L'intrépide et la mélodie

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 — Qu'est-ce que vous nous voulez ?

 L'interprète transmit la question de Marlowe au capitaine, puis celui-ci lui indiqua quoi répondre.

 — Vous foulez un sol en pleine guerre avec un véhicule non déclaré.

 — Pardonnez-moi, nous ignorions tout cela, se défendit Marlowe. Nous ne sommes que de simples touristes égarés. Nous avons perdu le contrôle de notre avion, et nous voilà, ici, cherchant des secours.

 Le gradé discuta brièvement avec le traducteur après cette réponse, l'air visiblement surpris.

 — C'est donc vous, ceux qui se sont posés sur notre sol sans autorisation. Votre petit jeu ne prend pas, nous savons que vous n'êtes pas de simples touristes. Nous allons donc vous demander de vous montrer coopératifs. Si vous répondez à nos questions, aucun mal ne vous sera fait.

 — C'est ridicule ! Nous sommes des civils !

 — Ce qui est ridicule, répondit l'interprète sans se référer à son supérieur, c'est votre persistance à nous croire si naïfs.

 Une dizaine de soldats s'approcha des hors-la-loi.

 — C'est vraiment pas de chance, si prêts du but... laissa échapper Marlowe.

 — Mais comment ils ont faits pour nous trouver dans cet immense océan neigeux ? s'interrogea candidement Pablo.

 — Alors là, aucune idée... fit Thierry.

 — Je sais pas, le camouflage fushia de notre voiture, peut-être ? répliqua Marlowe, sarcastique.

 — Ah, ça ! s'exclama le chauffard. La couleur étincellante de ce magnifique bolide nous a fait repérer, une bénédiction et une malédiction à la fois !

 — Silence ! tonna le subordonné. Je ne veux plus vous voir parler entre vous.

 Les soldats chinois lièrent les mains de nos cinq "héros" derrière leur dos. Magalie était visiblement paniquée.

 — Oh mon dieu, mais qu'est-ce qu'ils vont nous faire ?

 — J'en sais rien... Je vois vraiment pas comment on va se sortir de cette situation. On va jamais atteindre Mardo à ce rythme là. Ce qui m'embête, vu que ça intensifie le mythe autour de lui... Normalement, c'est pile maintenant qu'un allié inattendu viendrait nous sauver dans un...

 — Silence !

 — Je suis de la police française ! Relâchez-moi immédiatement si vous ne voulez pas avoir de problèmes !

 — Nous discuterons de tout cela une fois bien au chaud...

 Ce n'est que lorsque les voix s'éloignèrent que Pomoc osa relever la tête. À travers les vitres de la voiture, il observa ses compagnons d'aventure se faire embarquer. Trois des soldats s'avançaient maintenant vers la Jeep, sans doute pour y récupérer du matériel éventuel. La tension fit trembler incontrôlablement le corps de l'adolescent. Ils allaient le repérer. Et même si ce n'était pas le cas, il serait seul, perdu en plein milieu de la toundra.

 Soudain, il fut pris d'une pulsion dictée par la folie de son instinct de survie. Quand un soldat commença à ouvrir le coffre, Pomoc poussa violemment le battant qui vint cogner le crâne du chinois. Il lui envoya ensuite un coup de pied tout en s'extirpant de la caisse. Avant même que son collègue le plus proche ne puisse réagir, le soldat se fit désarmer. Pomoc envoya une rafale sur le guerrier qui le visait, puis acheva celui qu'il avait privé de son fusil. Il effectua ensuite une roulade et abattit le troisième homme.

 Pomoc ne comprenait pas ce qui venait de se passer. C'était comme si une force mystérieuse avait pris possession de son corps. Jamais il ne s'était servi d'une arme automatique, et pourtant, son fonctionnement lui avait paru à cet instant là si... automatique.

 [Pour plus de compréhension de la part du lecteur, le passage suivant sera traduit en français]

 — Ces bruits..

 — Qu'est-ce qu'il se passe ?

 — Nos hommes sont à terre !

 — On nous attaque !

 — Regardez, c'est lui, là-bas.

 — Il en restait un dans le coffre...

 — Feu à volonté !

 [Voilà. Oui, c'est tout. Pour le moment.]

 Pomoc se jeta à l'intérieur du coffre et parvint à le refermer sans qu'aucune balle ne l'atteigne. Les soldats tentaient de percer le métal de la carrosserie tout en s'approchant d'elle.

