Cappuccino

7 minutes de lecture

V

Mettre la pression à Mélanie Myrhton impose de pouvoir lui mettre la main dessus, en premier lieu. Une condition nécessaire, absolument impérative. Et, à l’heure actuelle, non vérifiée.

Le commissaire et les deux inspecteurs s’en sont retournés au Logis du Clérain en fin de matinée, sans y trouver leur suspecte. Dans sa chambre, bien rangée, la valise attend toujours, posée près de la porte. Sur le départ, donc, la fille Myrthon, mais pas là. Et sa valise toujours ici.

Fuite éclair ? Improbable. Même si elle avait pu les voir entrer dans le parking, eux aussi avaient un visuel sur la porte de sa chambre - qui constitue la seule issue -, desservie par le couloir-balcon, et les escaliers, à droite de l’entrée de l’hôtel. Et Mélanie n’était pas sortie.

Descendue à la cafétéria ? Non, elle n’y est pas. Au restaurant à quelques foulées de là ? Néant. Mais sa voiture, une vieille Renault, n’a pas bougé du parking.

Randonnée ? Une dernière promenade avant de retrouver la chaleur urbaine de Serins-sur-Lacs ? Là encore, improbable.

Les trois flics décident d’interroger les présents. Le proprio, d’abord, toujours secoué par la découverte du cadavre de Catherine Gautrois, n’a rien à dire sur la jeune femme effacée de la chambre 22. Son séjour est réglé, elle descend dîner tous les soirs vers vingt heures, mais ne déjeune jamais à Pavonis. La journée, il ne la voit pas.

Puis, les policiers vont toquer à la chambre d’Anton - la 21 -, mais n’y trouvent personne. Étrange ? Dorian prend note de l’absence du ferronnier, sans en faire grand cas pour autant, du moins pas sur l’instant ; à cette heure-ci, il bosse sûrement. À son atelier, alors ? Il doit forcément en avoir un ; l’inspecteur Crelès note de se renseigner dessus.

Une demi-heure a eu du mal à s’égrener, et Mélanie Myrthon n’est pas reparue. Les trois policiers poussent jusqu’à la chambre de Joanna - la 25 - et cette fois-ci, la porte s’ouvre. La touriste en recherche d’appartement semble déprimée, dans la pénombre orangée qui l’encadre. Tee-shirt gris barré d’un gros AC/DC en lettres rouge sang, gilet fin vert pâle, et jeans droits sur des sandales en cuir.

LaClue s’excuse pour le dérangement, puis la questionne sur Mélanie. Doucement, au début ; l’a-t-elle croisée récemment ?

— Hier soir, on s’est vues à l’heure du dîner, répond Joanna.

— Et vous a-t-elle mentionné son départ ? demande Dorian.

Joanna acquiesce.

— Elle m’a dit qu’elle avait fait ce qu’elle devait faire ici, et qu’elle n’avait plus qu’à rentrer chez elle. Elle comptait partir très tôt ce matin.

— Ce matin ? répète Samia, piquée. Vous savez à quelle heure elle comptait partir ?

Joanna se tait, regarde en l’air ; effort mémoriel. Au bout d’une poignée de secondes, elle dit :

— Aux alentours de six heures, je crois. Pourquoi ?

— Nous aurions souhaité nous entretenir avec elle, mais nous ne la trouvons pas, indique Dorian.

— Eh bien, c’est parce qu’elle est à Serins-sur-Lacs, balaye Joanna.

Les deux inspecteurs sourient gentiment, le commissaire baisse les yeux. Dorian s’occupe de remercier la cliente de la chambre 25 pour ses réponses, et, avant de repartir, il cherche des précisions :

— Dites, vous l’avez vue partir, vous, ce matin ?

Joanna secoue la tête.

— Non, mais je dois vous avouer que je ne passe pas mon temps à épier les gens par la fenêtre. Et que je dormais, à six heures. Pourquoi ?

— Pour rien. Merci encore de nous avoir accordé de votre temps, passez une bonne journée.

Quand ils quittent le couloir-balcon, en bas des escaliers, les trois policiers s’échangent des regards lourds de sens. Valise et véhicule toujours sur place, femme envolée.

Peut-être vaut-il mieux rechercher la fille Myrthon dès maintenant.


II

Anton se débat avec une migraine furieuse. Tout à l’heure, dans les bois, la chaleur et l’odeur du sang, ça le tord. Les souvenirs remontent, lentement, ils s’accrochent. Les images, surtout, la mémoire des gestes, aussi, gravée dans la tête, dans les bras, au bout des doigts. C’est confus, comme une boule constituée de tous ces éléments, qui roule et qui hurle.

Il se souvient des routes ensoleillées, des clubs étouffants, des sourires enjôleurs, des amitiés rapides. Des proies, toujours, des proies à piocher, à fourrer dans le coffre, à lâcher dans les bois. Et la chasse, ensuite, minutieuse. La chasse patiente, la chasse qui tue, la chasse qui respire au creux des bois.

Et puis, vient le souvenir de son père, et la douleur pulse plus fort dans son crâne.

La lumière est trop forte, trop jaune dans un ciel trop bleu. Anton met une main en visière sur ses sourcils, plisse les paupières, et souhaite voir le soleil s’éteindre.

