Il y a une collègue au lycée que j'aime bien.

Elle a ce don de toujours apparaître au moment opportun, surtout depuis que j'ai déménagé et qu'à présent, j'habite assez loin du lycée ( augmentation exponentielle des loyers oblige et je travaille à temps partiel), elle habite dans mon secteur.

Rosa, ah, tu es là ... Tu veux que je te ramène? (Elle se déplace en voiture, moi en transports en commun...)

Oh, ouuuuiiiiii ...

C'est elle qui, un jour, m'a dit qu'elle savait que certains collègues, lorsque les élèves les sollicitaient sur un point qu'ils ne maîtrisaient pas, préféraient répondre n'importe quoi, même quelque chose de faux plutôt que d'avouer qu'ils ne savaient pas.

Quooooooiiiiiii?

Oui, oui, comme je t' l' dis.

Moi, lorsque je ne sais pas, je leur dis et j'en profite parfois pour leur montrer en direct (tout est tellement pratique maintenant avec les vidéo-projecteurs et accès à internet dans toutes les salles) comment je cherche un mot ou une info, ou je leur demande de chercher par eux-mêmes et de me communiquer ce qu'ils ont trouvé au cours d'après.

Oui, mais toi, c'est toi, et tout le monde n'est pas toi.

Oui, ça, je commence à le constater effectivement ....

Bref ... Bien avant cela, cette collègue, un jour, est absente. Comme ça, du jour au lendemain, ce qui n'est absolument pas son style. En plus, il était noté sur le panneau des profs absents qu'elle l'était "jusqu"à nouvel ordre", ce qui n'augure jamais rien de bon.

Quelques temps plus tard, j'entends que l'on parle d'elle dans la salle des profs.

Oui, mais enfin, elle n'a pas de remplaçant, c'est très embêtant, disait une collègue.

Oui, je sais, répondait la proviseur adjoint, mais que voulez-vous, c'est comme ça.

Je m'immisce dans la conversation.

Elle est inquiétante, cette absence inopinée, elle a quoi au juste?

Oh, ne vous inquiétez pas, ce qu'elle a est embêtant, mais ce n'est pas grave.

D'accord.

Me voilà rassurée, quoiqu'à moitié.

Quelques mois plus tard, la collègue revient.

Elle était très pâle et lorsque je la vis, je m'écriai: ehhhh, tu es de retour, ben alors, il t'est arrivé quoi?

Je ne peux pas t'en parler ici, me répond-elle.

Bon ...

Je me mets à travailler dans mon coin et la collègue s'approche de moi et me prend un peu à part.

Elle se met à pleurer et me dit qu'elle a fait une fausse couche, qu'elle a perdu un enfant.

Je ressens une douleur intense dans le bas-ventre, comme un coup de poignard.

Oh mon Dieu, je suis désolée! Et j'eus envie de la prendre dans mes bras, ou je le fis, je ne sais plus.

Puis, j'allai aux toilettes où je pleurai longuement, je ne sais pas si pour la nouvelle qui venait de m'être annoncée ou pour le souvenir de ce que m'en avait dit la proviseur adjoint.

Maintenant, la collègue en question a deux beaux garçons pleins de vie et ce n'est que justice rendue.

La proviseur adjoint, en revanche, a connu pas mal de déboires, un mystère (que j'aimerais percer un jour) lui a fait prendre une disponibilité quelques jours avant une rentrée scolaire et s'engager dans une voie professionnelle qui ne lui convenait pas du tout, son mari a eu un accident très spectaculaire et a failli mourir. A l'époque, j'avais failli lui envoyer un petit mot de soutien pour lui demander, entre autres, si elle prenait la mesure de ce que signifiait "embêtant mais pas grave", mais je me suis abstenue.

Les proviseurs adjoints, c'est un peu comme les élèves, certains ont du mal à faire le lien entre les causes et leurs effets, mais ce qu'il y a de bien pour celles et ceux qui ne veulent pas entendre ce qu'on leur dit, c'est qu'à un moment donné, la vie se charge toujours de leur montrer ce qu'ils ont à voir.