Une question de limites

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Les attentats font beaucoup parler les élèves.

Leurs émotions se libèrent.

Certains ont peur, trop à mon goût, la peur est normale tant qu'elle ne vire pas à l'hystérie.

C'est vrai qu'une fusillade ayant eu lieu à 2 kilomètres du lycée (et accessoirement à deux cent mètres du lieu où j'habitais à peine quelques mois auparavant), on se sent tout à coup plus ... concerné-e-s.

Après, voilà, inutile de dire : "J'ai peur" ou d'être à l'affût de la dernière catastrophe en zyeutant son smartphone (qui d'ailleurs devrait être éteint) toutes les cinq minutes. Non, il faut être digne, et apprendre à gérer l'urgence lorsqu'elle se présente. 

L'abatage médiatique, l'immédiateté des nouvelles, tout cela s’insupportait, et encore même sans télé, sans écouter la radio, en limitant mes connexions à Internet, la rumeur du monde me parvenait quand même.

Les élèves me demandent à faire un débat, à parler de tout ça en cours.

-"D'accord.

Mais à condition que cela soit en espagnol."

Vague de protestations.

- "Ah, mais si, attendez, je veux bien que le cours soit modifié en raison de l'actualité, mais bon, il n'empêche que c'est un cours d'espagnol."

Les élèves acceptent.

Ils prennent la parole à tour de rôle, ils s'écoutent, je ne corrige que lorsque j'estime que l'erreur ou la maladresse sont trop importantes afin de ne pas altérer la communication qui s'est instaurée, tous les élèves s'expriment, parfois je donne mon avis par rapport à ce qui est dit, rien de bien transcendant, toujours le même refrain sur la tolérance, le pourquoi de tout ça, mais c'est bien quand même et j'apprécie ce cours.

Les élèves me demandent mon avis, mais un avis plus général que celui que j'ai exprimé par mes interventions ponctuelles sur la question.

Et là, je me lance dans mon traditionnel discours: que tout ça, c'est un problème de narcissisme, que les personnes capables de tels actes sont des personnes qui n'ont aucune notion des limites, sans doute par caractère, mais aussi parce que personne n'a dû leur enseigner ce concept, donc par manque d'éducation, du coup, ils se sentent dans le pleine puissance, l'égal de Dieu, sauf que ce n'est pas le cas.

C'est tout.

Et j'ajoutai que le prof, lorsqu'il dit à l'élève "Basta! Écoutez-vous! Soyez respectueux!", c'est pas pour l'emmerder, c'est justement pour ça, pour lui enseigner que dans la vie, on ne fait pas ce que l'on veut, c'est tout. Lui montrer que la vie est une question de limite.

Sonnerie. Pile, j'avais fini.

Personne ne bronche et les effets de mon petit discours semblent se prolonger indéfiniment.

- "Bon, je ne sais pas vous, mais moi, j'ai besoin d'une récréation." m'écriai-je.

Avant de partir, les élèves me disent qu'ils ont un dernier truc urgent: en fait, il y aurait des élèves dans le lycée qui seraient d'accord avec les attentats et ils l'ont publiquement affirmé.

-"Et bien, il faut leur dire non. Ça se voit que ces élèves ne savent pas ce que c'est que la souffrance, parce que s'ils le savaient, ils voudraient impérativement que les autres soient aussi épargnés. Il faut leur dire que ce n'est pas possible, que c'est abject, que c'est ...

Bref, hasta luego niños."


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