La Vision p3

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- Pour ce qui est de la vision en elle-même, je n’ai rien appris de nouveau, reprit Sybille en lançant un regard féroce à Nathaniel, qui se calma aussitôt.

Le nombre de survivants de l’assaut psychique s’avère être… limité. Vous avez eu beaucoup de chance, Maître Lunepâle et toi, Vellin, de maîtriser suffisamment la magie pour ne pas finir le cerveau en bouilli…

Finalement, nous autres magistères ne sommes au courant que de vos deux témoignages. Et si les caravaniers ont d’autres informations sur l’enquête, alors ils se refusent à émettre la moindre hypothèse en notre compagnie.

Peut-être estiment-ils le sujet trop sensible. Vous êtes tous les deux trop jeunes pour vous en souvenir, mais les années de Grandes Purges ont creusé de profondes stigmates dans les mémoires des peuples de l’empire. La Reine a orchestré de nombreux massacres, sous couvert de traquer les Aspirants Hérauts. Et avec l'émergence de rebelles dans les cités à l’ouest, Ircania est à nouveau sous pression.

Alors s’il advenait qu’un événement majeur prenne ses racines dans ce convoi… Les choses pourraient très mal tourner pour tous ceux qui étaient présents au départ de Thanobras…

Mais toi Vellin, tu as été l’un des témoins privilégiés de ce chaos. Tu peux nous en apprendre davantage sur cette vision. Enfin, si tu t’en sens capable.

Le jeune homme blêmit à cette perspective, laissant choir le vieux livre à ses pieds.

En vérité, il ne se souvenait que très peu des visions et cela lui convenait très bien. Il ne tenait pas vraiment à replonger dans d’affreux souvenirs empreints de morts et de souffrances.

Le matin même du départ, il avait dû se rendre à un conseil exceptionnel présidé par les Sages du convoi, afin d’expliquer en détail le déroulement de l’incident. Sur la soixantaine de personnes occupant la placette au moment des vagues psychiques, cinq avaient été retrouvées vivantes, en comptant Vellin et son Maître. Les trois autres survivants se composaient de deux marchands, qui bien qu’ayant survécu étaient maintenant guère plus loquaces que des bêtes grognantes et bavantes, leurs cerveaux striés de blessures irrémédiables, et de la sorcière rousse de la troupe de soldats caravaniers. Cette dernière, plus proche de la source des attaques psychiques, séjournait encore dans les Abysses, mais les Sages ne désespéraient pas de ramener son esprit parmi les vivants. Vellin et Maître Lunepâle s’étaient donc retrouvés les seuls à même de pouvoir relater les visions cauchemardesques.

Maître Lunepâle avait pris la parole en premier. Lui d’ordinaire si volubile, prompt à l’emphase et aux circonvolutions face à un auditoire, s’était montré très concis. Il avait seulement évoqué “des sensations confuses de peurs et de souffrances”. Mais rien de concret. Aucune vision suffisamment précise, à même d’être traduite en un quelconque présage ou en terrible prophétie, comme on le chuchotait déjà à demi-mot au sein du convoi.

De sinistres émotions certes, mais somme toutes banales lors d’assauts psychiques. Avait-il conclu.

Puis était venu le tour de Vellin. Et le garçon s’était retrouvé bien incapable d’en dire davantage. Ses rares souvenirs s’étaient faits douloureusement flous dans sa tête à mesure qu’il avait cherché à les ramener à la surface et se dérobaient sans cesse à sa conscience. Le Maître avait alors parlé d'amnésie dissociative. Qu’il s’agissait d’un “processus fréquent lors d’événements traumatisants” et que “les hospices étaient remplis de vétérans des conquêtes pour les Territoires Libres qui partageaient ces maux”. Il avait conclu que Vellin se souviendrait peut-être un jour de tout ceci, mais qu’il convenait pour l’heure de le laisser se reposer. Il avait ensuite congédié son apprenti. Décision qui avait fait grincer des dents au sein du conseil, mais personne n’avait osé le contredire.

