Home Sweet Home

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Quand Eve reprit ses esprits, Adam s'escrimait encore à allumer un feu de bois.

Pas par charité d'âme, bien sûr. Rien à foutre que ce visiteur, dont il ignorait encore qu'il aurait dû penser "visiteuse", ait froid ou pas.
En fait, il se préparait à bouffer l'intrus.
Comme un petit cochon de lait, avec du persil dans les oreilles et une pomme dans le fion. En plus, il venait de découvrir les joies sulfuriques de quelques piments noirs, du genre à donner chaud aux soleils. Satisfait à l'idée de se farcir ce gibier inconnu, dans tous les sens du terme en ce qui concerne la farce, il sifflotait un petit air guilleret de sa composition.
Aussi, ne s'aperçut-il pas que l'autre venait de se réveiller, qu'elle avait pris une grosse pierre pour lui rendre la monnaie de sa pièce.
Heureusement pour Adam, Raymond veillait au grain.

Celui-ci les avait regardé faire connaissance. Dire qu'il fut déçu serait loin de la vérité. A franchement parler, il était dévasté. Ces deux petites merdes n'en étaient qu'à leur premiers instants pourtant ils étaient déjà prêts à se foutre sur la gueule. Il le prit pour un augure, un avertissement pour le futur. Un flash lui traversa l'esprit, imprimant en lui l'idée qu'hommes et femmes ne pourront jamais s'entendre.
Et il faut bien admettre qu'il n'eut pas tort. Les hommes resteront à jamais imperméables au langage féminin. Et l'inverse restera vrai. Pour leur défense, il conviendrait peut-être d'accabler Raymond de reproches. Le travail méritait plus de minutie...
Mais, pour le moment, il jugea utile de retenir la main d'Eve. En plus, il aimait bien se permettre deux trois choses hors du commun, juste pour se rappeler que Dieu, c'était lui !

Donc, par miracle, la pierre disparut des mains de la donzelle qui n'en crut pas ses yeux, bien sûr. Adam ne vit rien, trop occupé avec son putain de feu qui refusait de prendre. Un peu excédé, Raymond claqua des doigts et l'affaire du feu de bois se trouva résolue dans la seconde.

Puis, pressé d'aller de l'avant, il décréta que ces deux abrutis pourraient se comprendre immédiatement, sans devoir se taper de fastidieuses heures d'apprentissage, prévues au départ par leur Créateur.
Et puis, on allait pas encore se taper plusieurs chapitres pour juger de leur progrès linguistiques dont tout le monde se fout pas mal (et moi, le premier !). Donc, la pierre roulait pendant qu'Adam amassait de la mousse pour alimenter le feu. Et merde ! Allez, ensuite ?

Dans la foulée, Adam et Eve se parlèrent enfin.
Et Dieu-Raymond-Prométhée se jeta la tête contre les murs...

- Dis-donc, connard, tu fais quoi avec ton feu, là ? fit-elle de sa délicate voix de craie.

- La ferme, toi ! Je prépare mon frichti...

- Tu sais faire la bouffe, toi ?

- Ouais, et pas qu'un peu. Tu sais c'est quoi ma spécialité ?

- Laisse-moi deviner, rétorqua-t-elle. La salade de poireaux ? Le blaireau en daube ? Le rat à l'étouffé ?

- Nan ! La morue braisée... fit-il sans la regarder, un méchant sourire au bec.

C'en fut trop pour Raymond-Prométhée qui fit savoir son mécontentement par un orage bien carabiné qui dura des heures et des heures, ruinant ainsi les projets culinaires de l'ahuri.
Réfugiés dans une grotte qu'ils finirent par dégauchir par hasard, ils attendirent le retour du soleil. Le ciel, noir comme la colère divine, n'en finissait pas de tonner. L'ire céleste fut longue à calmer, ce jour-là. En attendant, les deux zozos durent bien entamer le dialogue. Raymond venait enfin de marquer un point. Il était temps d'en marquer quelques autres.

Alors, il décida de se transformer en lueur intense, du genre insoutenable sauf à vouloir se carboniser les rétines. Pouvait pas faire autrement. D'abord, parce qu'il n'était pas sûr que ces deux enfants ne décideraient pas de s'unir pour le transformer en grillade, ensuite parce qu'il ne savait pas choisir une silhouette digne de son rang. Vrai que c'était pas facile de représenter un truc en rapport. L'idée lui parut tellement bonne qu'il en fit plus tard un précepte, que d'autres encore adoptèrent aussi. Pour l'instant, la lumière suffisait. Elle était même d'autant plus nécessaire que ses deux premiers rejetons n'en étaient pas eux-mêmes (des lumières !)...

Profitant de leur étonnement, il prononça quelques paroles pour s'assurer que le son passait bien.

- Un, deux ! Un, deux, trois ! Essais sono ! Je recommence : un ! Un, deux ! Un, deux, trois ! Les culottes de la Duchesse sont sèches, archi-sèches, comme son immonde vieux popotin ! Un, deux ! Essai ! Bon, ça va le faire...


