Chapitre 1

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Il faisait noir comme lorsque le monde se dépossède de ses couleurs pour devenir comme le charbon. Elle se sentait prisonnière d’un océan de bruits et d’odeurs. Ses yeux restaient ouverts, obstinément, malgré sa cécité provisoire. Les bruits qui résonnaient à ses oreilles étaient terrifiants : des sanglots étouffés, des supplications sans le sens, des hurlements de souffrance et il y avait parmi tout cela un rire froid, glaçant qui s’élevait et surplombait chaque son. L’odeur du sang était omniprésente ainsi que l’odeur de la peau en train de brûler. Elle sentait la chaleur aussi ardente que dans un four et se demanda où elle était. La chaleur brûlante se rapprocha d’elle et d’un coup, d’un seul, elle sentit contre ses pieds la langue ardente des flammes.

Un cri déchira le silence qui était tombé dans la cavité, un cri de douleur pur. Le sien. Le rire résonna, se répercutant contre les parois et enflait dans un cruel écho. Le rire s’évanouissait dans le silence aussi vite qu’il avait pu naître et une voix douce le remplaça, s’adressant avec une gentillesse non feinte à la jeune femme :

—Retiens ton souffle et tu vivras.

Son corps inspira et bloqua la respiration. Elle n’était point maîtresse de son corps et celui lui souffla une vague de peur. Que se passait-il ? se demanda-t-elle. La chaleur l’enveloppa dans une étreinte maternelle et caressa son corps de ses mains, remontant peu à peu, enflammant chacune de ses terminaisons nerveuses. Son cerveau était bombardé de message de douleur. Elle essaya, de toutes les forces qui lui restaient, de retenir le cri qui avait naquit dans sa gorge. Jamais la douleur n’avait été plus insupportable qu’à l’instant T. Il finit par lui échapper se rependant dans l’air. L’écho qui lui revient lui tordit l’estomac, son cri était à peine humain. Le hurlement se fana et l’air lui manqua. Elle avala, goulûment, l’air et cela la fit tousser. Sur sa langue et dans son nez se déposa le goût âcre de la fumée. Ses yeux la brûlaient mais les larmes ne coulèrent point sur son doux visage de poupée. La fumée embrouillait ses idées, elle ne parvenait point à réfléchir. La tête lui tournait et son corps s’alourdissait, de seconde en seconde. L’asphyxie la tuerait bien avant les flammes. La douleur n’avait jamais été telle, elle se sentait dévastée. Elle se mit à sangloter, elle ne voulait point mourir ainsi. Une main s’appliqua avec douceur sur son épaule. Sa peau était presque insensible, la main lui fit l’effet d’une plume, une plume de glace sur sa peau brûlante.

—Comment quelqu’un a-t-il pu venir jusqu’à moi au milieu de brasier ardent ? se questionna la jeune femme. Ne suis-je point dans un autre de mes rêves.

Les rêves qui agitaient, nuit après nuit, son sommeil était si réel qu’ils auraient pu être un fragment de réalité. Ils étaient plus souvent terribles que magnifiques. Chaque nuit, même si pour rien au monde, elle l’aurait reconnu, elle tremblait de peur à l’idée de plonger dans les abysses terrifiants que pouvait révéler son cerveau.

—Hea, tu es endormie, ce n’est rien d’autre qu’un cauchemar. Tu ne crains rien, mon amour, tu es dans mes bras, murmura son mari au creux de son oreille.

À cet instant, elle comprit que rien n’était vrai. Pourtant, ses yeux ne se rouvrirent pas sur le monde, ils restèrent aveugles mais l’odeur des pins qui bordaient sa demeure lui parvenait. Elle essaya de reprendre conscience dans la réalité. La douleur qu’elle ressentait ne s’estompa pas, au contraire, elle enfla et se propagea dans tout son corps. La jeune femme se remit à hurler. Des lèvres fantomatiques baissaient sa tempe. Il essayait de rassurer sa femme mais en vain. Elle hurlait, si fort et s’en était douloureux pour lui. Le rire s’éleva et s’enroula autour de la captive comme un serpent de glace. Le froid polaire que ce son dissonant provoquait en elle fit disparaître le brasier ardent qui brûlait sous ses pieds, un instant avant.

Elle se mit à courir, afin d’échapper au cruel écho qui retentissait dans cette grotte. Soudain, elle se rendit compte que ces mains n’étaient plus attachées dans son dos. Elle ferma les yeux, imaginant que plus rien n’obstruait sa vision et elle les rouvrit. Devant elle, un tas de corps humains calcinés fumait encore, elle se tourna pour échapper à cette vision d’horreur mais le spectacle qui s’offrit à elle était plus macabre encore. Sur une table, reposait le corps méconnaissable de son mari. Elle hurla de toutes ses forces et l’odeur du sang la pris aux tripes. Elle essayait se convaincre que rien de tout cela n’était réel.

