Suicide Chanceux

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 Personne n'avait remarqué le départ foudroyant de Marlowe. En effet, bien qu'il dissimulât en soi une haine pour toutes choses et un caractère bien trempé, il se montrait toujours calme et amical. Il n'était donc jamais remarqué.

 Ernest reçut un coup de fil. Il s'empressa de répondre à l'appel. En effet, sa sonnerie à la gloire d'un "petit poney tout gris qui gambade dans les prés" lui flanquait la honte, tout compte fait. À l'autre bout du fil, le médecin légiste lui annonçait l'état de la seconde victime tombée du ciel. Même diagnostic que pour le pilote avec des fractures moins importantes, à un détail près : il était tombé deux heures après le crash de l'avion, il n'était donc pas lié à cette affaire à première vue. Seulement à première vue car sur son téléphone heureusement intact, un enregistrement effectué quelques minutes avant sa mort révélait ces paroles :

 "— Viens au centre de la bâche, Bobby, ce sera plus simple pour moi de nettoyer les lieux. Tu ne voudrais quand même pas que ta mère découvre ton corps en plein milieu de la cuisine, n'est-ce pas ?

 — Jamais ! Je t'en prie, arrête ça Grégoire, tu n'as nul besoin d'effectuer un acte si regrettable.

 — Si, sombre merde. Tu as ruiné notre plan avec tes âneries, tu as tué la moitié de nos collaborateurs en oubliant la moitié des parachutes, et en plus de ça tu as révélé mon nom et mon adresse à la police.

 — Désolé bro, ce n'était pas mon intention, juste une plaisanterie ! Ce serait inutile de me tuer maintenant que le mal est fait, tu n'en retireras rien.

 — Si je ne tue pas, mon égo en pâtira. Les âmes de nos anciens complices demandent rétribution !

 — Pardon, mais tu sais, je n'ai pas eu le temps de révéler ton adresse entière.

 — Ces maudits poulets n'en auront pas besoin pour me retrouver. Cette bande de trublions savent y faire. Heureusement, j'ai encore une chance de m'en sortir. Ils ignorent que mon pseudo de couch-surfing est "Xx-PussySlayerdu62-xX". De plus, j'ai appelé mon maître spirituel Gonsalez et lui ai révélé que j'avais blessé toute sa famille et qu'il n'avait plus que quelques minutes avant qu'ils y passent. Avec ça, je me demande comment va réagir le grand sage qui garde son calme en toute circonstance, héhéhé. Il va sûrement faire un accident en voulant voir ses enfants un dernier instant, tant il sera pressé. Il ne pourra rien révéler concernant mon identi... Tu fais quoi là ? Arrête de reculer, et viens accepter ta mort au centre de la bâche. Conserve le peu de dignité qu'il te reste, tu veux ?

 — Je t'ai bien eu. J'ai enregistré notre conversation depuis le début dans mon téléphone !

 — Oh non ! Quel fourbe piège !

 — Je vais désormais sauter au travers de cette vitre et je me retrouverai à seulement quelques pas du commissariat. Ils vont tout savoir !

 — Flûte alors ! Si seulement j'avais l'intelligence d'actionner la détente de mon pistolet avant qu'il n'ouvre la fenêtre !

 — Ah, mince. J'avais oublié que celle-là était bloquée. Ça te dérange si je prends la fenêtre d'à côté ?

 — Je ne peux rien faire pour empêcher mon arrestation, quel dommage ! Me voilà embarrassé au plus haut point ! Sa technique, son agilité et son intelligence sont sans égal !

 — Attends deux secondes, je prends ce tabouret, je n'arrive pas à enjamber le mur.

 — Diantre, je suis foutu ! Il ne me reste plus que le chemin de la repentance. Il m'a fait ouvrir les yeux, en se sacrifiant pour que la vérité soit dévoilée. Je ne suis qu'un vermiceau indigne de poursuivre mes actes de malfrats. Coquin que je suis, je devrais me flageller !"

 L'enregistrement cessa à cet instant. Ernest le partagea à ses collègues.

 — Selon mon expertise, confia Mardo, cet enregistrement est authentique et il est certain que ce n'est pas du faux, sinon leur jeu d'acteur serait supérieur à la moyenne. Je suis formel.

 — Nous sommes tous de ton avis, lui accorda Ernest, solennel.

 Les recherches débutèrent alors. Comme attendu, une trentaine d'utilisateurs s'étaient nommés "Xx-PussySlayerdu62-xX". Cependant, seul un d'entre eux possédait une adresse qui concordait avec celle révélée dans la boîte noire : 5 rue Lautrsémwa.

 Après une discussion de longue haleine, il fut convenu que Magalie accompagnerait Mardo. Ce n'était qu'une secrétaire, mais personne d'autre ne voulait s'en charger. Un trou noir subsista dans l'esprit de chacun : qui avait mené l'enquête avec lui la fois précédente ? Nul se s'en souvint.

