La charité se fout de l’hôpital.

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 Dans la vieille 4L cyan de Marlowe qui empestait la cigarette, Célestin était à l'étroit. Il émettait des cris distordus pour révéler son mécontement.

 — Toi aussi tu fumes ? demanda Mardo.

 — Et comment ! De quelle autre façon je pourrais être aussi détendu et supporter ce gros lard de Vlad ?

 — En pratiguant le yoga comme Mr. Coche par exemple. Tu sens ces chakras qui envahissent ton âme ?

 — Ouais, pas mon genre.

 Le Lieutenant Marlowe mit le pied au plancher en plein virage, braqua à fond et percuta le trottoir avant de reprendre la route.

 — C'est ça qui me détend. Pas de direction assistée, le pied !

 — Quel pied ? En tout cas, si Célestin n'était pas présent et n'augmentait pas le poids de ta caisse, on fonçait droit dans cette baraque. C'est un héros, je ne le répéterai jamais assez ! J'ai pas raison ? Hein, Célestin ?

 Il lâcha un souffle en guise de confirmation, puis retourna à sa tâche : élargir sa prison de métal pour augmenter son confort.

 — Un héros, je ne sais pas, répondit le lieutenant. C'est plutôt un juste retour des choses : il a causé un accident, il empêche un second de se produire.

 — Alors là je ne vois vraiment pas de quoi tu parles, Célestin serait incapable de faire du mal à un moucheron albinos rejeté par ses parents. D'ailleurs, ça peut-être albinos, une mouche ? Et est-ce qu'ils conservent des liens de famille après leur naissance ? Ah, mystères de l'Univers, si grand et si petit à la fois, quand vous me tenez... Tant de questions dont les réponses resteront inconnues à jamais, perdues dans les méandres profonds du cosm...

 — Oui c'est possible, et non ils ne font pas ça.

 — Ah. Bon. Oh tiens, des biscuits chinois, je peux en prendre ?

 — Fais-toi plaisir. Ils doivent être périmés depuis la naissance de Jésus-Christ.

 — Dis-moi, pourquoi tu as décidé de me rejoindre sur l'enquête au fait ?

 — Cela ne paraît pas évident ? Pour ne pas rester plus longtemps avec cette secrétaire bavarde qui raconte n'importe quoi, ces tire-au-flanc qui n'en branlent pas une depuis leur affectation ici, ces pots de colle hypocrites qui cajolent ce vieux ronchon et, finalement, ce vieux ronchon là. Je lui ai injecté une dose cheval et il parvient toujours à s'énerver. Je ne sais plus quoi faire. Ah oui et aussi, pour t'empêcher de faire foirer l'enquête. Elle est de plus grande envergure que ce que l'on ne croit, j'en ai le pressentiment.

 — Eh ben Marlowe, on se rebelle ? Tu n'auras qu'à lui donner une dose Tyranosaurus Rex la prochaine fois.

 — Cette espèce a disparu depuis bien trop longtemps, personne ne fabrique de calmant de ce genre.

 — La vérité est souvent voilée par les péchés de nos prédécesseurs.

 — Tu as sans doute raison.

 — Hein ? Ah nan je lisais juste la maxime à l'intérieur d'un de ces biscuits asiatiques. Succulents, soit dit en passant.

 Marlowe gara son tas de ferraille à proximité de l'hopital Saint-Jacques de Fruit-de-mer. Mardo fit sortir Célestin. Un homme à l'entrée l'avertit :

 — Monsieur, vous avez vu le panneau à l'entrée ? Ce n'est pas un cabinet de vétérinaire ici !

 — Je l'ai très bien vu, rassurez-vous. Il n'y a qu'un chat et un chien sur le dessin "interdit". Célestin est éduqué comme un prince, il ne causera de tort à personne, pas même à un moucheron albinos délaissé par ses parents. Mais il semblerait que ce soit le lot de toutes les mouches, de ne pas établir de lien avec leurs géniteurs. Ah, triste monde me direz-vous ! Bon c'est pas tout, mais on a une mafia de fitness avec des tas de gens en leggings à arrêter, si vous voulez bien me laisser passer.

 L'homme resta planté là, confus par cette réponse sans queue ni tête. Il attendait sa femme dans le coma, et il la rejoignit pour l'éternité.

 Mardo réquisitionna un ascenseur et en fit sortir tous les passagers sans le vouloir pour laisser place à son hippopotame.

  Pendant que son coéquipier causait du grabuge, Marlowe demanda à l'accueil un certain Gonsalez Coche. La réceptionniste lui signala qu'il avait été transféré dans un établissement spécialisé pour éviter que son cas ne s'aggrave.

 — Auriez-vous l'adresse de cet établissement ? demanda Marlowe.

 Quand il l'eut obtenu, le lieutenant regarda autour de lui. Pas de trace de Mardo.

 — Il est passé où ce con ? soupira-t-il.

 Pendant dix minutes, le Lieutenant partit à la recherche du détective limogé. Ce dernier se baladait dans l'hôpital, ouvrant toutes les portes qui se présentaient à lui. Marlowe le héla, l'empêchant ainsi de perturber un septième accouchement :

 — Mec, tu fous quoi ? Suis-moi !

 — Attends, je crois que Célestin se prend pour la mère de cet enfant que nous venons de croiser. Ça lui briserait le coeur de le quitter si vite.

 — Qu'est-ce que tu racontes ? C'est un mâle.

