Consolation et défécation (la grande classe quoi)

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 "Bon, résumons... Je suis une (simple) secrétaire piégée dans un aéroport hanté avec des civils en détresse, des nazis, des terroristes, et mes seuls alliés sont un baron de la drogue illuminé et un policier dépressif. Tout va pour le mieux."

 Magalie voyait une profonde mélancolie imprimée dans les traits du Lieutenant. Elle avait plus que jamais besoin de personnes sur qui compter en ces temps de crise, elle se décida donc de le faire sortir de sa léthargie.

 — Hey !

 Marlowe releva lentement la tête et mis plusieurs secondes avant de répondre.

 — Hey.

 — Bon, faut qu'on parle, signifia la secrétaire en s'asseyant en tailleur devant lui.

 — Ah.

 — Oui. Ça va pas. Tu es inerte, sans motivation, triste à voir et encore moins agréable que d'habitude. Ça peut pas durer comme ça. Alors dis-moi, qu'est-ce qui va pas ?

 — Ah ! Bah ça, j'en ai déjà parlé, mais apparemment, je ne suis qu'un fou. Tu ne m'as jamais cru ni écouté auparavant, pourquoi ça changerait maintenant ?

 — Je suis désolée, j'ai été conne. Je suis toute ouïe maintenant.

 — Mouais...

 — Tu peux toujours essayer de me raconter, ça coûte rien.

 — Bon... Tout a commencé trois mois après l'affaire de l'avion dans les HLM. J'ignore pourquoi je suis le seul qui en a pris conscience – un bug dans la matrice peut-être – mais j'ai remarqué que tout s'effaçait autour de moi. Et moi aussi je m'estompais. Notre histoire était finie, nous avec. Mais je voulais vivre ! Alors j'ai pissé sur le corps qui venait de s'écraser devant moi.

 — Ça se tient jusque-là.

 — En somme, nous sommes dans une histoire écrite, nous n'existons qu'au travers des écrans et des feuilles de papier, et notre univers aurait disparu si mon instinct de survie ne s'en était pas rendu compte. Tout ceci est faux, irréel, insensé. Et un jour, tout cessera sans raison. Alors à quoi bon ? De toute façon, tu vas également te mettre à me chambrer, puisque tu ne me crois pas.

 — Non, c'est faux ! Je te crois !

 — Menteuse.

 — Bon, c'est vrai, c'est un peu dur à avaler, mais soit. Supposons que nous sommes dans un roman. Alors rien n'a d'importance, pas vrai ?

 — Exactement.

 — Oui, exactement ! Donc pourquoi te mener la vie dure ? Pourquoi te rendre tout chagrin pour ça ? Au contraire, tu devrais faire tout ce dont tu as envie ! T'amuser, profiter autant que tu le peux ! Puisque tout est dérisoire et voué à disparaître sous peu, mieux vaut ne pas rester dans la léthargie, d'autant plus que ce n'est pas avec cette attitude tristounette que tu vas intéresser les gens !

 — Tu as raison. Mais... Je n'y arrive tout simplement plus. Laissez-moi en finir, j'en ai marre de ces conneries.

 — Je ne comprends pas. Ça fait longtemps que tu sais tout ça. Et pourtant tu étais tout joyeux, énergique, dynamique. Qu'est-ce qui a changé depuis ?

 — C'est cette révélation supplémentaire qui m'a été faite. tout à l'heure, j'ai senti des yeux posés sur moi. Ceux du lecteur indiscret qui m'espionnaient en permanence. Et là, quand nos regards se sont croisés, j'ai eu accès à un autre pan de la réalité. L'accroche du livre, la quatrième de couverture si tu veux. Il y était écrit : "Genre : Comédie". Comédie !! Notre monde n'est qu'une vaste blague ! J'avais remarqué que certains événements étaient dénués de logique, mais là... Ça me fout juste le moral à zéro. Je suis le dindon de la farce, un clown pathétique, un simple personnage fictif secondaire dont tout le monde se moque car personne ne retient jamais son existence. Quoi que je fasse, ce rôle prédéfini me rattrape. Les blagues de mauvais goût s'enchaînent inlassablement les unes après les autres. Ça me dégoûte.

 — Une comédie ? Mais c'est encore mieux !

 — Non ! Les situations provocants le rire sont toutes forcées, ça n'a aucun sens de continuer de vivre dans ces conditions ! Plus rien n'est amusant quand tout l'est.

 — Eh ben moi, je trouve que ce qui nous arrive en ce moment c'est vraiment pas très drôle. Il ne reste qu'à toi de choisir d'être une bonne personne ou non. D'être le héros de cette histoire ou un énième dépressif inintéressant.