Comme il longe l’hôtel d’un pas chaotique, il ne voit pas tout de suite l’homme qui sort de la cafétéria, dans son costume gris, avec son grand gobelet saupoudré d’une vapeur tourbillonnante. Anton arrive à s’arrêter avant de lui rentrer dedans, et mâche des excuses incompréhensibles.

— Oh la, mon vieux, ça va ? s’enquiert le type.

Anton retire sa main, lève les yeux. L’inspecteur Crelès - Dorian Crelès, s’il se souvient bien - l’observe, la mine à la fois amusée et éminemment curieuse. Anton pense il doit crever chaud dans son costume, se déplace pour ne plus être aveuglé par le soleil, et déglutit avant de lui répondre que tout va bien.

— Vous êtes sûr ? Vous n’avez pas l’air d’aller, insiste l’inspecteur.

— Je fais une migraine.

— Ah, encore ? Vous n’avez pas de chance… est-ce qu’un café vous ferait du bien ?

Un café, pourquoi pas. Il y a bien longtemps qu’un café n’a pas calmé ses nerfs enflammés, mais il se dit qu’au fond, il ne peut pas refuser l’offre de l’inspecteur. Il ne doit pas fuir la police, pas maintenant. Alors il accepte, un peu tremblant, et Crelès l’entraîne à l’intérieur.

Il lui demande ce qu’il veut boire, un allongé, un espresso bien serré ? Anton lui demande ce qu’il boit, lui.

L’inspecteur rit.

— Un grand cappuccino. Mon péché mignon.

Anton décide de le suivre - Crelès est un peu étonné, mais l’enjoint à s’installer à la seule petite table de la cafet’, pendant qu’il passe la commande auprès de Clélia. La commande est rapidement expédiée, et Crelès rejoint Anton.

— Tenez, dit-il en posant doucement son grand cappuccino sous son nez. Une autre randonnée sous le soleil ?

Anton le remercie du bout des lèvres, se saisit du long gobelet, le triture un instant, puis décide de répondre à l’inspecteur.

— Vous savez, dans les bois, on a suffisamment d’ombre. Mais on n’échappe pas à la chaleur, bien sûr.

Puis, désignant la tenue de Crelès, il ajoute :

— Vous devez en savoir quelque chose.

À cela, l’intéressé éclate d’un rire soyeux.

— D’ailleurs, ôtez-moi d’un doute, inspecteur : votre code vestimentaire est souple, non ? Il me semble que vos collègues serinois ont laissé tomber le costume depuis un certain temps.

— Certes, mais c’est une habitude à laquelle je tiens.

Ils continuent de discuter de tout, et surtout de rien un moment, le temps que les cappuccinos soient moins agressifs sur la langue, puis Crelès fait tomber une question :

— Au fait, je n’ai pas pensé à vous demander : vous devez bien avoir un atelier, non ?

Anton prend une gorgée. La savoure. Pense que, si l’inspecteur voulait l’adresse de son atelier, il pouvait très facilement se la procurer sans son intervention. Peut-être a-t-il oublié de le faire ? Peut-être essaie-t-il d’initier un interrogatoire ?

Peut-être a-t-il deviné, au fond.

— Oui, bien évidemment. Mon atelier est un havre de paix, inspecteur, très tranquille. Tout en pierre. Près du lac des Trois-Frères.

Le flic sourit toujours, tout doucement. Pas un vacillement dans son expression très sereine. Il avale d’une traite la moitié de son gobelet puis, comme s’il se souvenait soudainement d’un élément important, il fronce les sourcils et demande :

— Au fait, est-ce que vous auriez vu la jeune femme de la chambre 22, par hasard ?

Anton enfouit la pointe de panique tout au fond de son crâne bourdonnant.

— Quand ça ? fait-il, l’air un poil préoccupé.

— Ce matin, ou hier soir.

Sincère effort de mémorisation. Puis, véritable omission du souvenir de Mélanie, de son ventre ouvert, de son sang noir dans la clairière.

— Non, je ne crois pas. Je ne l’ai jamais vraiment croisée, de toute manière. Pourquoi ?

Avec un petit geste de la main, et d’un air désinvolte, Crelès lui assure qu’il souhaitait simplement s’entretenir avec la jeune femme. Anton n’y croit pas une seconde, et les deux hommes se remettent à discuter de tout, et surtout de rien.


V

Il se fait tard sur Pavonis. Le ciel s’habille de couleurs plus sombres, et le commissariat se vide. Enracinée à son bureau temporaire, Samia épluche les listes de recoupement établies par le reste de son groupe d’enquête, à la Verrière. Ce qu’elle a sous les yeux : les noms de tous les adhérents des clubs de tir à l’arc de la région qui ont un casier judiciaire. Ils ne sont pas très nombreux, et ça ne donne rien. Elle est seule ; LaClue a été sollicité par l’un de ses inspecteurs - celui qui avait reconnu Anton lors du topo, avec ses lunettes à monture d’écailles - et s’entretient avec lui dans son bureau ; Dorian est, une nouvelle fois, pendu au téléphone, à prendre des nouvelles de son gamin.

Alors, tandis que l’inspectrice s’ennuie ferme, son équipier souhaite une bonne nuit à son fils, et le commissaire LaClue, de retour de son entrevue, un brin perturbé, est apostrophé par l’agent de permanence au standard.

Ensuite, c’est l’ébullition.

On a retrouvé Mélanie Myrthon.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Didi Drews ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0