Chapitre 3 Thanobras la Tordue p1

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Entrée 16, « Le Fluide, ultime bénédiction de l’Unique »

Semblables aux vaisseaux sanguins qui innerveraient le corps d’un être titanesque, le fluide irrigue notre Astre et lui insuffle une formidable énergie.

Des courants d’énergies brutes, aussi appelés veines de fluide, serpentent par divers endroits à la surface des terres, si bien que la physionomie même de ces lieux en est altérée. Ainsi, les êtres vivants peuplant ces zones si particulières depuis des générations en sont également irrémédiablement transformés. Ces créatures, tantôt difformes tantôt incroyables, sont nommés couramment des "Imprégnés".

Voir entrée 127, « Les créature imprégnées ».

Une cartographie précise des veines de fluide a été étudiée par de nombreux chercheurs et aventuriers au cours des siècles précédents, et leurs tracés sont maintenant bien connus de nos érudits. […] Il n’est donc pas rare de retrouver nombre de lieux importants bâtis aux croisements de ces zones vectrices d’énergies, fournissant à ceux qui parviennent à les utiliser de formidables pouvoirs.

[…]

Véritable enjeu stratégique de par les possibilités incroyables qu’elles offrent, les veines de fluides font l’objet de toutes les convoitises. Ainsi, plus d’un conflit durant les millénaires passés a éclaté afin d’en revendiquer les possessions.

Toutefois, les utilisateurs chevronnés de magie savent tous qu’il faut prendre garde à ne jamais trop abuser du pouvoir, car l’histoire nous a prouvée à maintes reprises que même la toute-puissance ne peut être éternelle…

Dictionnaire raisonné du monde vivant,

Par Lotrek Ventregrêle,

Année 72 avant le calendrier Royal.

Le lieu de départ des Grandes Caravanes se trouvait en plein cœur de la Vallée des Ecorchés, dans la cité nommée Thanobras la Tordue située à une demi-journée de marche à l’ouest d’Ircania.

Se rendre dans cette lande de pierres stérile déchiquetée par les vents, où seuls quelques rares buissons épineux subsistaient parmi les sombres roches volcaniques affleurant le sol tels les crocs d’une immense bête morte depuis des éons, s’était avéré aisé pour Vellin. L’aspirant magistère n’avait eu qu’à suivre la longue procession d’hommes et de charrettes pleines à craquer de marchandises, qui dévalaient dans un tonnerre de cris et de gravats l’impressionnante voie pavée en partance de la capitale. Plus Vellin se rapprochait de Thanobras et plus il en ressentait l’écrasante puissance. Même lui, qui comptait pourtant parmi les magistères les moins doués en arts magiques, frémissait déjà, fébrile, face aux déferlements d’énergie brute qui traversaient chacune de ses cellules par vagues régulières.

Lorsqu’il dépassa enfin un dernier surplomb basaltique, serrant fermement de sa main droite les rênes de la vieille mule qui transportait son propre barda, il s’immobilisa, sidéré par la vue qui se dévoilait devant ses yeux. En contrebas se tenait une ville étrange, amoncellement chaotique et dénué de logique de bâtiments en pierres biscornus, tentes en tissus de toutes les couleurs et chariots en bois immobilisés, en plein cœur de l’un des endroits réputés parmi les plus inhospitalier de tous les territoires de l’empire.

Vellin descendit du surplomb rocheux avec lenteur, coincé à l’arrière d’une large charrette bourrée à en éclater de marchandises diverses. Le cocher dut sans cesse reprendre ses bêtes, deux imposants Bérulfs à la démarche pataude, pour ne pas qu’ils s’écartent de la voie, poussé par le poids de leur attelage. Plusieurs fois les essieux de bois craquèrent douloureusement et menacèrent de céder sous la pression, si bien que Vellin se recula un peu plus, mais ils tirent finalement bon et la charrette parvint à attendre le bas de la pente sans dommage.

Dans la vallée, les vagues d’énergies s’intensifièrent, plongeant Vellin dans une curieuse sensation d’euphorie.

Quelques centaines de pas plus tard, la charrette suivit de Vellin pénétrèrent entre les deux bornes de pierres noires représentant symboliquement l’entrée de la ville-étape, sous le regard placide de deux caravaniers en armes qui ne se donnèrent même pas la peine de les contrôler. Déjà les premières tentes s’entassaient de part et d’autre de la voie, encombrants l’arrivée.

Pénétrer dans La Tordue ne présentait pas la moindre difficulté. Nulle muraille, nulle barrière ni la moindre fosse n’encadrait la cité, en constante mutation aux grès des allées et venues. Le voyageur désireux de s’installer au départ de l’une des Caravanes et n’appartenant à aucune guilde n’avait qu’à dévaler la large route pavée, se frayer laborieusement un passage au travers des tentes et charrettes, puis s’installer là où il parviendrait à se percer une place. La cité s’étendait alors tel des tentacules difformes les jours précédents les convois les plus attendus, pour se rétracter misérablement autour des quelques rares bâtiments bâtis de pierres au cours des périodes d’accalmie.

Ainsi allaient les choses depuis la création de Thanobras quatre-vingt-trois années auparavant. La Tordue représentait l’ultime étape d’un long périple s’acheminant sur plus de deux-cent-cinquante lieux à travers les anciens Territoires Libres et reliant une vingtaine de cités prestigieuses. Pourtant la ville était encore jeune au regard de l’ancienneté des premières Grandes Caravanes et n’avait été bâtie que lorsque qu’Ircania avait commencé à monter en puissance. Quant au choix ayant motivé sa création au sein d’une terre aussi hostile, il était simple. Les gigantesques attelages des caravaniers nécessitaient une énergie colossale pour entrer en mouvement, que seul une importante veine de fluide pouvait être à même de fournir. La Vallée des Ecorchés restait l’unique territoire dans un rayon proche d’Ircania à disposer d’autant de puissance. Sur place, les caravaniers restreignaient avec rigueur tout usage de la magie autre que le leur. Cette mesure visait avant tout à protéger les populations, car il n’était pas rare de voir des Imprégnés - comme on nommait familièrement les êtres sensibles au fluide -, perdre toute conscience suite à un afflux de puissance trop conséquent et laisser libre court à la folie.

Retrouver l’antenne des magistères au sein de l’effervescence de marchands et de voyageurs s’avéra une fois encore assez aisé pour Vellin. En tant qu’organe représentatif du pouvoir de l’empire et de la Reine, il s’agissait de l’une des rares structures bâtis en dure au milieu d’une marée de tissus et de cuirs grondant férocement sous les assauts frénétiques des vents balayant la plaine. Le bâtiment, sorte de bastion monolithique, semblait avoir été taillé d’un seul bloc dans une énorme coulée de roche volcanique noir et poreuse et dont les hautes bannières aux couleurs des cinq maisons se courbaient sous les rafales de vents.

Quatre gardes vêtus de pourpre gardaient le portail en fer d’une petite cour d’enceinte entourant le bâtiment. Ils saluèrent Vellin et le laissèrent entrer en compagnie de sa mule sans poser la moindre question, à la vue de la broche d’argent - symbole des aspirants magistères - accroché à sa tunique. Le calme qui régnait dans la cour, simple friche sale et caillouteuse, contrastait étrangement avec la folle agitation des rues environnantes.

Maitre Lunepâle se tenait accoudé contre le bastion, une tasse à la main, contemplant le ciel gris d’un air absent.

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