Chapitre 3

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La jeune guérisseuse toqua en douceur à la porte afin de ne pas réveiller les enfants qui dormaient, sans doute, encore à poing fermé dans cette demeure. La porte s’ouvrit dans la seconde qui suivit, comme si une personne attendait derrière un éventuel visiteur. Wüm se tenait-là, l’air peu ravi de la présence de son amie d’enfance.

—Qu’est-ce qui t’amène, Hea ? lui demanda-t-il avec toute la froideur dont il pouvait faire preuve.

—Je suis venue voir Aäma.

La tornade de bonne humeur qui lui tient lieu d’épouse poussa avec force l’homme dehors, en arguant qu’il avait du travail avant d’attraper la main de son amie et de l’attirer à l’intérieur. La porte claqua derrière les deux jeunes femmes. L’homme restait un instant abasourdi devant le comportement de sa femme. Elle était, différente des autres, comme Hea mais chacune d’une façon différente. C’est, selon lui, ce qui rendait les deux jeunes femmes aussi attrayantes. Il finit par prendre la route des champs, en soupirant. La journée s’annonçait longue et froide. Il marcha un moment dans la neige, ses pensées vagabondes allèrent caresser les souvenirs de sa tendre épouse et de sa beauté invisible aux autres. Aäma était une femme grande, aux jambes fuselées et elle possédait une crinière sauvage de boucles blondes suédoises. Elle se distinguait de toutes, ici-bas. Dans les campagnes, les paysans sont des personnes petites et maigres à la peau blanche en hiver et marbrés de coups de soleil l’été mais surtout aux cheveux brun foncé ou noirs. Hea, aussi, se particularisait par ses cheveux d’un roux tirant sur le rouge. Elles auraient pu être mises au bagne pour leur singularité qui semblait venir d’un autre monde mais elles avaient su se faire une place dans le cœur des habitants. Finalement, leur différence était devenue une force. Au cœur de la maison, les grands yeux de biche caramel d’Aäma dévisageaient leur vis-à-vis et décortiquaient chacun de ses faits et gestes afin d’en savoir plus sur la raison de la venue de la jeune femme aux cheveux de crépuscule. Cette dernière se triturait, nerveusement, les doigts, l’air de celle qui ne savait que dire.

—Dis-moi tout, Hea. Je peux tout entendre, lui annonça la belle dame, mais d’abord, vient t’asseoir au coin du feu

Hea se délesta de sa lourde cape rouge comme le sang qui coulait dans ses veines. Les deux jeunes femmes s’assirent côte à côte dans l’enveloppante chaleur que diffusait le foyer au sein de la maison. Les yeux perdus dans la contemplation de la sensuelle valse des flammes, Hea se mit à parler de ce qui l’amenait ici, à une heure aussi matinale. Sa voix n’était qu’un murmure, parfois camouflé par les craquements du bois sous la langue ardente du feu.

—Isael veut encore que je parte à l’autre bout de l’île avec lui mais j’ai peur, Aäma. Je suis venue te voir car je sais que tu es de bon conseil. Je suis à court d’argument pour lui prouver que je ne peux m’absenter même quelques jours. On se dispute, chaque fois un peu plus.

La nourrice prit un instant pour réfléchir aux paroles de son amie. Elle s’imaginait, sans peine à sa place.

—Oh, ce n’est que cela qui te turlupine. La solution est d’une simplicité enfantine : Va avec lui et revenez ici. Je ne vois pas ce qui te perturbe, mon amie. Je sais bien que tu as peur de ne jamais revenir, si tu en partais mais tu es attaché, lié comme chacun de nous à cette terre. Elle ne peut partir de tes pensées, de ton cœur et de ton âme. Nous portons, tous fièrement, le nom de notre village. Je suis Aäma d’Opaelia et tu es Hea d’Opaelia et ton mari est Isael d’Opaelia et le mien, Wüm d’Opaelia. Regarde, tous les quatre, nous appartenons à cette terre, corps et âme. Et tu es la plus dévouée d’entre nous, ton métier est le plus important du village. Tu préserves nos vies, Hea, et pas seulement. Tu nous aides lorsque nous n’avons plus rien à manger. Tu chasses mieux que ton père, tu es meilleure guérisseuse que ta mère. Et je suis, intimement, convaincue que changer d’air, partir d’ici avec ton mari, serait la meilleure des choses pour toi. Cela t’aérerait l’esprit et contribuerait à la bonne entente de votre ménage. Pars, mon amie mais revient.