Peu à peu, tout s’estompa, les odeurs, les bruits pour laisser place à sa réalité. Elle était de retour dans sa demeure, dans les bras de son mari qui embrassait toujours sa tempe avec tendresse. Les larmes se mirent à couler, sans qu’elle ne puisse les retenir. La sueur collait de longues mèches de cheveux à son visage. Elle se sentait si faible et avait eu si peur. Son estomac se soulevait et Hea se leva, décidée à aller prendre l’air. Elle chancelait à chacun de ses pas. Isael dardait ses yeux sur elle. Il avait, encore, eu tellement peur, pour elle. Elle était aussi fragile qu’une fleur mais aussi sauvage qu’un loup.

Hea ouvrit la porte et fit quelques pas dans la neige. Le froid la fit trembler mais la terreur, elle aussi, agitait son corps de soubresaut incontrôlable. Rien ne pouvait distinguer ses tremblements de ses frisons mais peu importait. Les yeux fixés sur les étoiles, le cauchemar s’enfouissait dans les tréfonds de son subconscient. Le jeune homme vient s’assoie auprès de sa belle. La peau laiteuse de la jeune femme était devenue plus blanche, si cela était possible. Presque nuit après nuit, des cauchemars agitaient les songes de sa tendre épouse. Demain, ils auraient une éreintante journée hivernale à passer alors il la porta et la déposa dans leur lit afin d’y dormir jusqu’à l’aube. Les larmes vinrent aux yeux d’Hea, elle était si soulagée d’avoir échappé à cela. La tête de la jeune femme venait se déposer sur la poitrine de son conjoint dont le cœur battait à un rythme effréné mais se calmait au fil des secondes.

—Tu veux en parler ? lui demanda-t-il.

—Laisse-moi un petit peu oublié et parlons-en demain, d’accord ?

—Bien mais demain, nous en parlerons.

Ses yeux se fermèrent d’eux-mêmes cherchant le sommeil dont elle avait été arrachée. Il la regagna et elle se laissa sombrer dans les bras de Morphée alors que son mari traçait de larges cercles dans son dos pour l’apaiser. C’était ici sa place, dans les bras de l’homme qu’elle aimait, elle s’y sentait protégée, choyée et souhaitait ne jamais avoir à les quitter. Malheureusement, l’avenir lui préparait bien autre chose. Après les épreuves qu’ils avaient connues, rien ne parviendrait à mettre à mal leur union, hormis la mort. Ils avaient conscience que jamais, ils n’auraient de descendance car la belle femme aux cheveux de crépuscule ne pouvait porter la vie mais cela, même si ça leur fendait le cœur, les firent s’aimer encore plus. Chacun représentait l’unique membre de la famille de l’autre et ils voulaient s’éteindre, main dans la main, en douceur, après de nombreuses années de vies communes et d’amour partagé.

Doucement, la nuit céda place à l’aube et alors, les cloches du temple se mirent à carillonner. Elles rythmaient la vie des habitants de la plaine d’Opaal et pas seulement d’Opaelia. Dans la maisonnée, seuls les yeux de la jeune femme s’ouvrirent. Elle se leva, en faisant le moins de bruit possible même si c’était une précaution, bien inutile. Isael avait le sommeil lourd, le son des cloches tintant ne le tirait jamais de son sommeil, ni le son des pas légers de sa compagne contre les planches de bois de leur demeure. Seul les cris horrifiés d’Hea le réveillait ne sursaut.

La jeune femme, comme à l’accoutumé, alluma la cheminée afin de réchauffer leur maison. À Opaelia, l’Hulia était rude et les gelées se produisaient chaque nuit. Les maisons étaient froides au réveil de leurs occupants car le feu s’éteignait, toujours, durant la nuit, peu importe le nombre de bûche qui était déposés dans la cheminée le soir. L’Hulia était particulièrement cruel avec les villages bordant la mer.