Il se racla la gorge une dernière fois, secoua les épaules, écarta un peu les jambes pour ne pas perdre l'équilibre (choses dont on se fout royalement, Adam et Eve en tête, puisqu'une lumière ne dispose d'aucun de ses attributs...)
Le temps était venu de l'Apocalypse. C'est-à-dire : la Révélation. (pas celle où c'est des putains de zombies dégueulasses, tout droit sortis d'un garage automobile mal entretenu, veulent faire la peau aux autres, hein ? Là, je rappelle que le mot Apocalypse, ça veut justement dire "Révélation"... C'est tout. Bon, je continue.)
Le Temps de l'Apocalypse était venu, donc.
Donc, c'était l'Apocalypse. Au moins son temps.
D'ailleurs, en moins de temps que ça, ce fut l'Apocalypse.
En effet, quand les deux tordus entendirent parler la lumière, ils se ruèrent hors de la grotte, les bras tendus au-dessus de leur tête et ils se barrèrent pour se cacher n'importe où, pourvu que la lumière ne parvienne jamais jusqu'à eux.
Objectif rempli pour ce qui concerne la lumière, encore à ce jour...
Mais Raymond, bien décidé à faire copuler ces deux couillons pour faire mumuse ensuite avec ses petits enfants sur ses genoux, les poursuivit sans faillir.

Il retrouva Adam en train de chocotter des ratiches, misérablement planqué sous les feuilles gigantesques d'un bananier. Il tremblait comme une feuille, pourtant il était fasciné par la forme des fruits jaunes et vigoureux qui pendaient en grappes. En attendant, il en aurait presque oublié la loupiotte qui hurlait dans le coin qu'elle se rapprochait, qu'elle allait bientôt le trouver, qu'il ne fallait pas croire lui échapper, etc.

Effectivement, Raymond-EDF-Suez-Engy ne tarda à lui mettre la main au collet. D'une simple petite variation d'intensité, il captura donc Adam et l'expédia sans tarder dans la modeste chambre d'un motel à l'américaine qu'il avait spécialement conçu pour eux (Pas les américains, les deux noeud-noeuds : Adam et Eve !)

Ensuite, il chercha Eve. Celle-ci ne fut pas plus difficile à trouver. Raymond connaissait parfaitement son petit jardin, aussi, faut bien le dire.
Donc, il trouva Eve cachée sur les bords marins qui se trouvaient là, juste pour me rendre service et pas me prendre la tête pour cette histoire débile.

Donc, Eve se dissimulait, le cul en l'air et la tête plongée entre quelques poteaux couverts de moules en pleine croissance. Elle aussi se trouvait en état d'hypnose. Sans comprendre le pourquoi du comment, elle était, elle aussi, fascinée par les bivalves qui luisaient de tout leurs feux sous le soleil de minuit et des poussières, en pleine lune.

Il fit pour Eve comme il avait fait pour Adam. Aussi se retrouva-t-elle illico presto dans la même piaule qu'Adam qui se demandait pourquoi il n'avait pas encore pensé à tous les équipements géniaux, comme la Hi-Fi et la cheminée en pierres de lave, la fourrure d'un gigantesque Tigre à dents de sabre étendue devant les flammes, la petite table basse à côté, chargée de mets délicats. Et un matelas à eau, un truc trop marrant qui te fout la gerbe en moins de trois minutes si tu es sensible au mal de mer ! Il adorait plus que le reste la bouteille de pinard et les deux verres en cristal qui n'attendaient que leur bon vouloir. Sans s'en rendre comte, sans comprendre le miraculeux de la situation, Adam se dit qu'il aimerait bien vider la boutanche, pressentant de merveilleux moments à venir...

Eve, quant à elle, se montra bien plus circonspecte, bien sûr.
Aucun des équipements qui émerveillaient Adam ne retenait son attention. Au contraire, elle les dédaigna très ostensiblement, se pinçant presque le nez pour mieux montrer son dégoût. Elle versa même une première larme hypocrite (il y en aura bien d'autres...) en regardant la peau de bête, massacrée pour rien.
Par contre, elle se montra très exigeante pour tout ce qui concernait le ménage, l'hygiène, et les conneries de ce genre. Elle ne retrouva un semblant de sourire qu'après avoir passé un doigt inquisiteur sur les meubles, les tableaux. Elle inspecta de près la plomberie, s'assura que l'eau coulait chaude dans la douche. Elle renifla avec insistance les serviettes de bain, testa les savons, les shampoings, les parfums. Après tout ces préalables, Eve consentit à rester sur place.
Home sweet home...

Raymond se frotta les électrons de satisfaction : il n'avait plus qu'à les obliger à se mettre à l'horizontal. Ce qui ne tarda pas : Adam avait eu une idée ; Eve en avait eu une autre.
Lui, pensait banane. Elle, pensait moule.
Il n'avaient plus qu'à se concocter une petite fricassée fruitée...




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