La jeune femme soupira face à la longue tirade de son amie. Elle y voyait certes plus claire mais restait hésitante sur la marche à suivre. Elle ignorait si cela était une bonne idée mais elle était prête à prendre le risque. Alors qu’Hea allait reprendre la parole, Aäma ajouta quelques choses qui apaisèrent ses craintes.

—Je t’aiderais dans ton travail, si jamais tu pars.

Les deux jeunes femmes profitèrent du silence de la demeure pour souffler quelques instants. Soudain, les bruits se turent autour d’Hea, elle n’entendait plus que le funèbre martèlement de son cœur car elle était convaincue que la sourde terreur qui enflait, jour après jour dans sa poitrine était un présage de mort. Ses mains se mirent à trembler et devinrent moite. Ses entrailles se tordaient, douloureusement et le serpent de glace qui logeait au cœur de son ventre se mit à s’agiter furieusement. Ses yeux la brûlaient et elle voulait hurler de tout son soul pour soulager la peur intense qui l’étouffait. Elle suffoquait, tout en essayant de se convaincre que la peur ne provenait que des divagations de son esprit fou. Elle s’entendit une main prendre la sienne et la serrer mais elle ne parvenait pas à réagir à ce stimulus. La main chaude quitta la sienne. Hea avait l’impression d’être assise seule, au coin du feu dont elle ne sentait même plus la chaleur. Les minutes s’écoulèrent comme une éternité pour la jeune femme, prisonnière de son malaise. La porte s’ouvrit et une paire de bras puissants, vinrent entourer le corps délicat et frêle de la jeune femme aux cheveux de crépuscule. L’homme la berçait, tendrement contre son cœur pour apaiser son épouse. L’enivrante odeur de pin lui cajola le nez et la calma instantanément. Elle était à sa place. Peu à peu le serpent s’ensevelit à nouveau au cœur de ses entrailles et ses sens lui revinrent. La peur continuait d’agiter son cœur mais elle avait été reléguée dans un coin sombre de sa tête. Isael était penché au-dessus d’elle, l’air inquiet. Les mains, encore tremblotante de la jeune fille se posèrent sur ses joues et cela suffit à apaiser Isael à son tour. Quand Aäma était venue le trouver disant qu’Hea était comme morte, il avait eu tellement peur. Hea était sa source d’inquiétude mais il ne la changerait pour rien au monde, même si ses cheveux deviendraient blancs avant l’heure, sans l’ombre d’un doute. Aäma se rappela au couple, en soupirant de soulagement. Les deux jeunes gens se séparèrent gênés, les contacts physiques étant plutôt mal vu.

—Que t’est-il arrivé ? demandèrent en même temps Aäma et Isael.

—Je l’ignore, mentit-elle dans un sourire, j’ai du travail donc je vais y aller. A ce soir, Isael. À bientôt Aäma et embrasse Merrane pour moi.

