Ma démission de l'Education Nationale

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J'ai envoyé ma lettre il y a cinq jours.

J'ai pris le temps cet été de la mûrir, de hurler ma haine.

Puis j'ai écrit, les mots coulaient tous seuls, cela allait de soi en somme.

Comme un torrent qui dévale la montagne et qui prend le sens du courant vers ce qui doit être.

J'en envoyé ma lettre, j'ai pris mon nounours (celui qui m'accompagne depuis ma naissance), la photo de Mamie avec moi sur ses genoux, ce que j'ai de plus cher en somme, puis j'ai sauté dans le premier train.

La mer, vite!

Sur la plage de Nice, je me suis dit qu'il y avait bien longtemps que je n'avais pas pris de vacances, de vraies vacances je veux dire. Dans le sens étymologique du terme, celui de vacuité. 

Cette vacuité, je commence à la sentir, celle du vide avant de m'élancer, un peu comme quand je faisais du théâtre, le noir puis le miracle: la lumière s'allume et je joue.

Ma vie repasse en boucle et je me dis qu'en fait, je n'ai jamais aimé l'école.

En fait, je ne sais pas d'où sort cette idée que j'étais bien à l'école, que j'ai réussi à l'école, grâce à l'école et que donc je devais quelque part remercier l'école.

J'étais bien à l'école tout simplement parce que j'étais très mal chez moi, c'est tout, c'était juste moins pire, mais bien, non. De plus, étais-je reconnue à l'école?

Non. Mes camarades étaient jaloux de mes facilités, de mes affinités avec les profs.

Et les profs étaient sympas avec moi, eux, et me disaient: "tu réussiras, toi."

Je n'avais jamais réfléchi au fait que "tu réussiras, toi" supposait en implicite qu'eux avaient échoué, en fait. Quelque part, ils m'invitaient à ne pas suivre leur route et ce n'est que maintenant que je le comprends.

Il me reste quoi de l'école? Des brimades, des pleurs, me lever tôt, le vélo dans le froid pour aller à l'arrêt de bus, l'obligation de protéger mon goûter, des camarades qui me piquaient mes stylos et ne me les rendaient pas. 

Est-ce l'école qui m'a rendue telle que je suis? Non, je suis ce que je suis et l'école n'a rien fait pour valoriser mes talents et mon intelligence. L'école m'a acceptée à partir du moment où j'en acceptais les règles, règles égotiques du "Service Public", où finalement, sauf exception, il s'agissait de reconnaître qu'il y avait plus fort que soi, un prof, un camarade, un supérieur hiérarchique, pas parce qu'il était plus intelligent, non, au contraire justement, et il fallait obéir tout simplement. Et lorsqu'il n'y avait pas "plus fort", eh bien, forcément, il y avait plus faible, j'avais de la chance, moi, d'être "douée", tout le monde n'a pas cette chance. Et dans un sens comme dans l'autre, il n'y avait jamais de temps pour moi, ni d'attention et encore moins de reconnaissance. Et personne ne s'est jamais douté du martyre que je vivais à la maison, personne n'a bougé le moindre petit doigt pour m'en protéger, j'étais seule, irrémédiablement.

J'ai aimé servir mon pays, et j'aime toujours le servir quelque part en étant ce que je suis, et pendant longtemps, j'ai voulu exercer auprès des autres, des jeunes que j'ai côtoyés et dont j'ai été l'enseignante la fonction d'éveilleur, d'éclaireur, en accord avec les principes de la philosophie des Lumières dont je me sentais l'héritière par mon métier et mon statut de fonctionnaire. 

Le problème, c'est que moi, derrière Lumière, je ne mettais pas tout à fait les mêmes valeurs, celles que le bon sens me faisait mettre pourtant, et peu à peu, je compris que ce que les français appelaient Lumières étaient en fait les ténèbres et le rejet de la spiritualité, qui fait notre essence pourtant, le rejet de notre âme en somme.

Peu à peu, je compris que les intellectuels dont se réclame la France ne sont pas si irréprochables que ça, et ceux qui le sont le plus se sont barrés à l'étranger, d'ailleurs se demander pourquoi est riche d'enseignement.

Peu à peu, je compris que les valeurs de la Résistance auxquelles je m'identifiais n'étaient que le fait de quelques uns et que le reste était vague récupération à des buts de glorification posthume. Être fonctionnaire, c'est forcément collaborer et là, présentement, malgré mes tentatives de changer les choses  -forcément vaines, personne ne souhaite changer dans le fond vu que cela mettrait en péril son propre statut-, j'étais en train de collaborer au suicide d'une nation.