 Un ascenseur vidé, trois virages trop serrés et huit dictons chinois plus tard, la fine équipe atterrit devant l'établissement de rétablissement psychiatrique. Tandis que l'inspecteur Jul éprouvait des difficultés à faire sortir son compagnon du coffre, son coéquipier déclara :

 — Tu sais, je suis bien content que tu te sois fait viré. Tu étais le plus relou du commissariat.

 — Ah merci, moi aussi !

 — Mais... de rien, le plaisir est mien.

 — Tu sais, Marlowe, on a beaucoup de points communs toi et moi.

 — Vraiment ?

 — Oui. On a quatre lettres en commun dans nos prénoms, c'est pas rien quand même !

 — D'accord. Comme convenu, tu me laisses parler, tu me suis à la trace et tu ne commets aucune bavure.

 — Allez, on dit qu'on fait comme ça !

 Marlowe apprit que la fameux El Bigote était retenu dans une salle à part. Ses crises dérangeaient les autres patients. Le pauvre, lui qui avait toujours était calme et zen, un vrai maître dans l'art du yoga, un modèle pour des millions de disciples, il n'était plus capable de se contrôler. Mais que lui était-il arrivé ?

 L'équipe de choc entra dans la cellule dont les parois étaient faites de mousse pour empêcher le patient de se blesser. Gonsalez fit volte-face. Ses yeux étaient percés et sa moustache, pourtant d'habitude soyeuse, réputée meilleure moustache de France et de Navarre selon Pilosité Faciale People Le Mag, était brûlée. Il murmurait dans ses dents des paroles incompréhensibles. Sans cesse, il répétait :

 "Pohi. "

 Le personnel avait prévenu que Gonsalez ne répondait plus de manière censée. Et en effet, il ignora toutes les interventions du lieutenant.

 "Pohi."

 L'aveugle tâta les visages de ses visiteurs, un par un, puis toucha par mégarde Célestin. Son souffle devint court. Il parcourut de ses mains la peau de l'animal et quand il atteignit son museau, il se souvint. Il hurla dès lors à la mort, courut dans tous les sens, se frappa le visage.

 "Pohi ! Pohi ! Pohi ! "

 Les policiers furent contraints de quitter la salle. Marlowe s'excusa envers les médecins.

 Une fois dehors, il souffla à son collègue :

 — Je savais bien que c'était ton hippopotame de malheur qui avait causé l'accident.

 — Alors là, tu te méprends ! Tu te rappelles mon histoire sur ce pauvre insecte rejeté par les siens ? Voilà exactement pourquoi il est impossible de croire ne serait-ce qu'une picoseconde qu'il est responsable.

 — Tu nous as fait perdre une piste, bravo. Tout ça pour rien. En tout cas, me voilà rassuré. Le Groupuscule fitness n'est pas dans le coup ! L'humanité a encore une chance de subsister. Voyons voir... Il nous reste le couch surfing et la pêche à la moule. Concernant le dernier, je doute qu'on puisse obtenir quelconque information. Retour à la base, on va démêler les données de tous les sites de couch surfing et trouver une correspondance avec le nom que ce complice dans l'avion nous a gracieusement fourni.

 — Et s'il s'agissait d'un piège ? Ils auraient très bien pu prévoir cette fausse dispute dans le but de nous faire perdre du temps ou de porter l'accusation sur un innocent.

 — Merde alors ! C'est le premier truc sensé que tu dis depuis que je te connais ! Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de Mardo Jul ?

 Célestin aussi ne reconnut pas son ami de toujours. Il chargea alors une voiture dans l'espoir que celle-ci mette enfin un terme à son existence douloureuse. Il venait de perdre son seul allié en ce bas-monde, que lui restait-il à accomplir, hormis écraser des mouches albinos ?

 — Putain, ma 4L !

 — Franchement Marlowe, toi, t'as jamais eu envie de foncer dans une voiture tête la première pour voir l'effet ? J'ai essayé quatre fois et je peux te dire que ça fait pas que du bien.

 Non, c'était bien lui, c'était bien Mardo. Seul lui pouvait s'éclater le crâne contre une bagnole volontairement, plusieurs fois, sans se lasser. Célestin fut rassuré et cessa sa tentative de suicide.

 De retour au commissariat, Marlowe travailla sans relâche, découpant au peigne fin chaque data des sites de couch surfing. Il ne repéra rien, les outils de recherche dont il disposait n'indiquaient aucun Grégoire Yami, aucun Grégou Yami, aucun Greg Yami, aucun Grog Yummy, aucun Georges Pompidou non plus, mais ça, ça n'avait rien à voir. Surprenant. Le criminel avait-il saisi un pseudonyme ? Ou bien l'hypothèse du détective viré se voyait vérifiée ? Dans ces cas, impossible de retrouver ce Grégoire Yami, s'il existait.

 Marlowe était dans une impasse. Il se tritura les méninges, cherchant des indices qu'il aurait négligé, tandis que Magalie peignait les objets alentours afin de les rendre strictement identiques à leur forme d'origine, que Célestin chiait à l'intérieur, et même pas sur le tapis, que Mardo apprenait à jongler avec les téléphones de ses anciens collègues, que Vlad gueulait pour passer ses nerfs, faisant sentir son haleine délicatement caféïnée, et qu'une plante verte mal arrosée poussait, inlassablement, contre tempêtes et marées.

 Soudain, le lieutenant trouva la solution, à tel point qu'on se demande pourquoi ce n'est pas lui le personnage principal. L'affaire se résolvait peu à peu dans son esprit. Il passa un coup de fil et se jeta dans sa 4L. Bientôt, tout le continent connaîtrait la vérité.

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