Renaissance

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Raymond respira un grand coup, aspirant au passage l'intégralité des nuages dans le ciel, puis recracha le tout en une averse gigantesque, manquant emporter le chalet, le décor, le couple infernal et tout le reste.
Méchamment en colère, le Dieu ! Il s'en fallut d'un cheveu que le monde ne disparaisse définitivement. Jamais il n'avait éprouvé telle rage intérieure. L'important n'était pas que ses premiers enfants fussent de vrais homos mais, décidément, il ne pouvait accepter l'idée de se passer de longues générations à venir. Il avait pourtant travaillé avec soin, croyant penser à la plupart des choses importantes pour le développement de son projet mondial. Il avait même préparé quelques vigoureux discours, de ceux que prononcent ceux qui s'apprêtent à vider les poches des contribuables parce qu'ils ne savent rien faire d'autre.

Aussi, tout à sa colère, Raymond manqua-t-il de peu de réduire la planète en cendres, d'exiger un rendez-vous express à Mister U pour lui dire, bien droit dans les mirettes, qu'il rendait son tablier, que l'Univers n'avait qu'à continuer sans lui. Il pouvait se mettre ses exigences dans le trou de balle, le Mister U. Et puis, aussi, Raymond se disait qu'il préférait retourner au Néant, endroit duquel il n'aurait jamais dû sortir.
Oui, il était sincèrement en colère. Un peu comme une femme découvrant trop tard que les belles promesses de son amant n'étaient finalement que d'odieux mensonges, uniquement proférés pour la convaincre de s'abandonner aux jeux auxquels il voulait la soumettre. Dieu se sentait comme violé dans son projet.

La réaction d'un être suprême se devant d'être à la hauteur du poste, Raymond pensa donc, mais ce ne fut qu'un simple instant d'égarement, remettre tous les compteurs à zéro. Et tant pis s'il n'accomplissait pas les demandes de son maître, Mister U. N'avait qu'à les réaliser lui-même, ce gros con. Heureusement pour les Hommes, le Destin ne fit pas non plus selon les désirs de Raymond.
Pour l'heure, le vieux chercheur divin décida de se retirer dans ses appartements privés, tout là-haut sur la montagne. Il demeura solitaire, hostile à toute velléité de la part de Mister U qui venait de temps en temps frapper à sa porte pour tenter de le calmer.
Il était vraiment dans une rage noire, le débris. Grosse colère.

Ce fut le Temps, sa propre invention, qui se chargea sans rien dire de calmer le jeu. En effet, il s'écoula sans rien dire, impassible et indifférent. Même pas un petit "coucou" pour lui rappeler qu'il passait encore sous ses fenêtres. Raymond s'en foutait pas mal. Mieux, il ne voulait rien en savoir.

Puis, un petit matin, alors qu'il tartinait de beurre un de ces toasts au pain de mie sans croûte, un produit qu'il s'était créé pour ne plus avoir à mâcher ce qu'il bouffait, il retrouva son calme. La paix revenait en lui.
Ce qui arrangea bien les affaires des deux couillons qui, en bas dans le Jardin, étaient coincés sous une tempête qui durait depuis aussi longtemps que la colère de leur Dieu ! Le ciel s'éclaircissait parce que Dieu revenait à plus de sérénité. Adam retint la leçon. Eve, quant à elle, dormait ou simulait le sommeil. La simulation, une autre de ses qualités naturelles...

Donc, Raymond prenait un petit déj' peinard. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pris autant de plaisir à se beurrer la tranche. Et, parce qu'il n'était plus en colère, son esprit se remit à fonctionner normalement. C'est-à-dire, comme un vieux con qu'il était : avec ses idées toutes faites, ses inébranlables convictions. Il redevenait ce qu'il était depuis toujours, en fait : un méchant donneur de leçons.
L'horizon s'éclairait d'une aube nouvelle, porteuse de promesses innovantes, les oiseaux sortaient enfin de leurs abris, s'élançaient gaiement vers les cimes, chantant à tue-tête. La Nature reprenait aussi ses couleurs chatoyantes, les saisons rentraient dans le rang, les fleuves retournaient au lit, les marées reculèrent au loin. Bref, la Vie reprenait son cours.
Comme quoi, priver un monde de son Dieu, même tout pourri, et la Mort et le Vide s'installent illico. A retenir et à méditer !

Et, pour la méditation, Raymond décida de s'en payer une sacrée tranche. D'abord, il fit le vide en lui pour oublier les avanies passées. Ce ne fut pas trop difficile à faire. Pour s'aider, il s'imagina porter le nom d'Adam. Et le Vide se fit, en effet... Et Raymond trouva que cela était bon.

