Chapitre 2

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Aux alentours de midi, on commençait à percevoir le village d’Alenta, voisin de celui d’Opaelia. Les habitants étaient assis sur la place du village et bavassaient joyeusement, dans un sacré brouhaha. Quand la jeune femme pénétra dans le village, tous la saluèrent avec respect. Elle chevaucha jusqu’à la maison de quarantaine. C’était une grande demeure en bois, comme toutes les constructions du village où les malades étaient installés afin qu’ils ne contaminent pas les autres. Sur le perron se tenait le doyen du village, un vieil homme au dos voûte et aux yeux presque dissimulés sous les épaisses rides qui couvrait son visage. La jeune guérisseuse salua, distraitement, Rez. En retour, il lui écarta les lourdes tentures qui cachaient l’entrée de la demeure et lui sourit.

Hea noua autour de sa tête un foulard afin de ne pas respirer l’air contaminé. La maison ne contenait qu’une pièce et cette dernière était glacée malgré la présence de douze personnes et du foyer qui brûlait au creux de la cheminée. Hea avisa des visages présents dans cette pièce et chaque face pâlit par la maladie, son cœur se serait, douloureusement. Elle connaissait chaque personne qui se trouvait ici. Des paires d’yeux inquisitrice s’était tourné vers elle à son entrée mais aucun n’avait eu la force de la héler ni même de s’asseoir sur le tas de couvertures ou de vêtements qui formait des lits de fortunes.

Elle ne savait par qui commencer les soins car il y avait des enfants mais aussi des vieillards ou encore des hommes bien battit. Les uns étaient les enfants d’un couple et cela serait dramatique si leur enfant venait à mourir. D’autres étaient les grands-parents de jeunes petits mais aussi les sages ou les prêtres du village. Et les derniers seraient utiles au travail aux champs pour rapporter assez de nourriture afin de nourrir chacun d’eux. Pour la rouquine, ce choix était Cornélien. Elle finit par décider que les enfants seraient sa priorité. Ils furent tous soigner et transférer après s’être changé dans la maison mitoyenne afin de rester sous la surveillance du prêtre du village encore quelques jours. Une femme dans la fleur de l’âge lui sourit. Ses cheveux blonds brillaient sous la douce lumière. La surprise se peignait sur ses traits car aucun villageois n’avait jamais eu les cheveux blonds. Hea s’assit à ses côtés et la questionna sur ses symptômes.

—Je ne suis point malade, guérisseuse, j’attends la mort. Mon bébé a succombé aux affres d’une terrible épidémie et je ne puis souhaiter que le rejoindre.

Les larmes vinrent aux yeux de la jeune femme mais elle décida de la laisser seule. Elle soigna les autres, sans cesser de penser à cette jeune femme, assise sous la fenêtre. Au bout de trois heures de travail, elle eut fini de soigner les malades et de faire la liste des plantes qu’elle devrait posséder quand elle reviendrait. Elle promit au doyen de revenir dans trois jours, car le lendemain, elle devait déjà aller au village qui se trouve à l’Ouest d’Opaelia, Kysdra.

—Merci de venir jusqu’à nous. Bon retour, mon amie, lui souhaita-t-il.

Elle quitta le village, saluant les travailleurs qu’elle croisait sur son passage. Le chemin jusqu'à sa demeure fut d’une longueur éreintante. Elle arriva avec le jour déclinant, comme si le soleil suivait sa lente ballade. Hea descendit de sa monture et la conduisit avec douceur jusqu'aux portes de l’écurie. Son mari était encore là, à caresser les naseaux frémissants d’un cheval. Sur ses lèvres se dessinait le sourire qui était réservé à ses étalons. Ce sourire mêlait tendresse, fierté et amour. Hea avait plus d’une fois jalouser ce regard. Elle riait souvent en disant que cette tendre mimique ferait tomber en pâmoison toutes les filles du monde. Malgré ce que cet air, laissait supposer, jamais Isael n’aimerait autant ses chevaux qu’il avait pu aimer sa femme et bien que jadis, Isael n’aimait qu’eux. En effet, quelques années auparavant, il repoussait toutes les femmes qui voulaient, ardemment s’emparer de son cœur. Peu importe combien il les repoussait toutes les femmes d’Opaelia et Alenta pensaient toujours qu’il était l’homme idéal, capable de vous faire des enfants fort grâce à son corps bien portant. Il était doté d’une musculature plus développée que la plupart des autres habitants. Les femmes l’aimaient pour son extérieur fort et c’était cela qui empêchait Isael d’aimer l’une d’entre elles. C’était celle qui ne lui courait pas après, que ne le harcelait pas d’attention qui lui avait plu. Cette jeune femme toujours dans son monde, toujours resplendissante et calme. Néanmoins, leur histoire aurait pu être vouée à l’échec car la jeune femme l’avait d’abord pris en grippe. Il recevait pour elle des attentions qu’il ne méritait pas. Puis un jour, elle l’avait vu sourire à Sylphana, sa jument favorite, fougueuse et loyale. Son sourire avait été tendre, enamouré et confiant, ce jour-là et Hea avait voulu que ce sourire lui soit destinée. Et elle avait réussit.