Bien sûr, le fonctionnaire, en bon toutou docile, s'adapte à son chef, si celui-ci est intelligent, alors forcément ce que l'on demandera au fonctionnaire le sera aussi.Mais les français ont les dirigeants qu'ils méritent et qui sont à leur image.

Moi qui suis rentrée dans le Service Public par anticapitalisme, je n'avais pas compris qu'après la dictature de la noblesse, nous sommes au stade de la dictature de la bourgeoisie et nos dirigeants ayant choisi de se vouer au saint "Capital", je ne pouvais pas en faire l'économie, même, surtout, dans ce secteur.

Maintenant, il ne me restait plus qu'à faire mon entrée dans le monde.

Des idées foisonnent dans ma tête, de choses que je pourrais faire, que je pourrais mettre en place, essayer, à mon rythme.Des idées que j'ai envie de mettre en place depuis bien longtemps, des idées que j'ai depuis toujours, mais je n'osais pas me lancer. Là, la nécessité faisant loi, il faudra bien, un peu comme quand je faisais du théâtre, le noir puis le miracle: la lumière s'allume et je joue

La peur de l'échec est là, tenace. La peur de retomber dans la misère aussi, d'où je viens en somme et d'où je pensais échapper en étant fonctionnaire, de ne pas trouver d'endroit où dormir, de ne pas manger à ma faim. Mais l'envie d'être mon propre maître est plus forte que tout, et je me dis que si les autres réussissent, je ne vois pas très bien pourquoi je ne réussirai pas moi non plus.

De l'école, il me reste le savoir, mais quel savoir finalement? Quelques valeurs qui viennent de s'effondrer en exerçant ce que l'école s'était bien abstenue de développer en moi: le sens critique.

Le soir, sur mon balcon, face à la mer, je n'ai besoin de personne pour observer les étoiles et identifier les constellations. Je me souviens du livre d'astronomie que Mamie m'avait offert, le livre, je le savais déjà par cœur à dix ans. A quatorze, je connaissais tous les dieux et toutes les déesses romaines et peu à peu, je les ai oubliés, parce que l'école, c'est ça, ça désapprend en fait et on m'avait fait comprendre que les déclinaisons latines, c'était beaucoup plus important. 

Je suis allée rendre hommage aux victimes de l'attentat du 14 juillet, il y a plusieurs lieux de recueillement. Ce qui domine ici, c'est l'enfance, tous ces nounours, toutes ces peluches, toute cette enfance volée que l'on tente de défendre, de préserver quoi qu'il arrive. Je me dis que Nice est la ville de l'insouciance, mais que c'est toujours pareil, lorsqu'on est heureux, lorsqu'on a tout pour être heureux, il y a toujours des connards pour qui ce n'est pas assez, ce n'est jamais assez et toute marque de bonheur chez les autres est un affront, alors ils détruisent, tout, tout sur leur passage, nous sommes dans cette guerre mondiale depuis une éternité sans le savoir et c'est toute notre vie qui dépend de cette honteuse tyrannie qui nous empêche d'être. L'heure est à l'émotion et une femme voilée me tombe dans les bras: "Mais c'est horrible, je suis tellement désolée.". J'aurais aimé lui répondre que ce n'était pas de sa faute à elle, mais derrière mes lunettes de soleil, j'ai les yeux baignés de larmes et je ne peux rien dire. Son mari l'appelle, lui est resté en dehors du site même, et elle, elle lui obéit.

A la recherche de moi-même, je me trouve peu à peu, enfin non, je me retrouve, je retrouve mon enfant intérieur, la lutte se poursuit oui, mais un syndrome de Stockholm en moins.

A présent, je ne sais pas ce qu'il va se passer. Je me regarde dans le miroir et je me dis que je n'ai que 42 ans après tout et vu tout ce qu'il s'est passé ces vingt dernières années et l'énorme leçon de vie que je viens de vivre, la vie est devant moi en fait.

Je viens de naître en fait, de naître à moi-même.

J'ai peur toutefois, peur des réactions, peur que l'on m'accuse de Dieu sait quoi encore, peur qu'on me persécute, peur que cela me dépasse, peur que cela ne s'arrête jamais. 

Mais je ferai face, il le faut.

J'ai fini de payer ma dette imaginaire envers l'école.

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