attentions, ni au baiser qu’il vint déposer sur son front. Max entra dans la salle d’eau pour se rafraîchir. A son retour, sa femme n’avait pas bougé et continuait à fixer l’immensité noire à travers la baie vitrée, les larmes inondant son visage.

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