 Arrivée 5 rue Lautrsémwa, Magalie appuya sur la sonnette. Une dame dans la quarantaine habillée de manière très colorée leur ouvrit la porte. Elle portait de très grandes boucles d'oreilles qui pendaient jusqu'à ses genoux et un collier en or massif, plaqué cuivre.

 — C'est notre homme ! déduisit l'inspecteur.

 — Nous ne sommes sûr de rien. Police, madame ! Nous désirons nous entretenir à propos de votre conjoint, monsieur Grégory Yami, plus connu sur le nom terrifiant de PussySlayerdu62.

 — Ah, lui ? fit la femme. Un vrai boute-en-train. Il m'a fait une blague hilarante ces derniers temps et j'en ris encore !

 — Quelle est-elle ? demanda Magalie.

 — Il est parti depuis quatre mois sans me laisser de messages ! Quelle bonne plaisanterie, vous en conviendrez. D'autant plus désopilante qu'il m'a mise en cloque et ainsi refilé deux triplés dont je devrais m'occuper toute seule !

 — Quel pitre celui-là ! s'amusa l'ex-détective.

 — Et encore, ce n'est pas sa meilleure. Venez, entrez donc, j'en ai des bonnes à conter.

 — Puis-je faire entrer mon hippopotame ?

 — ... Ahahah, on ne me l'avait jamais faite celle-là ! Mais bien sûr, faites comme chez vous. Au fait monsieur, vous avez un gros nez. Vraiment énorme, cela m'écœure !

 — Qu'à cela ne tienne.

 Durant de nombreuses minutes, la quadragénaire raconta les meilleures facéties de son fiancé. Par exemple, il mettait des seaux d'eau au-dessus des portes, posait des coussins péteurs sur divers sièges et la battait régulièrement.

 — C'est un sacré crack ce gars, rien à dire ! commenta Jul.

 — L'avez-vous revu depuis qu'il vous a quitté ? interrogea Magalie.

 — Bien sûr que non, et c'est là-dedans que réside l'humour ! On ne sait jamais quand il réapparaîtra, et chaque jour où je ne le trouve pas me fait rire, mais rire, si vous saviez !

 — Connaissez-vous son numéro de téléphone ?

 — Évidemment ma chère. Nonobstant assez t-il tout étant, je vous révèle que jamais je ne l'ai appelé. Cela gâcherait la farce.

 — Elle a raison Magalie, ne l'appelons pas, ce ne serait pas drôle.

 — Entièrement d'accord. Ce n'était toutefois pas mon idée.

 Avec le consentement de la femme amoureuse de l'homme le plus comique et le plus recherché d'Europe, Magalie Framboise obtint le numéro de celui-ci. Grâce à un dispositif complexe que possédaient les services secrets, elle comptait géolocaliser Mr. Yami. Mardo l'arrêta de suite. Avec la connaissance du compte Snapchat de l'assassin, il suffisait de regarder la carte et de le trouver beaucoup plus facilement. La dame portant les triplés leur confia son propre téléphone, où cette application utilisée principalement par les forces du contre-espionnage était déjà installée. L'avatar du meurtrier se révéla être un petit gros aux longs cheveux verts. Sa femme s'esclaffa en redécouvrant ce gag intemporel, puis confia aux détectives une description du vrai physique de son bien-aimé. Avant de partir, l'inspecteur Jul s'assura d'une chose :

 — Dites, madame, mes bottes, elles sont stylées, pas vrai ?

 — Eh bien, comment dire...

 — De vous à moi, c'est pas un peu abusé comment elles me vont bien ?

 — Elles sont immondes mon cher. Pire que votre nez, si vous me permettez.

 — Mais je vous permets pas du tout, oh ! Vous avez cru vous étiez qui ?

 Furieux, Mardo rejoignit la deux-chevaux de Magalie. Elle se renseigna auprès de lui :

 — Verdict ?

 — Elle a dit que tu étais la seule à ne pas les aimer, que tu n'avais pas de goût, car elles sont très belles.

 — Mouais.

 La position où Snapchat les guida fut une usine désaffectée. Quel comble d'avoir oublié de désactiver la géolocalisation par satellite !

 Les policiers furent aux aguets dans l'entrepôt où régnait la pénombre. Quelques filets de lumière révélèrent la présence de la famille d'El Bigote au grand complet. Ses enfants, ses neveux, ses oncles, ses parents, sa cousine germaine, la fleuriste de l'amie de l'arrière-grand-mère de son demi-frère éloigné, tous ligotés à des chaises, il ne manquait que sa femme.

 L'angoisse s'installait progressivement dans le cœur de Magalie Framboise et Mardo Jul. Quelques bruits terrorisants de métal les firent sursauter. Soudain, les lumières s'allumèrent. Une boule disco accrochée au plafond dispersait des fractales colorées sur les murs et le sol. Plusieurs enceintes placées dans l'entrepôt jouèrent "Les Serviettes" du poète et philosophe Patrick Sébastien. Des confettis flottèrent par milliers pour atterrir sur les têtes des joyeux lurons. Un homme déguisé en Elvis Presley apparut au milieu de la salle, micro à la main.

