Thé vert (2/2)

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II

L’herbe éparse sous ses jambes. L’ombre des arbres, au bord de la clairière. À peine, la chaleur.

Il ne ressent rien.

La douleur qui sourde dans son crâne, qui cogne, furieuse, qui rugit dans ses oreilles, et tape dans sa mâchoire. Il ne la sent pas non plus.

Il y arrivait, pourtant. Ce matin, il est revenu dans la cabane, et l’a nettoyée, de fond en comble. Il a viré les draps des lits de camp, les a remplacés par des linges propres. Il a retiré les rideaux aussi — ceux qui, hideux, le terrifient depuis toujours, avec leurs hétérogénéités dans le tissu qui, la nuit, jettent de grosses taches sur le plancher. La seule pièce qu’il a été incapable de faire, c’est la salle d’eau.

Il ne peut pas la voir.

Pas maintenant.

Et puis, d’un coup, il est sorti. Comment avait-il pu oublier, ça, il ne le sait toujours pas. Il a traversé la clairière en courant, a cherché les deux ormes jumeaux, entre lesquels une trappe troue le sol, tout en longueur. L’absence de la mince couche de terre qui la recouvre normalement l’a tout de suite alarmé. Il a attrapé la petite grille au-dessus des planches de bois, puis a ouvert le battant.

Dedans, un arc, quelques flèches.

Son matériel.

Ensuite, coupure nette d’alimentation électrique dans sa cervelle. Du moins, c’est ce qui lui semble. La seule chose qu’il ressente vraiment.

Le vide.


V

Choux blanc du côté des bars serinois que Samia a écumé jusqu’en fin de journée. Personne n’a reconnu Catherine Gautrois. Mais ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas entrée dans l’un d’eux pour autant : juste que personne ne se souvient l’y avoir croisée. Une nouvelle tournée s’impose peut-être en soirée, histoire de consulter les habitués.

Quelque chose chagrine tout de même l’enquêtrice. Remontant les étages immaculés de la Verrière, elle repense à la gêne extrême d’Alice Blein, la colocataire de Gautrois, au moment de leur entretien ce matin. Une gêne crasse, une gêne de secret qui la dérange profondément. Elle est presque certaine que l’architecte d’intérieur ne leur a pas tout dit.

À l’étage des enquêtes criminelles, elle retrouve Dorian en grande conversation avec Rémi, leur pro des recherches numériques en tout genre. Depuis trois jours, il s’occupe, en plus d’autres tâches, de récolter un maximum de renseignements sur les clients du Logis du Clérain. C’est lui qui a lié le visiteur de Mélanie Myrthon au gang des apothicaires.

Mais il n’a rien de bien neuf pour le moment. Alors, après des salutations chaleureuses, Samia et Dorian prennent congé, et quittent la Verrière d’un pas tranquille.

Ils ne sont pas pressés de reprendre la route vers la campagne meurtrière.


III

La nuit est claire, encore, jeune. Enfant capricieuse du jour, la chaleur refuse de refluer. Un seul avantage au voile nocturne : les rayons hargneux du soleil se couchent au loin, cessant leur cuisson des chairs.

Mélanie maudit toute cette moiteur étouffante. Un éventail dans une main, sa valise dans l’autre, elle termine de tout boucler pour son départ, tôt le lendemain matin. Car le téléphone à carte prépayée a sonné une dernière fois, dans l’après-midi, avant qu’elle le détruise et s’en débarrasse dans une poubelle du restaurant. On la rappelle à Serins. On a du boulot, pour elle, à Serins. Maintenant qu’elle a fait ses preuves, c’est tout Serins qui s’offre à elle.

Du moins, son dynamique marché de stupéfiants.

Une fois la valise calée contre le mur près de la porte, Mélanie part s’asseoir sur le lit. Elle lâche l’éventail. Laisse les préoccupations qu’elle tenait jusqu’ici en respect l’attaquer férocement.

Elle a cru pouvoir le faire sans véritables conséquences. Elle pensait que ce n’était rien, tout ça. La vie, la mort, ce qu’il y a entre les deux, ce qui rage et fulmine dans le temps ne pouvait être que du vent. Un vent sourd, un vent colérique, un vent qui se fiche d’arracher les têtes et de raser les montagnes. Ici, dans sa triste chambre d’hôtel, elle redevient l’enfant abandonnée de l’appartement serinois. La fillette assise par terre, sans idées pour animer ses jouets. Rien qu’une solitude visqueuse.

Oui, Mélanie a cru qu’elle pourrait tuer sans rien ressentir.

Idiote.

Elle s’y est bien pris, pourtant. Attaque éclaire, surprise, rapide. Une main sur l’épaule de Pierre, l’autre dans son dos, à y plonger et y replonger avec une rigoureuse efficacité. Viser haut, frapper à divers endroits, pour être sûre de réduire en charpie ce qui maintenait alors le corps en vie.

Quand Pierre est tombé, Mélanie respirait à grandes goulées. Ses muscles hurlaient, attaqués par l’acide, et ses yeux voyaient à peine le résultat de tant d’efforts. Ensuite, il a fallu sortir le téléphone à carte prépayée, prendre une photo, en prendre une autre pour s’assurer de bien y voir, et tout envoyer au numéro enregistré. Après ça, elle a couru jusqu’au lac Clérain, et y a balancé le couteau ensanglanté. Dix minutes plus tard, de retour dans sa chambre, elle a filé sous la douche, sans en sortir de la nuit.

Depuis, elle évolue dans une bulle. La lumière l’aveugle, dedans. Elle la protège. Dans la bulle, les images de son baptême du sang se diffractent jusqu’au non-sens. Ça la rend forte, ça, Mélanie. Ça lui permet de tenir tête à un duo d’enquêteurs qui en savent pourtant trop à son goût. Ça lui permet aussi de penser à demain.

Demain, Serins.

Demain, le sang, encore, sûrement.

Mélanie rentre dans la bulle. Elle refoule ses tourments, les ignore en s’appliquant, et s’allonge sur le lit. En position fœtale, elle pense vaguement à sa mère, se souvient qu’elle a attendu son attention toute sa vie, se demandant ce qu’elle devait bien faire pour l’obtenir, juste un regard, peut-être une embrassade, et se met à chialer sans pouvoir s’arrêter. Elle pleure, gémit, rentre ses bras contre sa poitrine, et resserre la bulle autour d’elle. La crise passe. Le sommeil vient.

Et puis on toque à la porte.

Mélanie bondit du lit. Elle croit avoir rêvé, mais les coups recommencent, alors elle se lève.

Avant d’aller ouvrir, elle s’asperge la figure d’eau tiède.

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