 Marlowe soupira bruyemment.

 — Tu pourrais au moins essayer de nous aider, poursuivit Magalie. Car tous ces gens ignorent ce que tu sais. Si tu restes là à rien faire, tu ne laisseras derrière toi qu'un monde désolé. Reprend-toi nom de Dieu !

 — Ah, 'Dieu' ! La bonne rigolade...

 — Ah tu vois qu'il y a encore des choses drôles !

 — C'était ironique.

 — L'ironie c'est drôle !

 — Non pas toujours.

 — Roh tu m'agaces là ! Arrête de faire l'enfant si tu veux pas crever dans cet aéroport ! Je vois pas en quoi tu devrais devenir déprimant parce que tu sais qu'on est dans une histoire comique ! Il faut juste que tu changes de façon de voir les choses, essaye de te souvenir ce que tu te disais avant, quand tu étais éloquent et intéressant.

 — Que de compliments !

 — Eh oui ! Parce que, tu vois, tu as beau dire que tout le monde t'oublie et que personne ne s'intéresse à toi, bah c'est faux, moi je perds mon temps à tenter de te réconforter ! C'est bien pour une raison...

 — Mais oui... Tu as raison ! Ça me revient maintenant !

 Marlowe se leva avec un pétillement dans le regard. Son dos voûté devint soudain droit et son visage mou se reforma.

 — Si personne n'est là pour sauver cet univers de papier et d'encre, alors il disparaîtra ! Il s'agit de mon devoir que de le protéger. À moi d'endosser ce rôle, en en profitant pour devenir une personne meilleure et pour vivre d'incroyables aventures !

 Le Lieutenant requinqué serra fortement Magalie dans ses bras. Un peu trop fortement d'ailleurs.

 — Merci pour tout Magalie ! Tu as su trouver les justes mots.

 — Oh mais de rien ! C'est sans doute grâce à ma vibrante passion pour les explications d'œuvres d'art !

 — À partir de maintenant, je vais tout reprendre comme avant ! Et cela inclut t'insulter sans raison.

 — J'en suis toute émue.

 — Raconte pas ta vie par contre.

 — Super.

 — Tu sais, je commence déjà à m'amuser de nouveau !

 C'est alors qu'un homme possédant d'apparentes rouflaquettes, un bouc blond et une chaîne en or-plastique apparut au tournant d'un couloir. En rejoignant le groupe des civils, il s'exclama à vive voix :

 — Aaah ! J'ai bien chié là !

 — C'est pas vrai ! marmonna Marlowe en relâchant Magalie de son étreinte. Je veux bien recommencer à rire mais là c'est juste non. J'ai pas signé pour de l'humour pipi-caca à toute berzingue, moi. Tu vois, c'est exactement ça qui m'agace !

 — Wouh ! continuait l'homme. Roh la la c'que j'lui ai mis à cette cuvette ! Hey, un p'tit conseil, allez pas aux chiottes de si tôt, j'ai tout bouché. Mais alors là ! Une merde COMME ÇA ! Vous avez pas idée.

 — Oui oui c'est bon a compris, souffla Marlowe.

 — Oh eh dis donc hein ! La merdasse que j'ai sorti là, grosse comme une montagne !

 — Mais il s'arrête jamais ? soupira Magalie. Il parle tout seul en plus cet abruti !

 — T'aurais vu le machin ! Un vrai mastoc le bidule ! La bouse de cheval qu... Eh dites donc, y'a pas quelqu'un qu'aurait vu ma femme ?

 — Vous avez regardé dans la cuvette ? tenta Marlowe.

 — Ah ! Elle est bonne celle-là ! agréa le déféqueur fétide en se claquant la jambe.

 Lorsque Marlowe remarqua que Magalie le fixait avec désapprouvement, il s'exclama :

 — Oui bah c'est bon, je m'adapte ! Faut bien remettre la machine en marche.

 — Houlala vous êtes vraiment un bon vous, s'esclaffa celui qui cherchait sa moitié et à calmer son fou rire, la larme à l'œil. Ça fait longtemps que j'me suis pas autant marré ! Oh eh "dans la cuvette" qui dit l'autre ! Ah franchement quoi, fallait la sortir celle-là !

 L'ensemble des personnes alentours le regardait avec consternation et incompréhension, mais il ne semblait nullement s'en rendre compte.

 — MA FEMME DANS LES TOILETTES LOOOL !!! Hé heureusement que je tire jamais la chasse ! Wah putain, c'est un bon ce type !

 — Je commence à vraiment penser que nous sommes enfermés dans une comédie, signifia Magalie à voix basse.

