Rencontre du Premier Type

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La Nature, environnement global ainsi nommé par Dieu pour expliquer l'ensemble de son expérience, prouva rapidement qu'elle n'aimait pas le vide. En effet, les deux premiers exemplaires de l'Humanité ne tardèrent pas à se rencontrer. Normal : le Paradis n'était finalement pas plus grand que Central Park, ou un quelconque autre jardin public de bon aloi.

Enfin, le plus important fut qu'Adam croisa Eve, au détour d'un petit bois où il avait coutume de se casser la gueule. Ce jour-là, pourtant, il n'en eut pas le temps.
Eve était là, assise dans l'herbe, occupée à parler à une confrérie de fourmis besogneuses. Certes, elle devisait toute seule, mais le son tonitruant de sa voix avait fini par attirer l'attention d'Adam. Les fourmis, quant à elles, continuaient de bâtir leur petit monde sans se soucier de la jeune femme.

Eve se releva d'un bond quand elle entendit craquer quelques brindilles, un peu plus loin dans les frondaisons épaisses de la forêt voisine. Alertée et soudain inquiète, elle recula pour se dissimuler derrière un rocher. Elle avait déjà repéré des bestioles tigrées qui, avec leurs grosses moustaches blanches, semblaient dangereuses, aussi ne voulait-elle pas prendre le moindre risque. Elle aurait aimé, en cet instant peut-être difficile, se passer un petit coup de déodorant sous les aisselles mais cela n'existait pas encore. Elle puait donc furieusement et cela risquait de titiller les sens olfactifs de l'animal qui continuait de grandir dans ses pensées, au point de rapidement être le plus dangereux du monde.

Sans le savoir, Eve avait fait preuve d'une remarquable intuition. Son âcre parfum de petite fille négligée avait effectivement bouleversé le délicat odorat d'Adam qui, surpris de découvrir une pestilence en tout point identique à la sienne, avançait alors à pas de loups. Il tentait de surprendre le putois ou le bouc qui, à n'en pas douter, traînait dans le coin, ce qui lui déplaisait fortement puisque ce bois était le sien, et seulement le sien. La territorialité n'avait pas encore de nom mais elle existait déjà dans les gènes d'Adam.

Un grand sourire aux lèvres, il se réjouissait à l'avance du pavé qu'il allait envoyer sur la bête, juste pour le plaisir de la voir déguerpir en piaillant de douleur. Si Adam ignorait tout du Mal et du Bien, il en savait déjà long comme un jour sans pain de la douleur, de la frayeur et autres choses de ce genre. La présence de cet animal, caché quelque part devant lui, était donc une chance à saisir pour creuser encore un peu plus le domaine de ses découvertes sensorielles.

Son instinct de chasseur lui soufflait que la bête se planquait pas loin. Silencieux et furtif comme un F117 au hangar, il reniflait l'air avec précaution, orientant ses recherches au gré du vent. Il n'était plus très loin, il le sentait de mieux en mieux...

Une grosse pierre anguleuse à la main, il fit encore quelques pas quand, trahit par une brindille qui se brisa sous son pied gauche (encore la gauche...) il crut voir s'échapper sa proie.
Il s'immobilisa quelques secondes puis, à son grand soulagement, il constata qu'il avait encore toutes ses chances. Le putois, ou l'animal puant qui rôdait là n'avait pas bougé...

C'est une ombre qui lui révéla la cachette de ce dernier. Satisfait et sûr de lui, Adam s'approcha sans plus faire de bruit et, le bras levé au dessus de la tête, il parcourut les derniers mètres, prêt à lancer sa pierre sur sa victime...

S'il avait un rude caractère de chasseur, Eve n'en avait pas moins une solide intuition qui lui permettait déjà d'éviter bon nombre d'embûches. Se sentant découverte, elle avait déjà ourdi un plan pour se soustraire aux dangers qui la guettaient...

Ainsi, quand Adam se découvrit soudain, hurlant comme un goret qui aurait découvert avec ravissement une auge de patates en décomposition, Eve l'attendait de pied ferme.

Et l'expression n'est pas de trop !

Adam, dominant sa victime potentielle de toute sa haute stature, tenant sa pierre à bout de bras au dessus de sa tête, les jambes écartées pour mieux assurer sa position, allait fracasser la jolie tête d'Eve quand celle-ci, d'un geste fulgurant, visa d'instinct, une fois encore, au point sensible...

Son pied partit tout seul, tel un missile nucléaire, et s'engouffra avec force dans l'entre-jambes d'Adam qui ne s'y attendait évidemment pas.

Le résultat, bien sûr, fut terrible !

Soudain vert olive, Adam eut la malencontreuse idée de porter ses mains entre ses cuisses, histoire de calmer l'incroyable douleur qui venait de lui naître à cet endroit-là. Mais, ce faisant, il avait inconséquemment lâché la pierre qu'il avait au-dessus des oreilles ! Aussi, comme écho des souffrances qu'il endurait déjà sous le ventre, il eut l'impression que sa pauvre calebasse s'émiettait soudain.

Bien entendu, il s'effondra dans l'instant. Black out total, pendant qu'Eve dansait la danse des Sioux vainqueurs ! Cette pétasse, fière de son geste, hurlait et dansait autour du corps de sa victime. Sa première victime !

Curieuse comme une pie, un oiseau noir et blanc qui l'accompagnait souvent, Dieu-Raymond-Prométhée seul sachant pourquoi, elle stoppa ses gesticulations en réalisant que le truc qui gisait par terre avait pas mal de similitudes avec elle...

Quelques détails différaient, cependant...
A commencer par l'endroit où elle avait assuré sa défense.
Elle aurait bien investigué un peu plus mais Adam ne tarda pas à se réveiller, se frottant alternativement la tête et les roubignoles, ne sachant pas trop à quelle partie de son corps donner la préférence, d'ailleurs.

Il geignait comme un singe tombé de sa branche, pendant qu'Eve continuait de tourner autour de lui, maintenant armée d'un bâton, au cas où. Maintenant, elle savait où cogner...

Ils s'observèrent un instant sans rien dire. Puis, submergée par une insurmontable envie de parler, chose bien féminine mais qu'elle ignorait encore, Eve se mit à bombarder Adam de questions, toutes plus débiles les unes que les autres.

Peut-être.

Oui, peut-être. Parce qu'Adam et Eve ne parlaient pas encore d'une seule et même voix. Ils ignoraient tout du langage entre homme et femme. D'ailleurs, assez peu de progrès ont été faits depuis. Mais, pour le moment dont il est question, ils se lancèrent tous les deux dans un curieux concert de mots incompréhensibles et tonitruants.

Finalement, redevenu maître de son corps, Adam fit la seule chose qu'il fallait faire pour ramener le calme et la sérénité.

D'un geste brusque et fulgurant, il colla une beigne de cow-boy à Eve qui s'envola instantanément dans les ouates confortables d'un inconscient involontaire.

Femme : 1. Homme : 1.

La balle au centre !

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