 — Est-ce que vous êtes chauds ce sooooiiir ? Wooouhoou ! Ça va swinguer, yeah yeah yeah ! Ohohoh, bienvenue à vous, mesdames messieurs les policiers ! Vous êtes les strip-teasers qu'on a appelé ? Ah ah ah, je plaisante les amis ! Et voilà chers téléspectateurs, nos héros ont résolus l'enquête ! À bientôt pour une nouvelle émission de "Qui a commis un génocide ?", j'espère que vous serez toujours aussi nombreux à nous suivre ! Et maintenant, c'est parti c'est parti c'est partiiii, mettez le feu au dancefloor mes cocos !

 Mardo n'en attendit pas plus pour tirer dans la glotte du dieu du rock.

 — Argh, mais qu'avez-vous fait ? Vous n'avez pas compris ? C'était un jeu ! Une blagounette !

 — Nous connaissons votre nature de blagueur, Mr. Yami, ou devrais-je dire... PussySlayerdu62 ! répondit le détective viré en s'approchant de l'homme agonisant. Mais j'ai vite compris que cette plaisanterie n'était pas de votre acabit. Je n'ai pas ri une seule fois, voilà de quelle façon je vous ai percé à jour.

 — Vous êtes fort... Très fort. Vous m'avez démasqué... Cette mascarade n'était.. argh... qu'une tentative désespérée afin de garder ma liberté... Personne qui ne soit pas un génie n'aurait pu deviner... Mais qui êtes-vous à la fin ?

 — On m'appelle l'OVNI.

 — J'aurais dû m'en douter....

 Ce furent les dernières paroles qu'expia le terroriste Yami.

 Les renforts appelés découvrirent la scène effroyable : Elvis était mort une seconde fois. L'affaire fut rendue publique. Les exploits de Mardo traversèrent états, pays, continents, galaxies. Il fut réintégré au commissariat de Charvin-Les-Bouilles. Pour fêter la résolution de l'enquête la plus dangereuse du millénaire, un grand banquet fut organisé. L'inpecteur Jul dévora une dizaine de sangliers.

***

 Deux mois après cette sombre mésaventure, un homme entra par la porte du commissariat.

 — Bonjour à tous ! Je sais, ça fait longtemps, mais j'ai dû faire un tel voyage ! J'ai traversé mers et océans, cratères et volcans, forêts et marais, villes et favelas, j'ai traqué l'entièreté des terroristes qui s'étaient enfuis suite à l'affaire du crash de l'avion sur un HLM, je les ai coffrés et je ne vous raconte pas le nombre de pistes improbables que j'ai dû suivre ! Il s'est avéré que tout ceci était un coup monté, Grégoire Yami était victime d'une maladie dégénérative, il ne lui restait plus que quelques mois à vivre et ils ont alors mis en place tout un scénario pour que seul lui soit reconnu coupable de l'attentat, laissant ainsi les autres en paix. J'ai arrêté le vrai Bobby, celui tombé de la fenêtre était un innocent lambda. En bref, une incroyable épopée ! Si un livre doit être fait sur cette histoire, ce sera bien sur l'odyssée palpitante que j'ai vécue !

 — L'affaire de l'avion ? le questionna le commissaire Vlad. Mardo l'a résolu il y a bien longtemps ! Mais... Qui êtes-vous monsieur ?

 — Moi ? Mais je suis Marlowe, le Lieutenant !

 — Marlowe ? Voyons, Marlowe Marlowe Marlowe... Non, ça ne me dit rien. Tu connais, toi ?

 — Jamais entendu de la vie monsieur, répondit Ernest.

 — Attendez, c'est une blague ? Ernest, tu t'es tapé ma femme il y a trois mois, ça doit te dire quelque chose ! Non ? Personne ne se souviens de m...

 — Non, imposteur ! déclara Magalie.

 — Vous êtes renvoyé, lui annonça Vlad.

 — Une seconde, vous pouvez pas renvoyer quelqu'un qui ne travaille pas ici, chuchota Magalie.

 — Oui je sais mais je trouvais que ça en jetait comme phrase, répondit le commissaire.

 — C'est vrai que ça en jette, confirma Ernest. Bien joué monsieur !

 Troublé face à ces évènements incompréhensibles, Marlowe fit un tour dans la rue. Il avait pourtant arrêté pendant ces deux derniers mois, mais il récupéra une clope et l'alluma. Un cadavre tomba alors du ciel, juste à ses pieds.

 — Et ça recommence ! C'est vraiment la pire des fins possibles, dit Marlowe. C'est impossible que ça se termine de cette façon.

THE END

tin tin tin tin tin, tin tin lin tin tin tiiiin ! Pom pom pom ! Tata la, tatata ! Talata ta ta tin ! Popom !

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