Le pays du non-sens

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Le problème de l'éducation en France est assez simple.

Le problème de l'éducation en France repose sur la non-prise en compte des talents.

Le talent, c'est ce truc qui fait briller vos yeux d'enfants, cette activité que vous attendez de retrouver avec impatience une fois que vous avez fini ce que vous "avez à faire", cette habilité que vous développiez déjà sans trop savoir d'où cela venait pendant votre enfance et un jour, un beau jour, on vous a dit: "bon, maintenant c'est fini, maintenant, t'es grand alors il va falloir passer aux choses sérieuses". 

Les choses sérieuses étant l'école et cette philosophie idiote qui consiste à faire croire que le salut passe par la pensée et par rien d'autre.

"Je pense donc je suis, donc tu iras à l'école et tu auras ton bac même -surtout- si tu n'as pas le niveau pour" entraîne des conséquences non négligeables pour notre société.

Tout d'abord, les filières professionnelles ferment, et derrière elles, tous les métiers liés à l'artisanat. Vous avez déjà essayé de trouver un plombier en France? Vous y êtes parvenu-e? Oui? Il ne parlait pas français alors. Ils sont pas fous, les immigrés, ils ont bien compris que nous avons besoin de plombiers en France, alors ils viennent, et comme ils savent travailler, EUX, et bien voilà où nous en sommes.

Et pourtant, des travailleurs, il y en aurait ... Je les vois, les élèves, je les observe, pendant que je tente, en vain, d'expliquer la différence entre les verbes "ser" et "estar" (explication qui touche presque à un concept philosophique très très important qui est celle de la dichotomie entre l'être et le paraître), je les vois en train de bidouiller leur trousse ou Dieu sait quoi, ils tiennent pas en place! Vous imaginez la torture? Et c'est pas parce qu'ils sont bêtes, mais parce qu'ils ne sont pas à leur place!

Ruben, vous écoutez? (en plus, il s'appelle Ruben, mais d'aptitudes pour l'espagnol, rien, et là, concrètement, il est en train de bidouiller un truc avec son compas).

[...]

Ruben, je vous parle ... Vous écoutez?

Oui, oui ...

Vous êtes sûr?

Oui, oui, je sais faire deux choses à la fois, vous savez.

Ruben ne sait pas faire deux choses à la fois, Ruben comme tout être passionné est totalement absorbé par son activité, à tel point qu'il n'entendait même que je l'appelais, et c'est ça, un talent, c'est le truc qui nous fait oublier le reste.

Les personnes qui disent que l'on est capable de faire deux choses à la fois sont souvent des mecs qui tentent de légitimer, sous couvert d'un pseudo éloge, l'esclavage qu'ils imposent à leur douce et tendre.

La deuxième conséquence du "je pense donc je suis, donc tu iras à l'école et tu auras ton bac même -surtout- si tu n'as pas le niveau pour" est un climat d'hypocrisie qui s'instaure à l'école.Comme les élèves n'ont les aptitudes pour suivre à l'école, ce qui, encore une fois, ne veut pas dire qu'ils n'ont pas d'aptitudes pour autre chose, et bien, histoire de ne surtout pas démentir la phrase philosophique qui sous-tend tout le dispositif (très lourd dispositif) de l’Éducation Nationale, eh bien, on met le système éducatif à la portée de l'élève, ce qui concrètement, peut se traduire par garder les mêmes épreuves, mais adapter le barème. Il n'est pas rare de voir dans les consignes de correction: "vous valoriserez toute tentative d'explication, même si l'expression est maladroite" ou bien de recevoir un coup de téléphone du centre d'examen du baccalauréat pour que l'on remonte ses notes de deux points afin qu'elles rentrent dans la sacro-sainte "courbe de Gauss" (Google est votre ami). 

Du coup, pourquoi faire redoubler les élèves si au bout du compte, ils l'auront leur bac? Ça coûte cher un redoublement, trop cher. Du coup, on retrouve en classe des élèves incapables de rester en place et de rédiger une phrase correcte et on leur fait croire qu'ils sont doués.

Mais Madame, je comprends pas, j'avais de bonnes notes l'an dernier, mais avec vous, j'y arrive pas!

Cette élève a deux de moyenne avec moi et elle ne sait pas visiblement pas que les verbes se conjuguent aussi en espagnol.

Je ne réponds pas, j'observe la classe et là, je vois un autre élève esquisser un sourire et comme il se sent en terrain sûr, il s'écrit: "mais arrête tes conneries, t'as toujours été nulle en espagnol". Merci!

Le problème, c'est qu'au chantage affectif du "avec vous, j'y arrive pas", beaucoup de collègues se font prendre et mettent en œuvre tous les moyens possibles et inimaginables pour que l'élève réussisse aussi et surtout avec eux. Et ce, au détriment des autres élèves bien sûr, qui eux mériteraient un peu d'attention et d'encouragement, parce que le bon élève, celui qui est à sa place, c'est de ça dont il a besoin, essentiellement.

Transition idéale pour la troisième conséquence: les bons élèves, pas "bons" dans le sens de "parfaits", mais dans le sens de "à leur place" arrêtent de travailler, leur talent, et certains sont faits pour les métiers d'esprit et de la pensée, n'est absolument pas reconnu vu que l'on préfère accorder de l'importance aux "mauvais" élèves (pas "mauvais" dans le sens moral du terme, mais dans le sens de "pas à leur place") et leur donner, leur brader le bac. 

Voilà comment créer une société de médiocres (non parce qu'après, ces élèves qui ont leur bac au rabais, ils occupent des postes importants dans la société après, c'est ça le pire et ils y sont légitimés), une société qui tire vers le bas et dont les valeurs se diluent dans un mélange de bassesse et d’obscurantisme.

Nos inspecteurs sont capables de proposer le thème "mythes et héros" comme sujet de réflexion pour le cycle terminal du lycée et le baccalauréat, mais sont incapables de se prêter au jeu.

"Je pense donc je suis" est un principe intéressant mais tyrannique vu qu'il semble supposer, énoncé comme il est, que l'existence ne passe que par l'intellect, ce qui est très dangereux, pour les raisons que j'ai évoquées plus haut, mais aussi par simple "bon sens", qui justement était une valeur chère à Descartes. 

En plus, lorsqu'on regarde d'un peu plus près la biographie de ce philosophe, notre héros donc, on est surpris de constater qu'il n'a pas hésité à se barrer de France et à aller vendre ses talents à l'étranger ...

Et nul besoin d'être philosophe pour comprendre pourquoi...

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