Le Paradis

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Raymond reprit le harnais et reprogramma son monde. Il pensa même éradiquer cet Homme indocile et curieux.

Cependant, il préféra attendre encore un peu. Pour tenter de le contrôler, il avait inventé des entités emplumées dans le dos, auxquelles il avait accordé quelques capacités, veillant toutefois à ne pas leur octroyer plus de pouvoir que nécessaire, déjà conscient qu’un trop plein de dispositions merveilleuses pourraient leur tourner la tête et les inciter à vouloir lui piquer sa place…

Charité bien ordonnée commence par soi-même, se dit Raymond, un matin qu’il prenait un solide petit déjeuner sur une montagne qu’il avait coutume d’occuper pour roupiller tranquille. Pourtant, les cris et les clameurs de ceux d’en bas montaient sans cesse jusqu’à lui, au point qu’il décida un jour de faire un méchant coup de ménage dans la cage terrestre.

D'habitude débonnaire et bienveillant, il s’emporta soudain, pris d’une putain de colère qui fit trembler le monde et la lune, petite planète satellite qu’il pensait un jour peupler d’une race différente, qu’il avait déjà décidé d’appeler les « sélénites ». Il méditait aussi sur les possibilités de garnir une autre planète, rouge celle-ci, avec des êtres verts, mélange coloré qui inspirera un jour une Nation fière et conquerante. Ces projets ne furent jamais menés à terme parce que les rigolos de la Terre, maintenant doués de la parole et de la pensée, des trucs totalement nouveaux et imprévisibles, semblaient déterminés à prendre le contrôle de leur destinée sans autre forme de procès. Tout comme Raymond avait décidé un jour de se passer des ordres de Mister U, les Hommes voulaient agir sans recevoir d’ordres de personne. Or, Raymond ne pouvait accepter d’être dépassé par ces microbes ridicules.

Mister U, lui, se marrait doucement, trouvant dans la vengeance du Hasard un baume cher à son cœur… Il laissa faire, passionné par ces créatures étranges qu’il observait avec une infinie curiosité, ainsi soulagé de son éternel ennui. En effet, ces Hommes ne manquaient jamais une occasion de le surprendre, ce qui enchantait ses longues périodes d’inaction.

Pour toutes ces raisons, et très blessé de cette émancipation qu’il n’était pas disposé à leur accorder, Raymond usa et abusa de ses immenses pouvoirs pour détruire la totalité des êtres vivants sur la planète Terre. La colère avait pris le dessus, l’aveuglant au point de tout ramener à l’état de pierre et de lave.

Sale con de Raymond, va !

C’est ce qu’il se dit un jour, longtemps après que le silence se fut installé pour de bon sur la planète. Après un ou deux millions d’années, peut-être trois ou quatre, de désert et d’ennui, il se fit la réflexion qu’il en était arrivé à la même position que Mister U…

Fier comme Artaban, un type qu’il créera un peu plus tard pour mieux visualiser sa propre arrogance, il décida tout de go de changer les choses. Tout ça pour ne plus faire comme Mister U qui, depuis quelques temps déjà, le négligeait avec une courtoise suffisance.

Raymond décida donc de créer un nouveau laboratoire, plus petit que le précédent, situé sur la planète bleue parce qu’il en avait marre de se taper les longues périodes de création d’une boule à placer à la bonne distance d’un soleil pour y laisser naître la Vie, qui restait quand même sa plus grande fierté et sa plus belle invention.
Il créa donc un nouveau territoire, isolé du reste de la planète. Son nouveau laboratoire.
Comme toute nouvelle expérience qui démarre, au départ, c’était la zone : « Pas un rade, pas une bécane. Rien ! »

Rapidement, il conçut à nouveau l’air, la mer, les montagnes, la lumière et tout le bordel. Il sema le sol de prairies vertes, saupoudra les montagnes de neige, agrémenta les mers de courants, même si ceux-ci provoquaient parfois quelques gros dégâts sur les côtes terrestres. Il peupla tout ça d’espèces animales entièrement anodines, de celles qu’il adorait, c’est-à-dire celles qui ne faisaient que baiser, bouffer, dormir.
Comme un commerçant qui s’apprête à ouvrir son magasin pour la première fois, Raymond veilla à tous les détails, préparant tout, remplissant les étalages de toutes les denrées qu’il estimait nécessaires à la clientèle dont il espérait bien vider les poches pour son plus grand bénéfice et se tirer ensuite sur une côte ensoleillée pour se dorer les couilles après des années de laborieuses besognes.
Après bien des efforts, il contempla son œuvre et sembla satisfait. Il avait travaillé comme un esclave, poussé par l’ambition de mieux faire. Toutes les précédentes expériences n’étaient finalement que les prémices d’une aventure dont il espérait ardemment qu’elle se transformerait en coup de maître.
Mais pépère Raymond-Prométhée avait pris de la bouteille.

Fatigué de tout ce travail intense, il décida de s’accorder quelques instants de repos et de réflexion. Il appela ce moment Dimanche. Avant de s’endormir, il pensa bien faire en créant d’autres périodes. Concevoir chacun des compartiments de son nouveau monde méritait de recevoir aussi un nom. Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi et Samedi naquirent donc de ces réflexions particulières. Pour simplifier les consignes à transmettre à l’armée de secrétaires ailés dont il avait conservé la plupart, sauf un qu’il vira avec perte et fracas sous la croûte terrestre, il engloba tous ces noms sous un titre générique qu’il nomma semaine. Plus d’autres titres, plus généraux encore, qu’il baptisa mois, années, siècles, millénaires,etc.

Ainsi fut créé le Temps, nouvelle trouvaille dont il espérait tirer bien des avantages exclusifs.
Il ronflait à moitié quand, ultime inspiration du jour, il trouva un nom pour son nouvel univers, son petit jardin secret : Paradis.

Il n’avait plus qu’à y ajouter un ultime ingrédient pour que reprenne l’expérience.

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