 — Mais dans quel pétrin je me suis fourré ? répéta Pomoc pour lui-même.

 Soudain, une clameur s'éleva entre les collines. Elle semblait provenir de tout autour d'eux, comme si les montagnes enneigées elles-mêmes chantaient. Car oui, c'était une chanson. Une chanson magnifique, à capella, remplie d'émotions, celles de centaines, de milliers, de millions d'âmes.

Si Zhi Phen De Dö Gu Jungwae Ter
Thubten Samphel Norbue Onang Bar.
Tendroe Nordzin Gyache Kyongwae Gön,
Trinley Kyi Rol Tsö Gye

 — Cette chanson... souffla un soldat.

 — Impossible ! s'écria le chef de la troupe chinoise.

 — Mais c'est... c'est... balbutia son adjudant.

Dorje Khamsu Ten Pey,
Chogkün Jham Tse Kyong,
Namkö Gawa Gyaden,
Ü-Phang Gung la Regh

 Les voix chantantes gagnaient en intensité à chaque mot prononcé. Marlowe trouva cette chanson inspirante. Magalie y décela une grande beauté. Lucio sentait une ferveur patriotique s'en dégager. Pablo ressentit dans tout son être des frissons grandissant au fur et à mesure que la mélodie progressait. Thierry versa incontrôlablement une larme, se laissant bercer.

 Mais parmi les troupes chinoises, ce bruit inspirait la peur, la panique, la colère, la révolte. Un soldat, à deux pas du coffre, oublia totalement la présence du sixième français à l'intérieur de celui-ci. Il tournait sur lui-même, cherchant du regard la provenance du son au lointain.

Phutsong Dezhii Nga-Thang Gye
Bhod Jong Chul Kha,
Sum Gyi Khyön La
Dekyi Dzogden Sarpe Khyap.

 — Trouvez-moi les chanteurs, et que ça saute ! ordonna le gradé, au bord de la crise de nerf !

 Le Lieutenant se demanda ce qui pouvait mettre dans un tel état des vétérans habitués à la guerre. Il ne savait pas s'il devait également s'en inquiéter. Il partagea son interrogation :

 — Mais qu'est-ce que c'est ?

 Le traducteur se retourna vers lui et déclara gravement, la voix à moitié couvert par le chant qui s'amplifiait encore :

 — C'est l'hymne interdit.

Chösi Kyi Pel Yon Dhar
Thubten Chog Chur Gyepe
Dzamling Yangpae Kyegu
Zhidae Pel La Jör.

 Des lumières scintillèrent à divers endroits sur les collines autour des troupes chinoises. Une énorme masse fit également son apparition au sommet d'un relief escarpé. Pomoc sentit un grand bohneur envahir son cœur. Ce qu'il entendait ressemblait à une psalmodie religieuse, à une libération divine. Les soldats se mirent à tomber un à un. Les survivants courraient, se mettaient à couvert, mais à couvert de quoi ? Le menace venait de partout.

Bhöd Jong Tendrö Getzen Nyi-ö-Kyi
Trashi O-Nang Bumdutrowae Zi,
Nag Chog Munpae Yul Ley,
Gyal Gyur Chig.

 Les chants étaient si forts désormais qu'on entendait à peine les coups de feu qui provenaient de part et d'autre. Tous y passèrent, même ceux qui paraissaient les mieux cachés. Le crâne de l'interprète explosa sous les yeux terrifiés des cinq prisonniers. Le dernier soldat fut abattu en même temps que la dernière note retentit. Un silence glacial envahit alors les lieux.

 L'énorme masse se rapprochait encore. On pouvait maintenant la distinguer ; il s'agissait d'un immense char d'assault peint en blanc, avec, sur son toit, de colossaux haut-parleurs. Malgré son poids, il naviguait fluidement sur le sol neigeux. Plusieurs snipers embusqués quittèrent leurs positions, en haut des collines. Le char ralentit, une capsule au dessus de celui-ci s'ouvrit, et un homme, recouvert de vêtements en fausse fourrure, sauta en pleine marche. Il trotinna sans trop se presser jusqu'à notre bande de joyeux lurons tandis que le tank tournait en rond. Il leva ses bras et déclara d'une vive et chaleureuse voix :

 — Alors, vous l'avez bien aimé, notre hymne ?

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