Marvin

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Marvin regarda un instant l'agitation qui régnait sur le trottoir à travers la vitre de la voiture. La pluie ruisselait sur le verre d'hypnotiques halos bleus et rouges à la lueur des gyrophares. Il hésita brièvement à attendre une éventuelle fin d'averse avant de conclure intérieurement que vu comme c'était parti, il allait pleuvoir jusqu'au matin. Il sortit de la Ford en râlant. Il n'était déjà pas d'humeur à bosser ce soir, alors se taper en plus un homicide sous la pluie et par ce froid... L'opération lui paraissait relever d'un sombre complot conçu dans l'unique but de le faire chier.

Les mecs de la scientifique étaient en train de se battre avec le vent pour essayer d'installer une tente de protection sur la scène du crime à l'arrière d'un restaurant. Cette vision l'attrista, on aurait dit des marins en train de hisser les voiles en pleine tempête. Il eut envie de renoncer pour eux, leurs efforts lui étaient pénibles. Des collègues lui parlèrent à son arrivée mais il n'écouta rien. Il avait mal au crâne et de l'eau froide lui glissait dans le cou. Les quelques neurones qui arrivaient encore à se connecter dans son cerveau inflammé étaient trop occupés. L'objet de leur laborieuse discussion interne ? La façon la plus adaptée pour se casser d'ici le plus vite possible sans s'attirer trop d'emmerdes.

La venelle en impasse était sombre malgré les projecteurs sur pieds qu'une jeune recrue venait d'allumer. Derrière un container en plastique vert on voyait quand même distinctement dépasser une paire de jambes féminine. Plus loin contre un mur un antique landau à roulette abandonné prenait la pluie, de petites filets d'eau s'écoulaient par les déchirures du tissu. Au sol un matelas éventré d'une crasse repoussante semblait à l'agonie.

Il s'approcha de la poubelle, une odeur de poisson pourri lui fila aussitôt la nausée. Il se demanda si gerber pourrait soulager sa migraine.

La fille était juste là, derrière, le cul par terre contre un mur, son visage manquant à l'appel. Le crane béait par l'avant mais tenait encore vaguement sa position. Une bouillie de cervelle, de sang et de bouts d'os coulait sur l'avant scintillant de sa robe de soirée. Cette vision ne lui inspira pas grand chose. Il commença juste à vaguement s'interroger sur l'arme qui avait fait ça avant de lâcher la réflexion qui devint fatiguante dès la deuxième hypothèse. Le cadavre l'indisposait moins que la poubelle. Un resto Japonais... quelle merde. Il avait jamais pû blairer les sushis. Bouffer du poisson cru c'est vraiment dégueulasse. Un truc de préhistoriques, de poilus qui n'ont pas encore inventé le feu. A ranger dans la même case que le steak tartare ou le poisson à la tahitienne. Ca a l'air vaguement bon mais la texture se révèle juste immonde.

Il se demanda si il était resté suffisamment accroupi devant le cadavre pour ne pas avoir trop l'air d'en avoir rien à foutre. Tu parles, une pute ou une junkie voire les deux à la fois butée dans ce quartier pourri. Oh oui comme il s'en battait les couilles, une de plus ou de moins... Quoi que... plutôt pute que toxico quand même, trop de viande la où il faut. Des bras et des jambes biens propres, de jolies fringues... Il se releva lentement en grimaçant, le sang affluait par pulsation dans son cerveau comme une évacuation d'égout sous pression charriant des lames de rasoir. Pour se consoler il se dit une énième fois qu'il finirait bien par crever un jour et qu'il n'aurait plus à subir ce genre de désagrément. L'idée le soulagea vaguement d'un point de vue théorique. Il se dirigea lentement vers le landau, s'attendant presque à y trouver un bébé mort. Il était vide mais des seringues craquèrent sous ses chaussures. Il contempla les débris sans surprise, la réputation de cette zone déshéritée de la ville n'était plus à faire. Il retourna vers ses collègues faire semblant de les écouter quelques minutes.

Il finit par réintégrer l'habitacle de son véhicule avec gratitude, sa vie était merdique mais putain qu'est ce qu'il aimait être seul dans sa voiture. Il aurait bien aimé rester là à agoniser quelques heures mais ça aurait probablement paru bizarre. Il soupira et demarra le moteur electrique. Apres une seconde d'hésitation, il prit soin d'en désactiver le bruit artificiel. Ce soir il prendrait le risque d'écraser un passant distrait voire un chien mais au moins, il le ferait en silence. La Ford glissa lentement dans la nuit, des néons douloureux se reflétaient partout sur la ville mouillée.

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