La jeune femme se tenait, appuyer au chambranle de la porte, un sourire rêveur étirant ses douces lèvres. Ses yeux étaient rivés sur un homme murmurant à l’oreille de Phetch, un des plus anciens cheveux de cette pension. Cet homme était comme un soleil, rayonnant. L’impatiente jument hennit et tapa du sabot sur le sol. L’homme délaissa ses murmures afin de voir qui venait troubler cet instant d’osmose entre lui et la bête. En apercevant le visage tant aimé, il ne put refréner le sourire qui naquit sur ses lèvres roses.

—As-tu passé une bonne journée ? demanda-t-il à son épouse.

Ils en discutèrent en rentrant Sylphana dans sa stalle pour la nuit après s’en être occupé un long moment. L’éleveur resta évasif, comme à l’accoutume quand se fut à son tour de raconter sa journée. Il n’était point un grand bavard et n’aimait s’épancher sur aucun sujet même pas sur ceux concernant la jeune rouquine qui lui tenait lieu d’épouse ou sur ses bêtes. A contrario, Hea aimait parler de tout et de rien, raconter des histoires ou encore parler du déroulé de sa journée en détails et lui aimait l’écouter. Il regarda sa femme dans les yeux avant de prendre la parole :

—Hea, dans dix jours, il y a une vente de chevaux, à Alensberg. Nous pourrions y aller, ensemble. Je montrerais mes connaissances de dresseurs et nous pourrions avoir plus de client que le seigneur du Comté. Nous ne partirions que vingt petits jours.

Une fois de plus, la jeune femme refuse la demande. Ce n’était pas la première fois que son mari lui proposait de quitter leur village pour se rendre à une vente et à chaque fois, la guérisseuse répondait par la négative à la proposition. Elle argumenta que le seigneur des Plaines d’Opaal leur payait assez pour vivre décemment et qu’ils n’avaient pas besoin de plus. Comme son argumentaire n’eut pas l’effet escompter. Elle lui rétorqua que le froid fragilisait les personnes et que tout ce temps en dehors du village risquerait d’être dangereux et qu’elle ne voulait pas perdre des amis pour une simple vente. L’homme secoua la tête, désabusé. Il avait bien longtemps qu’il ne croyait plus à ses mensonges mais il préférait se taire afin de mieux revenir à la charge plus tard. La peur de perdre des gens qu’elle aimait était feinte par la jeune femme pour masquer la vérité latente qui perçait derrière ses propos : elle avait peur de partir et de ne jamais revenir. Elle savait, pertinemment, que son bonheur ne serait jamais complet dans ce village mais elle s’y sentait enchaînée. Ici, il y avait ses racines, ses origines et les tombes de ses parents. A ses yeux, son départ équivaudrait à régner ses origines et livrer les habitants aux maux qui rongeaient les villages les plus démunies. Hea savait que vingt jours, ce n’était rien et qu’elle pouvait laisser son travail à Aäma, que cette dernière serait ravie de l’aider. Elle voulait, vraiment, dire oui à Isael mais elle n’y arrivait jamais. La peur la paralysait, elle ne voulait pas découvrir le monde.

Il la congédia d’un signe de main et elle rentra préparer leur dîner. A peine la porte fut-elle passé que la jeune femme commença à se déshabiller afin de faire bouillir ses vêtements pour ne pas contaminer Isael. Elle se vêtit de l’une des chemises de son mari et d’un pantalon de toile. Elle plongera ses mains dans l’eau avant de commencer à couper les légumes. Ils furent jetés dans une petite marmite qui contenait, déjà, de l’eau et des restes de poulet. Le tout fut placé au-dessus du feu. Les chandelles furent allumées avant d’éclairer quelque peu la maison. La jeune femme se mit à sculpter un verre de bois à la faible clarté d’une bougie. Elle traçait des arabesques compliquées, des motifs tribaux. Le travail captait toute son attention. Elle était si absorbée par les motifs qui se dessinaient sous ses doigts qu’elle n’entendit pas Isael pénétré dans leur demeure. Le jeune homme se prit les pieds dans la marmite de fonte dans laquelle elle avait déposé ses habits et chuta sur le sol. Le bruit de la chute la fit sursauter. Isael jura et Hea baissa la tête pour se mordre la lèvre afin qu’il ne voie pas qu’elle se retenait de rire. Il la regarda et grommela dans sa barbe :

—Hea, ce n’est pas drôle.