 — Une très mauvaise comédie, oui, ajouta le policier.

 — Bon, assez déconné, s'arrêta subitement l'homme hilare. Y'a un temps pour tout, et là c'est pas un temps pour rire. HEIN ?! J'me suis bien fait comprendre ?! BON ! Alors, où qu'elle est la gonzesse ? Personne veut me le dire ? Elle s'est encore barré avec mon fric hein ? La salope ! Dites-moi où qu'elle s'est planquée où j'vous tabasse bande de pédés. ALLEZ RÉPONDEZ À LA FIN MERDE ! 'Z'êtes pas muets à c'que que j'sache les troufions !

 — Monsieur, on va se calmer, l'intima Magalie sur un ton très doux.

 — Me dis pas quoi faire Mme Grande-Gueule ! J'suis un adulte moi hein, j'obéis à personne moi hein, et certainement pas à une guenon de votre genre...

 — Police ! Cessez immédiatement d'embarasser ma collègue ainsi que tout le monde ainsi ! ordonna Marlowe.

 — Y'a que moi qui m'embarasse ici, répliqua le beauf de France.

 — C'est étrangement véridique, commenta Marlowe juste avant qu'il ne s'écrit, pris d'un sursaut : Oh mince ! Je crois que j'ai compris !

 — Comment ça ? l'interrogea Framboise.

 — T'as compris c'est qui le boss, hein ? s'assura le personnage énervant. Bah ouais, c'est bibi, et c'est pas de la petite flicaille de ton genre qui va se mettre en travers de ma route.

 — Non, ça je l'avais déjà compris, assura le détective. Dites-moi, votre nom, ce serait pas Gilbert par hasard ?

 — Hé ouais mon gaillard ! C'est bin mi, Gilbou le Frippou, on s'connait ?

 — Heureusement non, mais... Je crains bien que votre femme ne se soit aventurée à l'extérieur, pensant que vous vous étiez perdu sous la neige.

 — Oh putain la conne ! Elle était pourtant au courant qu'j'avais la chiasse au cul ces temps-ci moi.

 — Élégamment tourné, fit chorus Marlowe.

 L'individu aux manières quelques peu cavalières se rua alors vers l'extérieur pour retrouver sa tendre épouse.

  — Non, revenez ! le héla la bienveillante Magalie.

 — J'peux pas ! refusa le franchouillard en s'enfonçant dans la tempête sans prendre aucune précaution. Qui va faire la bouffe et le linge sinon ?

 — Euh... Vous ?

 — Oh hé m'faites pas rire ma p'tite dame !

 Ce furent les derniers mots qu'expia Gilbou le Frippou avant que les bourrasques neigeuses ne l'emporte.

 — Bizarrement je me sens pas super triste de sa mort, confessa Magalie.

 — Bizarre en effet, confirma son collègue, puis, surjouant des sanglots : Il était comme un frère pour moi ! N'as-tu donc aucun cœur ?

 Mais parmi les civils, cet incident supplémentaire ne laissa pas de marbre ; il était le coup de marteau final pour enfoncer le clou du désespoir.

 — Oh non, c'est de ma faute tout ça... se culpabilisa Pomoc.

 — On va tous mourir un par un ! s'inquiéta un homme en costume-cravate.

 — Que Le Seigneur nous vienne en aide !

 — Je suis trop vieux pour mourir !

 — Aaaaah !

 — Je ne sais pas pourquoi je crie mais je le fais car je suis un mouton !

 — ! كلمات عشوائية تماما

 — AUX SECOURS ! ON VA TOUS CREVER COMME DES CHIENS !!

 — Je suis muet.

 — Silence ! supplia Marlowe du plus fort que sa voix le lui permettait.

 Le calme se fit instantanément.

 — Oh wow ça a fonctionné... Bon eh bien, euh.... merci à vous... Ne vous inquiétez plus de rien, j'ai la situation parfaitement sous contrôle, je suis sur une piste et nous allons bientôt pouvoir sortir de là.

 La foule ne cacha pas sa joie face à cette annonce :

 — Ouais, super !

 — C'est génial !

 — Que le Saint Esprit vous bénisse mon fils.

 — Merci à vous, superflic !

 — Aaaaah !

 — J'ai pas entendu ce que ce gars en imperméable a dit mais merci apparemment !

 — أبجد هوز أبجد هوز أبجد هوز

 — CE GARS EST UN HÉROS !!

 — Je suis toujours muet.

 — Tu tiens vraiment un truc ? s'assura Magalie sous les acclamations.

[La réponse, au prochain épisode !]

[Ahah, quel suspens !]

[Waw waw waw waw ! J'en reviens pas !]

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