Mon premier burn-out

6 minutes de lecture

J'avais déjà fait un burn-out précédemment.

Quelques années après le début de ma carrière.

Je détestais les réunions parents-professeurs telles que la plupart du temps elles sont organisées dans les établissements scolaires. Seule face à cette masse de parents qui font bloc.

Les réunions individuelles, c'était autre chose, mais les collectives, je détestais ça.

Dès le début de ma carrière, même si je ne payais pas de mine, mon franc-parler et mes points de vue sur l'enseignement agaçaient.

Quel rapport avec le burn-out, allez-vous me dire?

Bonne question.

Un soir -je travaillais dans un collège en banlieue et à l'époque, j'étais parisienne- je rentrai très tard à cause d'une réunion parents-profs et j'étais contente parce que cela s'était très bien passé.

A mon arrivée chez moi, je constate qu'il y a un message sur mon répondeur.

Je l'écoute.

Je m'effondre.

- "L'homme des cavernes est mort. Il s'est suicidé."

En plus, le message, émanant d'un voisin, qui à l'époque était aussi mon "amoureux", donnait un détail macabre sur le mode opératoire qui me fit aller direct aux toilettes vomir.

Je ne dormis pas mais je ne voyais pas très bien pourquoi je ne serais pas allée au collège.

Je m'effondrai.

Le directeur me ramena en voiture à la gare.

Commença une longue période de dépression qui était très ambivalente, je DÉTESTAIS l'homme des cavernes, donc j'aurais dû être contente. Quelque chose me titillait quand même.

Ma mère l'avait quitté. Ne pas l'épouser eût été plus simple, mais ma mère était comme ça.

Du coup, je l'avais dit: "soit il la tue, soit il se tue."

Ce climat de violence, je l'avais toujours senti lorsque j'habitais chez eux.

Contre la cheminée, un fusil constamment chargé était posé et j'avais appris en cours de physique que la chaleur pouvait, par dilatation, déclencher une détonation par balle.

Je ne dormais donc jamais tranquille.

Un jour, l'homme des cavernes revint sans le chien. Je hurlai: "où est le chien?"

- "Tu sais, le voisin qui ne voit pas bien [il était myope], il l'a confondu avec un lapin et il l'a tué."

Je savais que c'était faux, et de fait, cela l'était. L'enfant que j'étais était meurtrie par ce crime.

Bref, l'homme des cavernes menaça ma mère, qui trouva quelqu'un d'assez con pour la défendre, et du coup, quelques jours plus tard, il se tua.

A l'époque, je buvais de l'alcool, et là, pour l'occasion, je buvais assez pour anesthésier ma douleur qui remontait, tout en maintenant une limite acceptable pour ne pas tomber dans l'inconscience.

Une nuit, je ne sais pas combien de temps j'avais passé là à boire sans arrêt, plusieurs jours en tout cas, je vis avec lucidité que si je ne rompais pas définitivement avec ma mère, je serai la prochaine sur la liste des victimes. Ma mère tuait tout ce qu'elle touchait, tout le monde mourait dans son entourage: il fallait donc lui échapper.

Parallèlement, ma santé se dégrada, je fis une chute de tension très spectaculaire et le médecin me mit en arrêt de travail, un mois pour commencer, renouvelable.

Je pris du temps pour moi, j'allai en bord de mer en Normandie, et là, forcément, au bord de la mer, tout s'éclaire, des réflexions commencèrent à affluer: es-tu sûre d'être faite pour ce métier? Du moins, tel qu'il est envisagé à l’Éducation Nationale?

Les frustrations étaient déjà là, je ne pouvais pas le nier.

En Normandie, je rencontrai un homme avec qui je passai quelques temps. Il était prof de FLE, diplôme que j'avais moi-même passé par correspondance pensant, j'avais depuis abandonné ce projet, repartir en Espagne. Et il me raconta que finalement, il passait son temps à voyager, il postulait dans des écoles en Grèce, en Finlande, en Asie, parfois en France, et sa vie se déroulait ainsi.

Je me surpris moi-même à rêver de faire la même chose, des talents j'en avais, les mettre en valeur était autre chose.

Au bout d'un mois, et contre attente, je me levai un matin et retournai au collège avec l'idée fixe et très claire que j'avais des choses encore à explorer. 

