L'inspection

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Ma haine des inspecteurs de l’Éducation Nationale date de très longtemps.

Déjà, à l'école primaire, un ou une, je ne me souviens même plus, de nos instits avait reçu la visite d'un de ces individus. Je ne sais pas pourquoi mais l'inspecteur, ou trice je ne me souviens même plus, s'adressa à nous et alors que nous étions en cours de mathématiques, elle demanda à ce que quelqu'un passe au tableau. Personne ne broncha. Je savais, j'ai des intuitions parfois comme ça, que cela allait tomber sur moi. J'étais tétanisée.

Vous! (ou "toi", je ne me souviens même plus), vous, cela sera parfait.

Moi? répondis-je. Mais il y a un problème.

Ah, oui, lequel?

Je déteste passer au tableau.

Oui, mais bon, vous passerez au tableau quand même.

J'y vais (j'ai toujours eu un souci scrupuleux du respect de la Loi), et là, rien, mon esprit se vide, je ne sais plus rien, pourtant, je suis, j'étais, une bonne élève et avec le recul, je ne sais pas si mon amnésie intellectuelle était due réellement au stress ou au fait tout simplement que je m'étais mise en mode résistance.

Je suis là, devant l'inspectrice, qui me disait: "Allez, corrigez l'exercice!", "je ne sais pas" était tout ce que je savais répondre.

Derrière l'inspectrice, l'instit, et je me souviens très bien avoir décalé un petit peu ma tête,  et avoir pensé: "cela t'apprendra, ma belle (et maintenant, je suis sûre que c'était une femme), à donner mon nom comme "valeur sûre" pour la correction de l'exercice de maths".

Je regagnai ma place, entre culpabilité et fierté.

Lorsque je devins moi-même enseignante, je gardai ce sentiment un peu curieux face à l'inspection, toujours entre cette volonté de respecter l'autorité et du "pourquoi moi?". Mes inspections se passaient bien toutefois. Je jouais le jeu. Un jour, au collège, j'attendais dans la file de la cantine lorsque j'entendis certains de mes élèves dire: "oh, on va se faire inspecter avec la prof d'espagnol".

On?

Qui ça, "on"?

Bon, les gars, désolée de démystifier un peu les choses, mais l'inspectrice, elle vient essentiellement me voir, MOI, pour valider mon succès à l'agrégation (bon, ça, je ne le dis pas, parce que je détestais me mettre en valeur face aux élèves). Ce qui ne veut pas dire bien sûr que vous n'avez rien à faire, non, je compte sur votre collaboration pendant ce cours, en particulier, mais pas que.Il ne s'agit pas d'en faire trop, restez vous-mêmes.

Les élèves avaient été sympas, très sympas, quoiqu'un peu moins que lors de l'inspection que je vécus avec les 1ère L quelques années plus tard, qui, il faut le dire, était une classe avec laquelle je m'entendais très très bien. Du coup, l'entretien avec l'inspectrice s'était bien passé, bon, deux, trois bricoles qui étaient plutôt bien vues, sinon, tout allait bien. Sauf que voilà, j'étais "trop enthousiaste" et ça, vraiment, non, mais vraiment, faites attention, c'est un vrai problème. Bien sûr, cet élément ne figure absolument pas dans mon rapport d'inspection parce que le problème avec les écrits, c'est qu'ils restent, alors qu'une parole, vous comprenez, c'est entre nous, presque un conseil d'amie.

Les paroles demeurent toutefois. Elles blessent. Elles usent. Elles éreintent.

Cette habitude de porter atteinte à mon travail en se servant de mes qualités et en les retournant contre moi devint l'arme habituelle dont mes interlocuteurs se servirent.

Par exemple, j'étais "trop passionnée" par mon sujet de doctorat (mon succès à l'agrégation me permit de travailler à temps partiel et de poursuivre mes études en même temps) et ça, vraiment, non, mais vraiment, faites attention, répéta mon directeur de thèse, c'est un vrai problème.

Le problème, en fait, c'est que j'étais presque arrivée à le croire, que mes qualités étaient des défauts, lorsqu'un jour, j'eus le sursaut. Un sursaut vital de préservation qui se matérialisa lors de ma dernière inspection, celle que je refusai, mais chut, je ne vais quand même pas raconter la fin avant de vous narrer cette belle histoire, vous seriez tenté-e-s de cesser de me lire.

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