Hea rejoignit les écuries, quasiment en courant car elle savait qu’elle était un bien piètre menteur. Elle ne voulait en aucun cas les inquiéter avec sa peur factice. La jeune femme s’occupa de Sylphana, en chantonnant, afin de se calmer. Isael vient essayer de la dissuader de partir dans le village voisin pour distribuer des remèdes. La journée fut sensiblement la même que les autres. Elle chevaucha, durant toute la matinée et arriva au village lors de la pause du midi. Elle prit le temps de s’occuper des derniers malades et des nouveaux. Avant de rentrer chez elle, elle passa au temple pour s’entretenir avec la prêtresse à propos de sa santé. Tyza, la prêtresse de Minhua, avait la santé fragile. Souvent, elle remettait sa vie à Minhua, leur déesse. Hea souhaitait pouvoir l’ausculter. Tyza réussit, encore une fois, à l’embobiner mais l’invita, tout de même, à boire une bonne infusion aux plantes bien chaude. La prêtresse, durant toute l’entrevue, darda ses yeux sur l’horizon et quand Hea lui demanda ce qui la tracassait. La vieille femme resta évasive et mentionna une tempête qui grondait au loin. Elle lui conseilla de vite rentrer embrasser son mari. La jeune femme galopa vers son village et l’atteignit au jour déclinant. Encore une fois, elle était éreintée et ses cuisses la faisaient souffrir à cause de sa folle chevauchée. Ce soir-là, elle s’occupa de sa pouliche seule, son mari étant déjà rentré. Il lui avait laissé quelques morceaux de viande séchés sur l’établi. Elle sourit devant cette attention inattendue. Hea s’installa sur la souche d’un arbre mort et regarda dans le jour déclinant le sol enneigé qui se tentait de dorée. Elle resta assise, un moment, à regarder le soleil se coucher. Rentrer ne la tentait point car elle n’avait aucunement envie d’affronter à nouveau cet homme aussi têtu qu’une mule. De plus, le pressentiment avait enflé dans son cœur et l’avertissement de la prêtresse n’était pas pour l’apaiser. Lorsque le vent se fit glaciale et que les températures chutèrent au point de la faire trembloter, elle se décida à rentrer. Sa demeure était plongée dans le noir le plus total, pas la moindre petite lueur n’éclairait l’intérieur. Tandis qu’aux autres fenêtres, Hea percevait la lueur faiblissant des bougies. Un souvenir lui revient en mémoire avec tant de force qu’elle en vomit. À cet instant, elle revoyait la tête de son mari, plantée sur un piquer au beau milieu du pré qui jouxtait leur demeure et le corps décapité et éventré qui reposait dans leur lit dans une macabre mise en scène. Le visage si doux d’Isael exprimait une douleur abominable. La rousse sentait encore l’odeur métallique du sang se mêlant à celle des pins.

Elle avançait à pas feutrés, hésitante, sur la neige. Malgré sa marche lente, elle fut vite devant la porte. Elle se mit à frémir et senti son cœur palpiter si vite qu’il aurait pu sortir de sa poitrine. Ses yeux la brûlèrent comme s’ils étaient pleins de sable. Hea était terrifiée. La peur que l’un de ses songes terrifiants qui la tourmentait la nuit durant ce fut réaliser était ancrée en elle depuis que ses cauchemars avaient commencé. Elle avait quatre ans lorsque le premier rêve comme ceux qui entaillaient chaque nuit lui était apparu. Elle avait eu si peur que durant quatre jours, elle n’en avait pas dormi. Hea actionna la poignée et ouvrit la porte. Cette dernière émit un grincement inquiétant qui fit trembler, de plus belle, la guérisseuse. Sur le lit, bien qu’il fasse sombre, on distinguait le corps d’Isael, blotti sous les couvertures et le bruit léger de ses ronflements indiqua qu’il était bel et bien vivant. Le soulagement remplaça la peur et la jeune femme se trouva bête. Sa main tâtonna sur le meuble, le plus proche de l’entrée afin de trouver la lampe et ce qu’il fallait pour l’allumer. Elle buta contre, ce qui fit basculer la lampe vers le sol. Hea la rattrapa avant qu’elle ne se brisât sur le sol et l’alluma. La faible lueur éclaira la pièce faiblement. Un sourire naquit sur ses lèvres roses lorsque son regard rencontra le bol, laissé à son égard. Elle savoura le contenu même s’il était froid car elle était, sincèrement, touchée que son mari ait préparé, pour elle, un dîner. Car Isael était rancunier et têtu et lui en voulait sans doute toujours mais sa mesquine punition fut, sans doute d’aller se coucher sans attendre sa belle. Elle mangea la soupe froide. Elle était tant exténuée qu’elle n’avait le cœur à rien ni à réchauffer son dîner ni à faire chauffer l’eau de son bain. Hea se plongea dans l’eau qui était bien froide. Elle sortit de l’eau et se frictionna avant d’aller se coucher. Quand elle se glissa sous les draps, la chaleur humaine que dégageait Isael lui fit l’effet d’un feu. La peau glacée de la jeune femme entra en contact avec celle chaude de l’homme qui partageait sa couche. Elle était si bien qu’elle passa son bras autour de la taille d’Isael. La jeune guérisseuse se réchauffa, doucement, à son contact. Les pieds froids de la jeune femme rencontrèrent leur homologue, contre lesquels ils se collèrent afin de bénéficier de la chaleur du dormeur. Avant de sombrer dans le monde des rêves, la jeune femme frissonna de bien-être. Elle était bien dans les bras de l’homme qu’elle aimait.

