Dans l'enseignement de la langue espagnole que je dispense, j'ai pour habitude de choisir des documents en rapport avec ma sensibilité et les thèmes qui constituent des centres d'intérêt.

Toutefois, il m'arrive de traiter des sujets "incontournablement hispaniques", ben parce que oui, il y a des sujets "incontournablement hispaniques"qui ne m'intéressent absolument pas.

Combien de fois mes collègues m'ont reproché de ne pas être inconditionnelle de ce pays!

Certes ce pays a compté pour moi, à une époque de ma vie qui est révolue en plus, mais il n'est pas le seul au monde, l'Italie est culturellement bien plus intéressante à mon avis. 

- "Ohhhhhh, qu'est-ce que tu dis là!"

- "Ben quoi, t'as pas de distance, toi, vis-à-vis de ta matière?"

- "Je me pose pas cette question."

Oui, voilà, il est là, le problème, et pire même, tu ne t'en poses aucune de question. 

Parmi les thèmes que je peux traiter en classe et qui ne sont pas "ma tasse de thé", il y a le flamenco.

Je déteste le flamenco.

Bon, en spectacle, "dans l'instant", il m'est arrivé d'être enthousiasmée, mais voilà, le flamenco, ça se vit sur place, dans un café sombre de Grenade.

J'avais fait une séquence sur le monde gitan, assez inédite, qui ne m'avait pas déplu et qui était bien passée auprès des élèves. Ne pas parler du flamenco aurait été une hérésie.

J'optai pour l'extrait d'un film de Carlos Saura, qui est soporifique à souhait, mais l'extrait que je projetai représentait la scène d'un cours de flamenco. L'objectif était aussi de leur montrer qu'en espagnol, là où le français passe plutôt par des phrases plus élaborées et faussement polies: "Est-ce que vous pourriez s'il vous plait blablabla", l'espagnol sera plus direct dans ses injonctions et aura recours à l'impératif la plupart du temps.

Une élève intervient, c'est Gaëlle, je l'aime bien, mais j'aimais bien toute la classe en fait, sauf exception.

- "Madame , vous pourriez nous faire un cours de flamenco un jour?"

- "Oh, ma pauvre, je suis une quiche en flamenco vous savez, je n'aime pas danser en fait. Et ... faire venir quelqu'un risquerait de coûter un peu cher ..."

[...]

- "Mais Madame ....moi je fais de la salsa, est-ce que cela vous dirait si j'animais un cours dans la classe?"

- "Oui".

Sans aucune hésitation.

La gamine ne s'était pas fichue du monde, la chorégraphie qu'elle avait préparée aurait pu nous occuper pendant des heures (et là, elle apprit à ses dépens que le prof prépare toujours trop ...) et le cours se déroula à merveille.

Tables poussées, nous nous accordâmes que seul-e-s les volontaires, plus de la moitié de la classe, participeraient, les autres demeurant spectateurs.

Je ne savais pas encore où me situer, lorsque Sébastien, un élève de la classe, vint me demander dans un espagnol approximatif mais de façon très chevaleresque si j'acceptais qu'il soit mon cavalier.

Mon choix était fait.

Moi qui ne danse jamais, je passai un excellent moment et me retrouver élève, sous la direction de mon élève, fut une excellente expérience.

La porte s'ouvrit, personne n'avait frappé ou je n'avais pas entendu.

La directrice.

J'avais complètement oublié que ma salle était juste au-dessus de son bureau.

- "Qu'est-ce qu'il se passe ici?"

Elle me cherchait, mais j'étais noyée dans la masse d'élèves dont la plupart me dépassaient très largement d'une tête.

- "Rien, un cours d'espagnol un peu différent c'est tout."

J'étais sur le point de l'inviter qu'elle n'était déjà plus là.

Moi je dis: si chaque élève et chaque prof enseignaient et apprenaient dans les domaines où ils sont le plus talentueux, il n'y aurait absolument pas de problèmes de discipline dans les établissements scolaires.