Depuis, Vellin s'efforçait de plus y penser, malgré les sollicitations incessantes et insistantes de Nathaniel.

La tâche demeura relativement simple durant la journée. Leur salon privé possédait sa propre bibliothèque, riche de nombreux ouvrages rares et anciens accumulés aux fils des siècles par les caravaniers. Vellin put occuper ses premiers jours à son activité favorite, à savoir dévorer un maximum de livres pour étaler ses connaissances fraîchement acquises à la face de ses nouveaux amis.

Les nuits s’avérèrent autrement plus sinistres. Vellin ne s’endormait que lorsque la fatigue devenait enfin trop forte pour qu’il puisse y résister. Ses courtes périodes de sommeil étaient pourtant loin d’être de plaisants moments d'accalmie. D’affreux cauchemars revenaient chaque nuit le hanter, pendant lesquels il revivait encore et encore les mêmes scènes confuses de mort et de souffrances. Il se réveillait alors en hurlant et gémissant, les draps trempés d’une sueur aigre, au milieu du dortoir des apprentis.

Sybille, Nathaniel et même Nemeth se montraient plutôt compatissants envers leur camarade, bien conscient de l’épreuve qu’il venait de traverser. Les jumeaux de la Maison du Combat, eux, n’avaient pas trainé pour affubler le garçon de plusieurs sobriquets peu flatteurs.

- Je ne crois pas être en mesure de vous aider, bredouilla-il. Mes souvenirs restent comme… embrumés.

Sybille se leva, traversa la pièce et vint s’agenouiller aux côtés de Vellin, lui attrapant la main avec douceur. Le contact inattendu avec cette main à la fois douce et chaude empourpra les joues du jeune homme.

- Je comprends qu’il soit si difficile pour toi d’en parler, Vellin. Mais tu sais, parfois, placer des mots sur ses peurs permet de mieux les comprendre. Et ainsi de pouvoir les affronter. Je t’en prie, laisse-moi t’aider.

- Laisse tomber Sybille, soupira Nathaniel, qui venait de jeter son dévolu sur un plateau garni de petits fromages de chèvre.

Il ne se passe pas une journée sans que je n’essaie de lui tirer les vers du nez. Mais ce gars est aussi borné qu’un Bérulf. À croire que la vieille folle lui a grillé le cerveau, à lui aussi.

- Ça suffit ! Vellin a besoin de temps et tu en aurais eu aussi besoin, si tu avais traversé la même épreuve !

Mais ne fais pas attention à cet enquiquineur, Vellin. Tu sais comme il peut être pénible lorsqu’on lui refuse quelque chose.

Sybille accentua légèrement sa douce étreinte sur les doigts de Vellin, poussant le jeune homme à plonger dans son magnifique regard aux nuances turquoise, une couleur d’autant plus belle qu’extrêmement rare chez les Ircaniens de souche.

Une nouvelle vague de chaleur vint irradier le visage du garçon.

Elle est si belle.

Bien sûr, il l’avait toujours trouvé belle.

Vellin avait été immédiatement conquis par son charme envoûtant, dès lors qu’il s’était assis à ses côtés dans le salon du Doyen. Sybille était indubitablement belle, avec sa silhouette parfaite, son sourire resplendissant et ses yeux semblables à deux topazes. Et cette emprise innée sur les hommes la prédestinait à une grande carrière de diplomate. Mais depuis leur départ, Vellin découvrait chaque jour une nouvelle facette de la jeune femme. Sa beauté ne se limitait pas à son enveloppe charnelle. Empathique, prévenante, soucieuse des autres, elle semblait être aussi belle physiquement qu’humainement.

Elle rayonne.

- D’accord. Dit-il finalement, en essayant de ne pas lâcher Sybille du regard. La tâche lui parut plus ardue que la lecture d'une bibliothèque entière.

C’est d’accord, je vais essayer de vous décrire au mieux ce dont je me souviens. Et vous allez m’aider à comprendre. Ensuite, nous n’en reparlerons plus. Est-ce que c'est entendu Nathaniel ?

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