Ce furent mes années parisiennes (et j'en profitai jusqu'à la lie), la reprise de mes études, l'exploration du secteur du tourisme pour lequel je travaillais un peu pendant mes vacances, des voyages, une histoire d'amour qui dura dix ans, une psychanalyse, mon approfondissement des pédagogies alternatives, l'engagement syndical, la découverte de la méditation, la rupture définitive avec ma mère.

Puis un changement radical s'opéra en moi.

Je stoppai l'alcool définitivement, ainsi que la frénésie des voyages et des lectures, je basculai d'une bisexualité de moins en moins satisfaisante à l'homosexualité de plus en plus affichée, des besoins nouveaux apparurent: le silence, l'écriture qui revint sur le devant de la scène, je sortais de moins en moins et habitai de plus en plus loin de Paris, je m'intéressais de plus en plus à la philosophie, à la psychanalyse (en essayant de décortiquer la mienne), à la spiritualité. Mon goût pour la religion refit surface. 

Je trouvai des compromis pour faire cohabiter tout cela avec mon métier: temps partiel, doctorat.

Un jour, j'arrivai en larmes devant mon psychanalyste: "J'ai compris que le problème du monde ne vient pas de moi, il vient des autres. Ma psychanalyse s'achève aujourd'hui."

Je découvris que mon psy était beaucoup moins prêt que moi à notre séparation, et nous conclûmes de faire coïncider la fin avec les vacances d'été qui allaient être prolongées par le congé formation.

Je profitai de l'été pour partir quelques semaines marcher sur la Via Francigena qui est la route de pèlerinage qui mène à Rome. Je ne fis que quelques étapes sur une vingtaine de jours, que je choisis bien minutieusement en fonction de mes envies et de mes limites. 

Quelques mois plus tôt, un problème de santé à l'utérus (que j'interprétai comme l'ultime tentative de ma mère de me retenir, et ce à distance, dans son giron) qui n'était pas un cancer, mais il n'aurait pas fallu attendre plus longtemps pour que cela le devienne, me secoua de ma létargie. Je m'étais regardée dans le miroir:

-"Alors ma belle, tu es à la croisée des chemins, que décides-tu?"

- "De vivre".

- "Et s'il ne te restait que quelques semaines à vivre, tu ferais quoi?"

- "La Francigena".

Survivre à cet incident de santé, j'aurais survécu quoiqu'il arrive, mais ma peur de l'anesthésie générale (la peur qu'un type me tripote pendant que je suis inconsciente, beurk!) me faisait craindre le pire. J'allais en cours en me disant: "Oh, c'est la dernière fois que je vois mes petits chéris" (les élèves bien sûr).

- "Écoutez, m'avait dit le chirurgien, il va falloir me faire confiance."

Il avait quand même compris le message subliminal et l'anesthésiste au look de surfeur se métamorphosa dans la salle d'opération en belle brune qui au moment de m'administrer le somnifère me disait de sa voix douce:

- "Ne vous inquiétez pas, je suis là, pensez à quelque chose d'agréable."

Je me vis avec la belle brune sur la plage à Nice, puis plus rien.

Je la cherchai en vain à mon réveil, mais rien, elle n'était plus là.

- "Vous allez bien Madame, vous n'avez pas besoin de belle brune pour vous tenir la main", avait dit en riant une infirmière.

Et pourtant ...

Cet épisode ne me fit pas oublier mon engagement et je réalisai mon projet de la Francigena dès que je pus.

Sur les routes, j'appris la douceur du lâcher-prise, celui qui vous fait vous lever le matin sans savoir où vous allez dormir le soir, ni où vous allez manger et sans que cela soit un problème.

Entre temps, je portai plainte contre mes anciens propriétaires qui étaient aussi des amis avec qui je partageais mon goût de la bière à l'époque où je buvais. Mais ce temps était révolu, les amis n'en étaient plus et ils m'arnaquèrent au moment de me rendre la caution. Je les mis au tribunal et je gagnai, ce qui avec le procès contre le Rectorat, fut mon deuxième procès gagné en deux ans.

Je prenais une confiance terrifiante, sans limites, j'avais l'impression de naître à moi-même et à chaque fois que je pensais aller trop loin, l'expérience me montrait que je n'allais pas assez loin.

Je tournais autour de moi-même, et suite à cette "révolution" pendant laquelle j'explorai le monde et moi-même, je revins à la case départ.

Cette fois, bien déterminée à accomplir mon destin.

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