Chapitre 3 Thanobras la Tordue p2

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- Maitre ?

Le Maître ne réagit que lorsque Vellin se fut immobilisé à quelques pas devant lui et s’annonça. Un faible sourire éclaircit son visage rondouillard à la vue de son élève.

- Ah. Te voilà enfin. Je craignais que tu ne sois en retard. Pardonne mon inattention, j’ai beau avoir l’expérience de ce… genre de lieu, son effet continue encore de me troubler.

Vellin acquiesça d’un signe de tête. Lui-même ressentait depuis son arrivée une étrange sensation, sorte de fourmillement interne irrépressible, qu’il s’efforçait d’ignorer. Il en connaissait parfaitement la cause - la veine de fluide sur laquelle toute cette ville était bâtie – et en avait appris les effets durant ses enseignements. Les Imprégnés qui ne prenaient pas garde et se laissaient gagner par cette soif irrésistible de puissance finissaient bien souvent par perdre la tête. Mais à présent, Vellin découvrait immense différence qui séparait parfois la connaissance de l’expérience.

Lorsqu’il eut repris ses esprits, Lunepâle posa sa tasse au sol et s’avança, prenant le jeune homme par l’épaule.

- Ne perdons pas plus de temps, suis-moi. La Grande Caravane repart demain aux premières heures et j’aimerais te présenter tes futurs quartiers. Tu peux laisser ici ta bête, les Rouges veilleront sur tes affaires.

Le Maître échangea quelques mots avec les magistères pourpres en faction, puis les deux hommes sortirent dans la rue et se dirigèrent en direction du centre de la ville tentaculaire, ou s’affairaient des cohortes de voyageurs. L’heure du départ se rapprochait à grand pas et tous se préparaient au futur périple.

La question du Maitre ne tarda pas.

- Es-tu prêt pour ce long voyage qui nous attend ? Il sera riche en enseignement à n’en point douter. La vie dans les Territoires Sauvages est très différente de celle que nous avons ici.

Vellin était prêt autant que l’on pouvait l’être pour un voyage de plusieurs mois en terre hostile… Les cinq derniers jours s’étaient écoulés à une vitesse prodigieuse, partagés entre famille et recherche à la grande bibliothèque. À présent, la séparation avec ses parents et ses deux petits frères lui serrait douloureusement le cœur et les larmes lui monta aux yeux lorsqu’il repensa à eux. Jamais durant sa courte existence, il n’avait eu à s’éloigner de son foyer de plus de quelques jours.

Mais l’ambition prit le pas sur ses sentiments et il ravala ses larmes.

- On ne peut plus prêt, Maître. Je vous suis d’ailleurs extrêmement reconnaissant pour la confiance que vous me portez.

Je pense que ce voyage est pour moi l’occasion de parfaire de nombreuses connaissances.

- Tu ne manques effectivement pas de connaissances. Mais ce sont les expériences du terrain qui te font le plus défaut. Le périple sera l’occasion pour toi d’en voir davantage sur notre vaste monde. Et l’apprentissage par le réel vaux bien toutes les bibliothèques de l’Empire.

Vellin se s’assombrit légèrement, quelque peu piqué à vif par la dernière remarque du Maître. Mais il s’abstint de commentaire.

- Si je t’ai choisi, c’est aussi pour que tu en apprennes plus sur les Sylvestres. Je connais ta passion pour l’étude des autres races. Les Sylvestres sont très présent à la frontière de nos colonies, et nous devrons bien vite cohabiter avec eux si nous souhaitons continuer à nous étendre. Nul doute que la Reine sera enchantée de compter un Magistère expert en ces peuplades dans ses rangs, conclut-il dans un clin d’œil.

- Vous me faites beaucoup d’honneur, Maître. Je tacherais de ne pas vous décevoir.

Il n’exagérait pas. Après la chute des Territoires Libres, les Terres Sauvages représentaient le nouvel espace de promesse sur lequel la Reine venait de jeter son dévolue. Nouer des liens avec les Sylvestres et connaitre leurs coutumes placerais Vellin dans une situation de choix pour les années à venir.

- Pour ma part, reprit le Maître, je m’occuperais de… la mission principale que nous à donnée le Doyen. Peut-être seras-tu amené à me rendre quelques services à ce moment-là. Pour l’heure, le Doyen insiste pour que l’on ne disperse pas toutes les informations, je dois donc te laisser encore un peu dans l’expectation.

Mais laissons de côté ces considérations techniques.

Voyons-voir si tu as bien potassé ces derniers jours. Que peux-tu me dire sur le voyage qui nous attend ?

Vellin redressa fièrement les épaules. Etaler son savoir, sa première passion ! Il se racla la gorge et entama sa litanie.

- Nous serons au départ de la deux-milles six-cent-soixante-seizième Grande Caravane, initié il y a maintenant trois-cent-vingt-deux ans sous l’impulsion du khazar Tiberos le Galeux, de la tribu des Disopet, bien avant qu’on les renomme « caravaniers » …

- Passionnant, passionnant… L’histoire est toujours une discipline des plus réjouissantes, mais nous pourrions converser toute la nuit au sujet de Tiberos, que le jour se lèverait avant que nous n’ayons terminé sa généalogie. Rappelle-moi plutôt quel périple nous attend donc ?