La soupe fut servie, quelques minutes plus tard. Hea prit une grosse cuillère de bois, qu’elle plongea dans son bol mais Isael n’entama pas son repas. La jeune femme lui demanda ce qui n’allait pas, tout en repoussant son repas. Les secondes s’égrenèrent avant qu’il ne la questionnât :

— Pourquoi ne veux-tu jamais venir avec moi, Hea ?

La jeune femme soupira et darda ses yeux verts dans ceux caramel de son vis-à-vis.

—Je te l’ai dit. Je ne le peux, surtout en cette saison.

—Ne me mens pas ! Je veux la vérité et pas cette excuse que tu me sors à chaque fois. Si je te demande, durant l’Hulia, tu ne veux car les gens sont malades, si je te demande durant l’Estia, tu ne veux parce que tes chers patients risquent de mourir et ainsi de suite.

—Je ne mens pas, Isael. Ce sont deux grosses saisons et elles durent chacune cinq mois, c’est long et le nombre de malade est en hausse à cause du froid ou de la chaleur. Je ne le puis. Redemande-moi à la fin de l’Hulia.

Il la regarda avec un air de défi.

—Accompagne-moi alors, l’Hulia touche à sa fin. Je sais très bien qu’Aäma serait ravie de t’aider si tu lui dis que tu quittes le village.

Elle soupira, cet homme était têtu comme une mule et la jeune femme sentait la dispute arrivée et elle ne voulait pas se brouiller avec son mari.

—Aäma a beaucoup de travail comme tous les autres. Tout comme moi ! Si tu veux y aller, vas-y mais je ne viendrais pas, je ne peux pas, j’ai un travail, moi aussi.

—Laisse-lui ton travail vingt jours ! Tu ne m’as jamais accompagné, tu prétexte toujours être trop occupée. Trouve une autre excuse, pour une fois !

Furieuse, elle se leva et lui hurla qu’elle ne pourrait pas venir avec lui mais il ne prit même pas la peine d’écouter les déblatérations de son épouse. Un soupir franchit ses lèvres tandis qu’elle se rassit. Elle haïssait de se disputer ainsi avec lui mais tout deux, avec un caractère plutôt piquant et les cris étaient monnaies courantes dans leur ménage mais jamais ils ne restaient brouillés bien longtemps. Enfin, en générale. Cette dispute était plus violente que les autres et Hea en eut la confirmation quand il se leva, sans même lui adresser un regard et quitta leur demeure, sans cape alors que la neige était tombée, drue, ces derniers temps et que les températures étaient relatives froides. Cette dernière resta un instant sur le perron à le regarder s’éloigner avant de l’appeler. La colère qui brûlait en elle se calma alors que sa tête de mule de mari s’en allait. Si la jeune femme n’arrivait pas à le retenir Isael était capable de dormir au milieu de la forêt dans le froid plutôt que de revenir après une dispute.

—Rentre, Isa, il faut froid dehors !

L’homme fit la sourde oreille. « La neige est froide », pensa la jeune femme après y avoir mis les deux pieds pour aller chercher son mari. Un pas fut fait puis un autre et encore un autre et à chaque fois, elle regrettait, froidement, sa décision. Quant à lui, il était ahuri et quelque peu impressionné par cette femme, pieds nues, en chemise fine qui s’avançait vers lui, l’air déterminée. Sa démarche était un peu particulière à cause de la couche de neige et de sa fine peau en contact direct avec. Lorsqu’elle ne fut plus qu’à un mètre, elle reprit la parole :

—Rentre à la maison, insista-t-elle.

—Non. Rentre toute seule, Hea.

Elle soupira et pensa : « Il m’énerve avec sa fichue fierté masculine ! ». Elle ferma, un instant, les yeux pour ne pas s’énerver, encore une fois. Elle savait que dans ce cas, cela ne servirait à rien.