Pourtant, vite lassé du souffle venteux qui lui passait entre les oreilles, il imagina, conçut, échafauda un nouveau plan. Mais, cette fois-ci, il avait décidé de ne plus se faire baiser comme la première fois. Maintenant qu'il avait le trou du cul bien alésé à force de se faire niquer par Mister U, le Destin, le Hasard, la Nature, il décida de serrer les miches et, au pire, d'emmener au commissariat celui ou celle qui parviendrait encore à l'entuber.

Un Dieu nouveau fit son apparition, ce matin-là.
Et il était déterminé à corriger les conneries passées. Pour cela, il avait préparé une table de Lois. Il estimait qu'il n'était pas encore temps d'en faire part aux intéressés mais, plus tard, il ferait publier tout ça. Des trucs gravés dans le marbre, pour que ça résiste au Temps et aux conneries des générations futures.
Mais, avant d'édicter ses Lois, Dieu décida de descendre sur Terre, sous les yeux d'Adam et Eve, pour procéder à quelques menues réparations. Équipé de sa besace, une grosse boîte à outils en fait, il entreprit de corriger le bas monde pour en faire quelque chose d'acceptable à ses yeux. Qui sait ; un autre Dieu pourrait venir un jour et lui faire une proposition d'achat. Ne jamais rien négliger...
Pour ce qui fut des reliefs, des terrains, des saisons, tout cela ne lui prit que peu de temps. Quand il releva le nez de son ouvrage, il fut satisfait du résultat. Les trucs qui pouvaient passer pour des imperfections étaient, en fait, des contrôles laissés sur place, rien que pour lui. Et tant pis pour les mécontents. Ensuite, il s'attela à corriger les défauts de conception de ses créatures.
L'affaire ne nécessita guère plus de temps.

Un rapide état des lieux s'imposait. D'abord, Dieu était à poil, lui aussi. Il jugea que cela ne convenait pas pour ce qu'il avait à faire. Il se couvrit de ce qui lui tomba sous la main avant d'aller à la rencontre d'Adam et Eve. Pressé de finir, il tendit la main vers les rideaux à carreaux de sa cuisine, les passa sur ses hanches et descendit au Jardin en sifflotant, sa besace à l'épaule. Une paire de mules aux ripatons et l'affaire était lancée.
Adam et Eve le virent apparaître de nulle part, sidérés. Raymond avait travaillé sa silhouette, son personnage. Comme une star de ciné, il avait imaginé un physique significatif. Pour parfaite sa tronche, il avait opté pour une longue et forte barbe blanche, semée de poivre pour mieux se marier avec les longs cheveux gris-blancs qu'il portait depuis un récent concert à Woodstock, avec des potes imaginaires à lui.
Il se présenta sans tarder. Les deux ahuris se grattaient la tête et le reste d'étonnement. Que venait faire ce mec dans leur domaine ? Pressentant les questions, Raymond leur expliqua rapidement.

- Bon, mes cocos, commença-t-il d'une voix un peu lente, je suis venu à vous pour vous apprendre quelques règles. Vous êtes ici chez vous, ça je crois que vous le savez déjà. Vous pouvez vous servir de tous les ustensiles disponibles à tout instant, sans aucune demande à me faire. Genre, même, s'il vous manquait deux-trois trucs que j'aurais oublié d'installer, il vous suffira de me le dire par la pensée pour que je corrige le tir, ok ? Je vous dis ça, c'est juste parce que je vous aime bien...

Adam écoutait religieusement, Eve se grattait les miches, les yeux au ciel, un peu emmerdée par ce vieux con qui prétendait imposer ses lois. Elle n'avait rien demandé à personne. Rien à foutre que tout soit à dispo pour sa pomme et celle de l'autre ahuri. Elle voulait tout pour elle, point barre mais, trop finaude pour ne pas risquer de braquer le vieil homme aux rideaux à carreaux, elle prit rapidement le parti de ne rien dire, de faire semblant d'accepter sans contester.
Et Raymond de continuer son discours, leur expliquant toutes les choses qu'il mettait à leur disposition sans aucune contrepartie, tentant sans trop y croire de leur insufler un brin d'intelligence, au moins le minimum syndical en terme de jugeotte puis, le clapoir à sec à force de parler dans le vide, il le sentit parfaitement mais il décida de ne pas en tenir comtpe, il termina par ces propos :