- Hum… Vellin réfléchit un instant. Nous partons pour un périple de presque trois-cent-cinquante lieues à travers les vastes terres de l’Empire. Historiquement, les Grandes Caravanes traversaient les Territoires Libres d’Est en Ouest et d’Ouest en Est. Dans notre cas, nous cheminerons à l’Ouest sur une centaine de lieues jusqu’à la ville d’Idalion, puis nous remonterons en direction des colonies du Nord par le biais d’une caravane secondaire. Si tout se déroule comme convenu, nous aurons rejoint la ville de Drull dans soixante-dix jours.

- Même nos chers caravaniers ont dû s’adapter au besoin de la Reine, sourit Lunepâle. Les colonies nordiques sont aussi fascinantes que dangereuses, comme tu ne tarderas pas à le découvrir. Les savoirs de Maitre Razhan n’ont pas encore voyagé aussi loin dans les terres de l’Empire, et de nombreux ennemis politiques y ont trouvé refuge après la chute des Cités Libres. De plus, la cohabitation d’Humains, de Sylvestres et de Nordiens rend la situation… complexe. Mais… Oh ! Regarde, voila enfin les chapiteaux des caravaniers.

Les silhouettes de deux chapiteaux de cuirs tendus perçaient l’horizon, énorme et impassible, tel de sombres rochers au milieu d’un océan de tentes colorées frappées par les vents. À leur vision, Vellin se demanda quelle quantité ahurissante de bétails il avait fallu dépecer pour parvenir à réaliser un ouvrage aussi important. Le plus impressionnant restait encore que ces incroyables constructions se devaient d’être entièrement démontable, dans la plus pure tradition nomade des caravaniers, et qu’ils n’en subsisteraient aucune trace - si ce n’était quelques touffes d’herbes jaunies et écrasées -, dans moins d’une journée.

A l’approche des chapiteaux, les installations marchandes qui encombraient jusque-là les moindres recoins de la ville se firent plus distantes, si bien que le maitre et son apprenti sortirent peu à peu de la foule effervescente et parvinrent finalement à une vaste étendue de terres rases bordées par de petites barrières en bois, sur laquelle paissaient paisiblement une harde de Bérulfs. Les bêtes, hautes au garrot comme un homme adulte et large comme deux chevaux de traits, pourvues de magnifiques ramures boisées, comptaient parmi les plus beaux spécimens que Vellin n’avait jamais vue.

Les deux hommes s’arrêtèrent face à la barrière. Le Maître, suant à grosses gouttes au travers de sa tunique boudinée, reprit son souffle.

- Difficile de croire que demain à cette heure-ci, il ne restera plus que de la terre boueuse et des herbes flétries sur cette plaine, commença-t-il en s’accoudant à un piquet de bois. Vue d’ici, tout nous semble si calme, mais nul doute qu’ils sont nombreux à s’afférer sous ces grands chapiteaux. Les caravaniers sont un peuple bien curieux et leur magie est absolument singulière. Que sais-tu à leur sujet Vellin ?

- Magie de l’imprégnation, répondit du tac au tac Vellin. Les caravaniers pratiquent la magie de l’imprégnation. Ils maitrisent l’art d’insuffler le fluide à l’intérieur des matériaux, même les plus banals.

- Surtout les plus banals ! De nombreux grands mages parviennent à créer des artefacts imprégnés de hautes valeurs. Plus le matériel est noble, précieux, remarquable, et plus la tache en sera aisée ! Mais de vulgaires planches de bois et quelques vis en métal, seuls les caravaniers y parviennent ! Et leurs talents ne se limitent pas uniquement aux objets inanimés, Vellin. Bientôt, la magie imprègnera même ces solides Bérulfs, qui deviendront capables de tracter des charges titanesques. C’est la conjugaison de ces deux pouvoirs qui rend possible les Grandes Caravanes. Et qui rend les caravaniers si fascinants.

Tu aperçois les masses de bois là-bas au fond ? Ce sont dans ces chariots que nous voyagerons.

Caché entre les chapiteaux, Vellin distinguait vaguement le sommet de quelques impressionnante structures en bois sombre polis. S’il s’agissait bien de chariots, comme le prétendait Maître Lunepâle, leurs tailles devaient facilement atteindre celle d’une habitation cossue. Que de telles masses de bois puissent voyager, tracter par des bêtes, sur plusieurs milliers de lieux, relevait de la prouesse. Vellin avait bien sûr lu de nombreux écrits ces derniers jours relatant le fonctionnement des caravanes, mais voir de plus près leurs masses écrasantes subjugua le jeune homme.

Le force implacable du réel, du physique, face aux connaissances froides et intangibles d’une feuille de papier. C’est donc cela qu’évoquait Maître Lunepâle…

Les Grandes Caravanes étaient l’occasion pour des centaines de marchands de traverser l’Empire avec toutes leurs cargaisons moyennant une coquette somme, sous la solide protection qu’offraient les chariots. Véritables forteresses ambulantes, nul groupe de voleurs de grands chemins n’ignorait la farouche détermination des caravaniers lorsqu’il s’agissait de défendre leur antique convoi. Quand il fallait combattre, hommes et femmes de la tribu, de l’enfant jusqu’au vieillard, accouraient pour repousser l’ennemi. Les énormes Bérulfs imprégnés, mais aussi de redoutables molosses imprégnés aux colliers garnis de pointes, venaient également apporter ramures et crocs à la mêlée.

- Nous ne pourrons malheureusement pas nous rapprocher davantage. Les caravaniers sont en plein Rituel du Départ et ils apprécient que très peu les curieux. Nous reviendrons demain aux premières heures pour installer nos affaires dans le chariot attribué par le Doyen. Rentrons Vellin.

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