Le début de la fin

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J'avais demandé à ce que mes deux mois de congé formation gagnés triomphalement après deux ans de procès (voir chapitre précédent) soient idéalement placés en septembre-octobre dans le prolongement des mois d'été.

Là, il n'eut même pas à insister, la camarade du syndicat qui était à la commission me dit que "mon dossier fut traité avant tous les autres."

Depuis des années, les mois d'été, pendant lesquels je reste à Paris (les gens partent - quoique de moins en moins-, donc je reste) sont consacrés aux études.

Un petit financement obtenu à l'université me fit envisager la possibilité de séjourner un mois à Amsterdam pendant ce congé.

Ce qui put se réaliser. 

Je louai un appartement et je me rendis ainsi très régulièrement dans plusieurs lieux où je pus approfondir et poursuivre ma recherche. 

Ce séjour, très reposant, me permit de tirer une conclusion d'importance: les habitants des Pays-Bas sont des êtres humains normaux. Non, non, ce n'est pas une idéalisation due à ma déception que ce qu'est la France, non, non, rien à voir. En fait, ce n'est pas un pays idéal, mais juste normal; et d'autres séjours, dont certains assez longs aussi, me l'ont confirmé.

Un jour, alors que j'étais à la bibliothèque, j'eus l'occasion de bavarder avec un employé de la synagogue.

- "C'est vrai que t'es française?"

- "Yes"

- "Et que t'es prof aussi?"

- "Yes"

- "Moi j'ai de la famille en France, et là, à cette rentrée, ils ont sorti les gamins du Service Public."

- "Ah bon, pourquoi?"

- "Antisémitisme. Pas déclaré, mais toujours latent, toujours là. Les gamins en ont marre et ont peur.

[...]

Et visiblement, les familles qui en font de même sont de plus en plus nombreuses."

- "Ah bon ..."

Pendant que je travaillais dans l'ambiance feutrée et protectrice de la bibliothèque, des pensées affluèrent à ma mémoire:

-"Madame, vous punissez Nathan parce qu'il est juif?"

-"Madame, je peux présenter une fête juive?"

Je reçus un mail de l'université: il y avait un problème concernant mon financement.

Le document que j'avais renvoyé ne convenait pas.

Cela m'aurait étonné.

Cela m'aurait vraiment étonné que les choses soient aussi simples.

En fait, je leur avais dit en long, en large et en travers que le document à compléter ne correspondait ABSOLUMENT pas à ma situation, l'université française étant habituée à des étudiants débiles mentaux qui ne savent pas partir en-dehors d'accords européens bien huilés et rodés souvent par piston de leurs propres enseignants, que le doctorant qui part dans une ville librement et seul parce qu'il a besoin d'y aller consulter des livres n'est pas répertorié dans la liste. Voilà pour un aspect du problème. L'autre aspect étant que les lieux où je me rendais n'ont rien à voir avec les bibliothèques françaises où vous devez remplir des formulaires, parfois plusieurs, où on vous pose dix mille questions, vous avez votre carte, blablabla.

Là, rien, le centre des archives est libre, vous rentrez, vous vous asseyez, toutes les archives sont scannées et vous les consultez comme vous voulez. Le recours au personnel, ce n'est que lorsqu'on a besoin.

Et la bibliothèque de la synagogue, un mail, bonjour, j'aimerais consulter ce document, est-ce possible? Oui, oui, quel jour? Et le jour dit, on s'assoit à la table, la dame vous apporte le document et c'est tout.

Bref, la signature du chef archiviste ne suffisait pas sur le document que j'avais rendu. 

Quoi? 

Et il faut quoi comme signature? 

Celle de Dieu?

J'en fis part à la bibliothèque de la synagogue.

Oh, si tu veux que nous nous mobilisions, il n'y a aucun problème ...

Et dire qu'en France, pour mobiliser autrui, il faut que ce autrui soit concerné, et même parfois ça ne marche pas.

Bref, je n'osais pas aller revoir le chef archiviste ... par honte je dois le dire. J'envoyai juste un mail à l'université en le mettant en copie et en lui demandant de bien vouloir confirmer que sa signature n'était pas un faux.

Pas de nouvelles.

Quelques temps plus tard, je reçus un mail m'annonçant que l'argent serait sur mon compte à la fin de la semaine. D'ailleurs, heureusement que je ne comptais pas sur lui, cela faisait déjà vingt jours que j'étais ici sur les trente que je devais passer dans cette ville ...

Ce fut au même moment que le Rectorat dont je dépends me téléphona et me laissa un message sur mon répondeur. 

- "Oui, bonjour Madame, ici Madame Blablabla du Rectorat. Je vous appelle JUSTE pour savoir si vous allez reprendre votre poste à la fin du mois."

C'est à la bibliothèque que je l'écoutai.

- "Oh, comme c'est mignon, me dit la bibliothécaire, tu leur manques."

- "Hélas, non, je ne pense pas que cela soit ça la raison ..."

Je répondis laconiquement: "je ne vois pas très bien pourquoi je ne reviendrai pas, mais si vous avez autre chose à me proposer, cela sera avec plaisir. En attendant, oui, je reprendrai mon poste."

Je pleurai longuement.

Je ne voulais pas rentrer.

Il le fallait pourtant.

Je rentrai, bien décidée à vivre mon destin.

A mon arrivée chez moi, je trouvai un mail de la bibliothécaire qui me donnait le renseignement qu'elle n'avait pu me donner avant mon départ. Elle me souhaitait bonne chance aussi pour mon retour au lycée.

J'allais en avoir besoin.

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