D’ailleurs, Opaelia en était un bon exemple car il était cerné, autant par l’océan que par la forêt qui retenait le froid et empêchait quoi que ce soit de pousser. Durant les cinq mois, les plus froids, chaque villageois se rationnait. Et ici, Hea avait décidé qu’Isael souffriraient le moins possible de la faim. La table afin de déjeuner fut vite dressée car elle n’avait pas grand-chose pour remplir leur assiette. Quelques baies hivernales, de la viande séchée et un peu de bouillon de la veille. La jeune femme soupira car ils auraient fini leur ration du mois avant que la prochaine ne soit distribué, dans un petit peu moins d’une semaine. Quand elle irait chercher ses plantes médicinales, elle ferait un détour afin d’essayer de trouver quelques baies à manger. Elle mit l’eau à bouillir au-dessus du feu.

Son mari dormait paisiblement, enfoui sous les couvertures, l’air apaisé et serein. Elle avait un petit pincement au cœur de devoir le réveiller. Elle prit une minute pour le contempler, attendrie devant la vision qu’il lui offrait. De longues mèches de cheveux noirs s’étalaient dans une joyeuse pagaille sur son oreiller, ses cils reposaient sur ses joues, aux pommettes saillantes. Sa barbe était taillée, souvent à la va-vite, lui donnant un petit air négligé. Sa peau était de cette tendre teinte caramel qu’Hea affectionnait tant.

Les cloches résonnèrent à nouveau pour indiquer qu’il était l’heure de commencer à travailler. Le lit émit un couinement plaintif quand la jeune fille s’assit dessus mais cela ne vient point à bout du sommeil du dormeur. Elle laissa ses doigts parcourir le visage endormi. Ses mains caressèrent, avec émerveillement, les monts et les vallées de sa tendre face. Elle avait beau les connaître par cœur, jour après jour, elle prenait un plaisir non feint à les découvrir à nouveau.

Le nom d’Isael franchit les lèvres de la rouquine mais l’homme n’en eu cure, continuant sa longue nuit de sommeil. La jeune femme l’appela encore et encore et encore, essayant de provoquer une réaction chez le bel endormi. Peu à peu, les ronflements cessèrent et au bout d’un douzième appel, il papillonna des yeux. Ces derniers se refermèrent aussitôt et leur propriétaire murmura :

—Il est trop tôt, laisse-moi dormir encore un peu. Les cloches n’ont pas encore sonné. L’aube n’est point levée.

La jeune femme se mit à rire devant le déni de son mari. Elle se plaça, alors au bout du lit, attrapa les fourrures. D’un geste sec et habitué, elle les ôta du lit et découvrit le corps d’Isael. Il grommela mais consenti à sa victoire. Les couvertures furent remises dès que l’homme aux cheveux de jais fut levé. Car la rousse le connaissait assez pour savoir que si elle les remettait sans qu’il soit levé, il se rendormirait dans la seconde. La victorieuse jeune femme lui embrassa le bout du nez.

L’homme s’attabla et ronchonnait, comme il en avait l’habitude durant l’Hulia, de ne pas avoir son eau chaude déjà servie. Hea se fit un devoir de masquer un sourire attendri sous une expression qui reflétait un certain agacement. Mais Isael savait qu’il ne devait point se fier à cette expression, qu’elle feignait. Il la connaissait si bien qu’il pouvait reconnaître chaque expression de sa compagne.

—Sois patient un peu, lui disait-elle en soupirant.

Ses yeux d’ocre lui adressaient un regard faussement indigné. Cette mimique adorable fit rire la jeune femme. Elle alla vérifier si l’eau contenue dans le petit chaudron bouillait. Vu que c’était le cas des herbes furent ajouté afin de préserver leur corps et la bonne santé. Les herbes infusèrent quelques minutes dans l’eau avant d’en être ôté. L’eau qui avait pris une pâle coloration verte, fut versée dans leurs verres de pins. Hea les déposa sur la table et Isael s’exclama :

—Enfin, ce n’est pas trop tôt, j’ai failli attendre.

Hea lui mit une petite claque derrière la tête avant de s’asseoir en face de lui. L’homme lui baissa la main et ils commencèrent à manger, sans se parler. Le silence ne pesait pas sur la pièce. Au contraire, il était reposant car les deux amants n’avaient point besoin de mots pour se comprendre. Comme chaque matin, Isael débarrassa la table tandis qu’Hea s’habillait. Elle enfila d’une chemise grisâtre qui autrefois devait être d’un blanc magnifique ainsi qu’un par-dessus de laine ainsi qu’un pantalon de toile rêche. Elle ajouta sa cape rouge sang qui était élimée et rapiécée en de nombreux endroits. Mais c’était là, le seul cadeau de sa mère, la jeune guérisseuse l’aimait plus que tout et pour rien au monde s’en débarrasserait.

