Vous êtes étonné-e, vous?

2 minutes de lecture

Mes relations avec mes collègues sont cordiales.

Enfin, cordiales, non, parce que dans "cordial", il y a cœur quand même et il ne faut pas abuser.

Je dirais bien "professionnelles", mais "professionnel" suppose une certaine éthique, or vous allez voir, l'éthique n'est pas tout à fait ce qui caractérise le milieu professionnel qui est le mien.

Je suis en classe, je fais cours. Tout à coup, Jordan, un de mes élèves, fait un signe avec sa langue, qui est le même signe que font les jeunes cons de la cité où j'habite lorsqu'ils kiffent une fille et il le fait en me regardant droit dans les yeux.


Je m'arrête.

D'un côté, je pourrais ne rien dire, faire celle qui ne sait pas et faire comme si rien n'était et poursuivre.

Le problème, c'est que pour les autres élèves, qui, comme moi, sont loin d'être dupes, les choses ne sont pas "comme si rien n'était", Jordan est en train de faire de la provocation et les autres élèves attendent un positionnement, que l'on mette une limite à cela.

J'interviens.

Jordan, mon petit, vous avez un problème?

Jordan se sent cerné.

Wesh, qu'est-ce qu'il y a encore?

Je vous demande si vous avez un problème, répondez s'il vous plait.

Jordan se sent coupable.

Ouais, qu'est-ce que j'ai fait?

Vous pouvez faire un résumé de ce dont nous étions en train de parler?

Évidemment, la réponse est non. Le cours peut reprendre.

J'alpague ma collègue prof principal dans le couloir.

Je crois que Jordan a un problème avec les femmes, lui dis-je, d'un ton très sérieux.

Ah, oui, Jordan, oooooohhhh, tu comprends, c'est sa culture, on ne peut rien lui dire à ce sujet, c'est sa culture, c'est tout. 

Sa culture? Mais parlons-en de la culture! T'es prof d'histoire, non? Parlons-en de la culture! Montrons-leur ce que c'est la culture, c'est notre rôle, mais je refuse que l'on assimile "avoir un problème avec les femmes" à de la culture!

Pas de réponse, évidemment.

Cette même collègue quelques jours plus tard, en parlant de sa fille: "Ohhhhhhhh, la prof de ma fille leur fait lire Le journal d'Anne Franck, c'est d'un ennuyeux, ce bouquin ....".

Ennuyeux? En-nu-yeux ?????

Tu sais que la fille, elle meurt à la fin? Et que c'est une histoire vraie? Et qu'on l'a laissée crever par notre silence? Tu le sais ça? T'es prof d'histoire, non?On te demande même pas d'aimer le bouquin, on te demande de t'en servir pour transmettre un message au monde.

Les profs, c'est fait pour transmettre des valeurs, une éducation, éduquer, les profs sont des exemples, comme les parents. "Le prof a dit que ...", ça a du poids, quand même.

Vous êtes étonné-e, vous, de voir qu'il y a du machisme et de l'antisémitisme en France?

Moi, non, pas du tout.

Du coup, vous me demandiez quelle est la nature de mes relations avec mes collègues?

Je ne saurais vous répondre, mais tout ce que je puis vous dire, c'est que je n'ai rien à voir avec ça.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Rosa Carmon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0