—Je ne partirai pas mais j’ai froid aux pieds, alors rentrons, s’il te plaît. On pourra en parler au calme et cette fois, j’essaierais qu’on se comprenne mais reviens, tu vas attraper froid, tu n’as même pas ta cape.

Il sembla peser le pour et le contre durant un instant avant de passer ses larges mains sous les cuisses menues de sa femme. Il tenta de lui faire un sermon mais sa face attendrie ne trompait personne. Il regagna leur demeure en quelques enjambées. Il déposa la jeune femme devant les flammes afin qu’elle se réchauffât. Ses pieds avaient, légèrement, bleui et elle claquait des dents. Le jeune homme prit les fourrures sur le lit et emmitoufla sa femme dedans. Le couple mangea, en silence. Ce silence-ci était pesant mais aucun n’osait le briser de peur de se disputer encore. Ils débarrassèrent, conjointement la table. La bassine contenant leur vaisselle étant pleine, la prit avec elle afin de nettoyer leur service de table. La porte du fond abritait une salle d’eau mais la pièce était gelée. Le feu sous la baignoire fut vite allumé et la jeune femme attendit avant de plonger dans l’eau. Au bout de quelques minutes, elle se déshabilla et rentra dans l’eau, encore froide, en douceur. Elle ne pouvait se permettre d’attendre trop longtemps, sous peine de finir ébouillantée avant la fin de son bain. À côté de la baignoire se trouvait une petite table avec dessus des baumes, Hea en attrapa un blanc. Le bocal contenait un baume pour nettoyer et purifier le corps à base de plantes qui poussaient dans la forêt attenante. Il dégageait une agréable odeur. Hea n’était pas peu fier de son travail, car en plus d’être guérisseuse la jeune femme était aussi herboriste.

Elle sorti la moitié de son corps de l’eau et se frotta vivement le corps. L’eau commençait à se réchauffer et la pièce aussi. Lorsqu’elle finit de nettoyer son buste et ses cheveux, elle se replongea dans l’eau et sorti les jambes de la bassine afin de les frictionner à leurs tours. Elle resta un moment dans le bain. Elle se détendait peu à peu. Dès que l’eau commença à devenir trop chaude, Hea en sorti et s’enroula dans un large drap pour se sécher. Le feu fut éteint et la vaisselle fut faite dans l’eau du bain. Le baume utilisé était plus abrasif et son odeur plus agressive que celui pour la peau. Hea termina de nettoyer le service de table et se rhabilla avant de quitter la pièce. Isael était déjà couché, il ne dormait pas pour autant mais il voulait montrer à Hea que ce qu’elle avait fait l’avait blessé. Il entendit sa femme soupirer de dépit avant qu’elle ne commençât à ranger la vaisselle, en faisant attention à ne pas faire trop de bruit. Hea posa sa tête contre son dos et passa un bras autour de sa taille.

— Bonne nuit, lui murmura-t-elle.

Les secondes passèrent et elle en conclut qu’il dormait. Quelques minutes supplémentaires s’égrenèrent avant qu’elle n’obtienne une réponse, un simple chuchotis pour lui souhaiter une nuit agréable. Elle posa sa tête sur l’oreiller et tenta de s’endormir, sans succès. La dispute était encore fraîche dans son esprit et la tourmentait, l’empêchant de gagner le sommeil. Elle se leva pour occuper son esprit mais une main lui attrapa le poignet. Isael s’était relevé sur un coude et la retenait par le poignet.

—Je vais aller sculpter, je n’ai pas sommeil.

Il la regarda, encore endormi et l’air de celui qui ne comprenait pas trop. Isael attira la jeune femme dans le lit et se mit sur le côté pour la regarder. Elle fit de même et ils restèrent comme cela pendant de longues minutes, sans que cela soit pour autant gênant ou que le silence ne soit lourd. Ils se contemplèrent avec les yeux de l’amour. Le contact visuel fut brisé quand il se mit sur le dos. La rouquine installa sa tête contre le cou de son mari et respira son odeur épicée. Leurs rythmes cardiaques se synchronisèrent et ils s’endormirent, bercés par l’harmonique mélodie de leurs cœurs. Aucun cauchemar ne troubla leur repos réparateur. Comme chaque jour, Hea fut réveillée au son des cloches du temple de Minhua. Elle se leva mais décida qu’aujourd’hui, Isael dormirait de tout son soul. Elle s’habilla en vitesse et se hâta de rejoindre la maison de son amie, même si le village était encore somnolant. Elle avait besoin de conseil.

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