La jeune femme s’éveilla à l’aube, là où le soleil se lève sans pour autant tout draper de ses chaudes couleurs. La nuit avait été réparatrice, la jeune femme ne s’était point réveiller. Elle savait qu’elle avait fait un rêve bien étrange. Une grande et belle femme ailée lui était apparue, tenant dans une main un cœur battant encore et dans l’autre une dague en argent. L’apparition lui avait demandé de choisir. Et Hea en avait été incapable, aucun des deux ne l’attirait. La jeune femme ouvrit les yeux et la brume de l’oubli masqua une partie de ses souvenirs nocturnes. Au dehors, le jour commence à éclore et quelques rayons de lumière viennent caresser les corps alanguis. L’homme tenait sa femme entrelacée avec tendresse, sa main reposait sur sa taille. Elle était divinement bien mais elle devait se lever pour travailler. Les plantes ne l’attendraient pas, éternellement et elle avait du pain sur la planche. Et surtout, elle voulait s’extraire pour une journée de l’attitude surprotectrice de son mari. Elle voulait gambader, seule dans la forêt, écoutant le silence et la neige qui craquait sous ses pieds à chaque pas, elle voulait avoir froid et rêver, envoyer son esprit dans de lointaine contrée. Elle n’avait point envie de lui rendre des comptes ni même de le voir l’accompagner car il avait peur que sa jeune femme face une mauvaise rencontre. Elle alla pour se lever mais la poigne puissante la clouait au matelas. Le dormeur finit par se réveiller en sentant la rouquine remuer comme une furie contre lui. Il grogna de mécontentement d’être réveiller à une autre aussi matinale et la jeune femme lui demanda de la relâcher. La voix de l’homme s’apparenta plus à un croassement qu’a une question quand il lui demanda « pourquoi ? ». La jeune étouffa un rire et lui expliqua qu’elle m’avait plus sommeil, qu’elle voulait aller sculpter. Le bras se relâcha et la guérisseuse quitta le lit douillet. Sans un bruit, elle se vêtit et quitta sa demeure dans le jour naissant. Ce jour-là, le temps fut plus clément, une accalmie au cœur de l’Hulia, il faisait bon, la neige fondait, lentement. Néanmoins, les pâturages ne verdissaient pas, encore. La jeune femme s’assit un instant sur une souche, savourant le levé du soleil. Quand elle en eut assez de rester assise, elle se leva et se dirigea, gaîment vers l’orée de la forêt. La forêt lui paraissait chaleureuse et accueillante alors qu’avec tous ses arbres nus et ses fourrés pouvant abriter un warlf, affamé, elle aurait dû être inhospitalière. Hea se retourna pour contempler le village qui lui paraissait, morne et gris, il lui semblait être une tâche dans le paysage idyllique. Hésitante, elle ne savait que faire. Elle présentait que quelque chose n’allait pas. Elle avança le pied, pour franchir la lisère du bois mais il resta en suspend. Son cœur accéléra, battant à tout rompre dans sa poitrine. Elle inspira à fond et posa son pied à terre, scellant à tout jamais son destin. Une brise, soudaine, se mit à agiter la nature, entière. Hea continua son chemin dans la forêt, s’éloignant de son village. La roue du destin était en marche et rien ni personne ne saurait l’arrêter car le destin trace l’avenir, immuablement.

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