Hea s’arma de sa dague et attrapa sa bandoulière de cuir brunit par les ans. Alors qu’elle allait partir, Isael l’enlaça avec toute la tendresse dont il était capable. Il embrassa son épaule, son cou avant de remonter jusqu’à sa joue. Hea frissonnait de plaisir, sous cet assaut d’amour. La femme aux doux cheveux rouges se retourna et entoura de ses bras son cou pour planter un délicat baissé sur ses lèvres. Elles avaient un goût de plante contre les siennes. Hea s’éloigna d’un pas et Isael glissa une douce main sur sa joue.

—Prends soin de toi, ma petite fleur. Reviens saine et sauf, d’accord ?

Pour toute réponse, elle lui embrassa la paume sans le quitter des yeux, lui jetant un regard envoûtant et énigmatique.

—Seras-tu rentrée pour le dîner ? lui demanda-t-il, l’inquiétude perçait dans sa voix.

— Bien entendue. Je serais de retour, à mon avis, à la nuit tombante. Je me rends juste au village voisin.

Il soupira, n’aimant pas savoir sa jeune femme loin de lui. Et ce temps n’arrangeait rien. La neige était tombée, drue, durant la nuit et tout était recouvert d’un épais manteau blanc immaculé. Malgré l’insécurité du temps, Hea mettait un point d’honneur à se rendre tous les cinq jours dans chaque des trois villages alentours afin de soigner les villageois. Bien sûr qu’Isael était fier d’elle et de ce qu’elle accomplissait chaque jour mais il avait terriblement peur à chaque fois. Que ferai-t-il si une nuit sa femme ne rentrerait pas ?

—Fais attention à toi et à Sylphana, les chemins glissent.

—Je ferais bien attention, comme je l’ai toujours fait, ne t’inquiète donc pas. Nous reviendrons en un seul morceau, je te le jure.

La jeune femme prit le visage torturé de son mari dans ses mains et baisa ses lèvres pleines. Il finit par lui sourire et la serrer contre lui. Lorsqu’elle ouvrit la porte, le froid s’insinua dans toute la demeure et aussi dans ses vêtements malgré les épaisseurs qu’elle portait. Hea tremblota. Elle se retourna, souffla un baiser à son mari tandis qu’elle refermait la porte, derrière elle. Les écuries, attenantes à leur demeure, abritaient sa monture. Elle ouvrit la lourde porte de bois clair et souriait, envoyant leurs chevaux, somnolant. Ces derniers, reconnaissant leur jeune maîtresse, l’accueillirent dans un concert de hennissements, joviales. Ils reçurent de sa main quelques caresses, avant qu’elle n’aille voir sa jument, un cadeau de son mari. Sa jument à la robe blanche comme la neige qui tourillonnait, hier encore, occupait la stalle la plus au fond. La jeune femelle était bien plus rapide que ces homologues masculins. Hea ne doutait point qu’elle aurait raflé tous les prix des concours d’équitation mais c’était une femelle. Et les demoiselles, humaines comme équidés, n’ont point le droit de concourir. Hea prit son temps afin de la panser. La jument fut scellée. Hea se pencha à l’oreille de sa monture.

—Ma petite demoiselle, nous allons faire une balade, chuchota-t-elle comme un secret, mais ne le répète pas, nous risquerions de rendre Phetch, Usy et Heven, jaloux.

La jument fut conduite dehors avec douceur par la jeune guérisseuse qui monta vite en selle. Juste avant de talonner sa jument, elle remarqua Isael qui marchait vers les écuries. La cavalière lui souffla un baiser et talonna son cheval qui partit instantanément au triple galop. La neige valsait autour des sabots du cheval. Tout était blanc, immaculé et pur. Le paysage, était, en un mot, féerique. La neige se remit à tomber mais cette fois, c’était de minuscules flocons qui fondaient dès qu’ils étaient en contact avec la peau de porcelaine de la jeune femme. Quand elles ne furent plus qu’a un mètre de l’orée du bois, l’allure fut réduite. À présent, Sylphana était au pas afin qu’elle ne glissât pas sur les plaques de gel, dissimulé sous de la neige. À chaque fois, que la jument glissait, malgré sa faible allure, le cœur d’Hea s’accélère et son estomac se nouait de peur. La jeune femme avait un drôle de pressentiment depuis des jours. Elle n’avait aucune idée de ce qui causait sa peur irraisonnable mais elle sentait que quelque chose de mal planait, au-dessus d’eux. Elle sentait qu’au bout du chemin attendait la mort. Pour qui ? Ça, elle l’ignorait mais la mort guettait, fiévreusement et convoitait avec délice les âmes dont elle accaparait bientôt.

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