A la cantine

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La cantine est un lieu très important.

Où chaque membre de l'association éducative dont je fais partie, autant dire une micro-société, peut trouver, retrouver des forces par une alimentation saine et équilibrée.

Justement, une alimentation saine et équilibrée est un des chevaux de bataille du chef cuisinier du lycée, et c'est tout à son honneur.

Sauf que, faut quand même pas tomber dans l'effet inverse, et c'est vrai, tout le monde est d'accord pour dire que les assiettes ne sont pas assez garnies et que fondamentalement on a faim en sortant de la cantine.

Le chef cuisinier ne veut rien entendre, et il sort le tableau des grammages des études faites par le rectorat dans le cadre des journées consacrées à la santé à l'école, etc ... etc ... bref, il n'entend pas.

Un jour, un élève en conseil d'administration se plaint qu'il n'y a pas assez de frites au menu.

Oh oui, des frites! Plus de frites! m'écriai-je - J'adore les frites.

Et là, à nouveau, le chef cuisinier sortit le tableau de ses grammages, blablabla, etc etc ..., c'est pas bon pour la santé, blablabla, etc etc ...  bref, il n'entend pas.

L'année scolaire suivante, je fais à nouveau partie des élus du personnel et l'heure est venue de nous répartir dans les différentes commissions.

Tiens, me dis-je, et pourquoi pas la commission cantine?

Me voilà inscrite.

Je ne sais pas pourquoi, mais je devais échanger avec mes collègues et à mon habitude, je rédigeai un courrier que je distribuai à chacun et en PS, je les informai que je m'étais désignée pour la commission cantine et qu'ils pouvaient compter sur moi pour obtenir plus de frites à la cantine.


Quelques jours plus tard, je suis convoquée par mon administration. Pensant qu'il s'agit de quelque chose en rapport avec une autre fonction que j'occupe (la coordination de ma discipline), je m'y rends en toute confiance.

Et là, on me tombe dessus.

On me hurle dessus.

On brandit le fameux courrier.

Je n'y comprends rien.


Et là, on m'explique que la femme de ménage est par hasard tombée sur mon courrier (j'imagine bien la femme de ménage tomber sur mon courrier, dites plutôt qu'un collègue vous a fait lire mon courrier ou que vous avez fouillé dans mon casier, je vous croirai davantage ....) et que "hor-ri-fiée par son contenu" (je cite ... et là aussi, j'imagine bien la femme de ménage lire les papiers qui sont la table et être horrifiée par leur contenu), elle est venue im-mé-dia-te-ment nous le rapporter (oh la délation!) ...


Mais de quoi vous parlez au juste? (La situation devenait de plus en plus ubuesque).


Mais, enfin, de votre engagement pour qu'il y ait plus de frites à la cantine, de quoi voulez-vous que nous parlions?

J'éclate de rire.

Mon engagement? Vous plaisantez, j'espère?

Et là, je me lève et je pars.

Et dans mon casier, je trouve le tableau des grammages des études faites par le rectorat dans le cadre des journées consacrées à la santé à l'école que j'affiche soigneusement sur le panneau syndical.


Malgré ma petite aventure, je siégeai tout de même à la commission cantine, qui soit dit en passant, ne s'est réunie qu'une fois, et où, évidemment, je n'eus de cesse de réclamer plus de frites, sous la bénédiction des élèves et j'en profitai pour souligner que faire l'apologie du beaujolais nouveau à la cantine n'était peut-être pas très judicieux, tout d'abord par le message subliminal que cela sous-tend (genre, picolez mes chers enfants), mais aussi par manque de recul complet sur cette habitude somme toute très (trop) commerciale. 

La chef d'établissement me répondit que "non, non, pas du tout, nous avons à cœur d'enseigner à nos élèves à consommer avec modération".


Mon avis est plutôt que ce n'est pas le rôle d'un établissement scolaire et , personnellement, lorsque la question se pose en cours, je préfère enseigner qu'il vaut mieux ne pas boire du tout d'alcool.


Et je pris mes distances.


De toutes façons, la cantine devenait un lieu invivable.

Trop bruyant.

Finalement, mes salles de classe, et ce même pendant certains de mes cours, étaient les lieux les plus silencieux de l'établissement.


Vas-y, me disaient mes collègues, dis-le que tu veux pas déjeuner avec nous.

Mon besoin en silence n'a jamais été compris.

