Funeste présage p2

4 minutes de lecture

Les soldats identifièrent immédiatement l’origine du désordre. La plus petite du groupe, une femme dont les longs cheveux de feu se pailletant de fils blancs dépassaient du turban, se mit à lâcher une série d’ordres courts et gutturaux.

Le Rakt’urg, la langue des nomades ! On dit qu’il s’agit là d’un langage découlant directement du parler originel des Hommes !

Deux des soldats se glissèrent furtivement à gauche et à droite de la femme assise. Ils se dissimulèrent derrière des obstacles, puis retirèrent du large étui en peau qui leurs saillaient le dos du plastron, une Gueule du Tonnerre. Une fois à couvert, ils pointèrent leurs armes sur la fauteuse de trouble.

La chef du groupe restait en retrait. Les paupières tremblantes, elle psalmodiait d'étranges chants rauques qui rappelèrent à Vellin les grognements sourds d’un animal blessé, sa main posée sur le plastron du quatrième soldat. Bien qu’il n’en comprenne pas la signification, le jeune magistère vit de petits arcs lumineux jaillir de la main pour venir onduler autour du soldat. Le molosse restait stoïque aux côtés de son maître. Bien qu’il ne bougea pas d’une oreille, l’animal ne lâchait pas des yeux sa proie assise à même la terre brûlée.

Lorsque le dernier filament d’énergie finit de s’échapper de la paume de main de la sorcière rousse, un halo cuivré se mit à luire, enveloppant le soldat. Il dégaina alors son cimeterre à lame large du fourreau qui tenait à sa ceinture et s’élança vers la femme assise. Son molosse lui emboîta aussitôt le pas.

Ils se stoppèrent à moins de cinq pas de la femme en transe, qui ignorait toujours leurs présences. Les poils du chien se hérissèrent. Il se mit à grogner, prêt à bondir au moindre mouvement suspect.

La voix calme mais sèche, le soldat prit la parole dans un langage commun parfait ou seules quelques inflexions graves laissaient suggérer son origine.

- Selon les lois en vigueur à Thanobras, l’usage irraisonné de la sorcellerie, ainsi que l’atteinte physique ou psychique envers des individus constituent des crimes. Pour ces motifs, je vous ordonne de vous lever et de bien vouloir me suivre, femme.

Il marqua un temps d'arrêt. Voyant qu’il n’avait obtenu aucune réaction et que la femme continuait sa transe, il haussa le ton jusqu’à presque crier.

- Veuillez stopper immédiatement toute canalisation magique, sous peine de représailles violentes ! Ce sera ma dernière sommation !

La femme leva brusquement la tête.

Lentement elle se redressa, balayant des yeux la place comme si elle la découvrait pour la première fois. Puis, faisant face au soldat, elle le fixa d’un regard absent.

Lorsqu’elle prit enfin la parole, sa voix crissante, semblable au bruit désagréable d’une craie dérapant sur l’un de ces tableaux d’ardoise qu’affectionnaient tant les Maîtres de l'académie, parut provenir de terriblement loin. Elle n’était pas plus forte qu’un murmure, mais pourtant, amplifiée par une étrange sorcellerie, parut résonner avec force dans le crâne de toutes les personnes présentes. Vellin réprima un frisson quand elle tinta au fond de son esprit.

- Vous tous ici présent, ne comprenez-vous donc rien ? Ne voyez-vous donc rien ? Êtes-vous tous aveugles à ce point ?

Sa bouche se tordit en une affreuse grimace de souffrance. Sa voix mentale devint plus forte encore, atteignant les limites du supportable.

- Ce qui se trame dans votre ombre… Oh, que l’Unique nous viennent en aide… Le plus abject des actes, le plus abominable des crimes… Il nous condamnera tous !

Se serrant le visage, elle fondit en larmes. Sa voix criarde se mua en un long hurlement plaintif. Tout autour, les badauds qui attendaient cachés derrière leurs débris tombèrent à genoux, hurlant à l’unisson sous l’insoutenable assaut mental. Vellin lutta pour ne pas se laisser submerger par la douleur, puisant dans ses faibles ressources psychiques. Le maître tremblait à ses côtés, le visage rouge et congestionné sous le combat qu’il menait aussi.

- Par leurs choix égoïstes, par leurs besoins absurdes, nous serons tous coupables ! Tous coupables et tous punis ! Non ! Il ne peut en être ainsi ! Vous devez me croire ! Vous devez… ouvrir les yeux !

Des visions confuses et insoutenables se déversèrent par torrent dans l’esprit déjà proche de la rupture du jeune apprenti. L’espace d’un instant qui lui parut durer une éternité, Vellin fut noyé par un flot d’images de morts, de feu et de sang. Une nuée d’hallucinations se bouscula dans sa tête, trop nombreuses pour qu’il puisse en saisir le sens. Pourtant, une seule apparition revenait sans cesse, celle d’un être sombre marchant au milieu d’un champ de cadavres.

Les femmes et les hommes hurlaient, en proie à un flot sauvage et ininterrompu de visions cauchemardesques. Les plus fragiles d'entre eux avaient déjà irrémédiablement perdu l’esprit et il n’était qu’une question de temps avant que tous ne subissent le même sort cruel.

Ils ne durent leur salut qu’à la rage du molosse.

Voyant son compagnon se tortiller au sol de douleur, le chien - insensible aux assauts psychiques- bondit sur la femme en transe et rata de peu sa gorge. Les mâchoires surpuissantes de l’animal se refermèrent sur la frêle épaule, réduisant chaires, muscles et os en un affreux amas sanguinolent.

Les visions s’estompèrent au moment où la femme chancela et s’effondra sous l’impact du chien. Elle se débattit en hurlant, projetant des éclairs meurtrier d’énergies brutes, qui pulvérisèrent en une pluie d’échardes les chariots et autres structures en bois qu’ils rencontrèrent. L’un d’eux traversa l’animal, le tuant sur le coup.

Mais c’était déjà trop tard.

Dans la mêlée, les crocs avaient fini par trouver la gorge. Même la mort ne lui fit pas desserrer la gueule. La sorcière et le molosse rendirent leur dernier souffle au même instant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Athyrion ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0