- Vous pourrez manger de tous les fruits de ce jardin. Ils sont là pour vous. Faites-en vous péter l'oignon si ça vous amuse, je m'en tamponne le coquillard. Vous pourrrez même bouffer les lapins, les renards, les oiseaux, les girafes, les baleines, et tout ce que je ne pense pas à vous décrire. Vous voudrez bouffer votre merde ? Vous gênez pas, faites comme chez vous, puisque vous êtes chez vous ! Par contre, fit-il en haussant le ton et en levant un doigt menaçant, vous voyez ce putain d'arbre en plein milieu du parc, là ? Il désignait un arbre immense, au tronc énorme, aux branches vigoureuses et noueuses, peuplées de myriades d'oiseaux (de Paradis, faut-il préciser ?) qui piaillaient avec volubilité.

- Cet arbre-là, mes gaillards, si je vous vois bouffer un seul de ses fruits, je vous marave la gueule, tellement que vous pourrez vous regardez le trou du cul sans tourner la tête. Cet arbre est à moi. C'est l'Arbre de la connaissance du Mal et du Bien, des trucs qui vous passeraient au-dessus de la tête, de toute manière. Genre que vous crèveriez comme des sous-merdes si vous bouffiez un seul morceau de ses fruits... Capito ? fit Raymond d'un ton très menaçant.


Adam opina en tremblant comme une des feuilles dudit arbre. Eve renifla, le menton vers le bas et le regard levé vers Raymond, le défiant presque du regard. Celui-ci crut apercevoir une petite lueur ironique dans ses yeux. Finalement, elle fit un signe d'assentiment.
Raymond ne demandait rien de plus pour le moment.

Ah si !

- Une dernière chose, bande de nazes, reprit-il en faisant de grands moulinets avec ses bras, je ne veux pas vous fournir aucun pote ni moule supplémentaire... Vous devrez vous contentez l'un de l'autre pour faire joujou avec vos ustensiles. A toi, Adam, j'insuffle en toi, maintenant, l'appétit sexuel qui te manquait encore et je te regreffe une nouvelle bite, format extensible, à coups semi-automatiques. Comme ça, tu pourras enfin t'amuser avec ta bibite et j'aurais pas à me faire chier avec un autre taré de ton genre !

Il ajouta quelques moulinets de plus pour s'assurer des effets immédiats de sa volonté divine. Sait-on jamais, pensait-il... Puis, se retournant vers Eve :

- A toi, ma jolie, je mets en toi l'intelligence qui lui manquera toujours, quoi que je fasse. Tu élèveras les enfants que tu concevras en baisant avec ce con. Pas question d'y couper. Déjà, tu dois sentir un terrible picotement au creux de ton ventre. C'est l'envie de concevoir que j'imprime dans ton être. Tu ne voudras rien d'autre que donner une succession à ta vie, même si celle-ci est destinée à l’Éternité, un truc que je vous expliquerai plus tard. Je veux que vous vous y mettiez tout de suite. Bon, après mon départ quand même, hein ? Mais je veux que vous me donniez une descendance, nombreuse et vigoureuse. En échange de ce petit effort, je ferai de vous les maîtres de toutes vies animales, végétales, voire minérales si ça peut vous faire plaisir. Vous dirigerez ce monde, vous le dominerez et rien ni personne ne pourra vous retirer ce privilège.

Sacré discours....

- Sauf moi... finit-il par ajouter. C'est clair ? Je vais partir maintenant. Si vous êtes sages, je reviendrai vous voir, de temps de temps. Ça roule ?

Il s'apprêta à repartir en voyant que les effets de ses décisions commençaient déjà à faire effet. Adam s'était attrapé le scoubidou farceur à deux mains, l'exposant sans vergogne à Eve qui, de son côté, ondulait méchamment de la croupe en lançant des coups d’œil aguicheurs...
Devenu prudent, Raymond préféra quitter les lieux.
Des fois qu'ils se mettent en tête de vouloir copuler avec leur divinité...
Quelques pas plus loin, il se retourna une dernière fois. Il les considéra, un sourire supérieur aux lèvres.

- Avec ce que je viens de leur balancer dans les gênes, ils sont pas près d'arrêter de baiser, ces cons-là...fit-il doucement à sa seule intention. Si j'avais été moins con, j'aurais fait tout de suite et, aujourd'hui, je pourrais me cogner de super rigolades avec leur marmaille ! C'est con, la Vie, des fois...

Puis, éteignant la lumière divine, Raymond-Dieu-Prométhée remonta dans sa montagne. Sans s'en apercevoir, il marcha sur la queue d'un serpent qui observait en silence, une drôle de lueur dans les yeux...



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