Surtout pendant quelque chose d'aussi important que l'alimentation. S'alimenter, c'est important, on reprend des forces, c'est un acte sacré, il ne doit pas être fait n'importe comment.

Là, on se moquait de moi.

Ben, non, je veux pas manger avec vous, vous vous moquez de moi. Et puis, vous êtes trop bruyants aussi.

Oui, mais le bruit, c'est la vie, en classe, il y a du bruit aussi.

Je répondis que pour moi, le bruit n'était pas la norme et que donc je me battais pour le silence, que j'obtenais parfois, pas toujours, mais au moins, ce n'était pas faute d'essayer.

Ah, oui? Et comment tu fais?

Ben, je crie plus fort que les élèves.

Ah non ... Un prof qui sait se faire respecter ne crie pas.

Ah bon? Moi je crie et les élèves intelligents (le problème, ce sont les élèves bêtes, mais cela fera l'objet d'un autre chapitre) comprennent que pour que j'arrête de crier, il suffit qu'ils soient silencieux, et ça marche.C'est la loi très basique du lien de "cause à effet". 

[...]

Ah oui? T'es bizarre, toi quand même ...

Bref, de quoi me couper l'appétit.

Du coup, j'ai cessé d'aller à la cantine et je restais dans ma salle, silencieuse.

Parfois, je m'apportais un petit truc à grignoter, mais travaillant à temps partiel, mes journées me permettaient de jeûner sans trop de problème et de faire un vrai repas chez moi.

De temps en temps, je repris un peu l'habitude d'aller à la cantine, la plupart du temps à des horaires privilégiés, avant ou après tout le monde et aussi, le jour où il y avait des frites.

Car le chef semblait être un peu revenu sur sa décision et maintenant, nous avions toutes et tous la joie de constater qu'il y avait des frites ou des pommes sautées plus souvent.

Le problème, car il y a toujours un problème, c'était le poisson, qui était pourtant annoncé en second plat, en alternative à la viande, surtout lorsque celle-ci est du porc ... (chut, nous sommes dans un pays laïque), mais qui pourtant n'était pas présenté sur le comptoir de la cantine, parce qu'il n'y avait pas assez de place pour cela.

Personnellement, bien que, comme vous le savez, je sois plus ou moins chrétienne, je n'ai jamais aimé le porc. Ou très peu, en charcuterie, et encore. Je me souviens une fois avoir été invitée, étant enfant, chez la fille de la patronne de ma mère, chez qui j'adorais aller, et qui avait fait une quiche lorraine pour le dîner. Je n'avais jamais mangé de ce truc, mais je savais que cela ne me plairait pas. J'ai vomi les lardons pendant toute la nuit. De même, l'homme des cavernes était agriculteur, et autant lui et ma mère (elle travaillait dans une charcuterie) faisaient très très bien le pâté et le foie gras, autant la viande qu'ils préparaient (et alors que dire des saucisses!) était in-fec-te! Trop grasse, goût approximatif! Et on m'obligeait à manger, jusqu'à la dernière bouchée. Je pouvais rester à table jusqu'à 15h, rien que pour finir mon plat de porc, alternant parfois entre tartes dans la tronche et séjour dans les toilettes pour vomir. Et moi qui aidais aux tâches agricoles, j'allais donner à manger à la "bête immonde" qui se vautrait toujours dans sa merde, et après, on m'obligeait à en manger, quelle horreur!

Bref, ce jour-là, il y a du porc à la cantine.

Bonjour, je prendrai du saumon s'il vous plait (bien sûr le saumon n'est pas sur la table où nos assiettes sont préparées).

Ah, non, désolée, pour le saumon, vous n'avez pas le look adéquat.

Et meeeeerde, répondis-je, j'ai oublié ma burqa à la maison ... Je savais que cela m'attirerait des ennuis ...

[...]

Sérieusement, poursuivis-je, vous savez que l'islam n'est pas la seule religion où le porc est interdit?

Ah, là, là, attention! Terrain glissant ... Attention!

Et là, je vois une assiette sous mon nez: "voici votre saumon, Madame Carmon, bon appétit!".

Le collègue derrière moi: "La même chose pour moi!"

Réponse de l'agent: "Vous, vous n'êtes qu'un opportuniste".

Et là, je suis d'accord.

Mais si, vous avez deviné de quel collègue il s'agit, vous suivez, vous. 

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