Thé vert (1/2)

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V

Dans la salle de réunion qui jouxte leur large espace de travail, à la Verrière — siège de la PJ serinoise —, deux ventilateurs tournent à plein régime. Assis autour d’une table neuve assortie de quatre tasses de thé vert fraîchement préparé par Dorian, les inspecteurs Berroui et Crelès s’attèlent à combler les vides.

Les deux équipiers sont partis aussitôt le briefing terminé à Pavonis, direction Serins-sur-Lacs. La colocataire de Catherine Gautrois est arrivée par le train de sept heures et demie à la Gare Nord de Serins. L’autopsie des deux dernières victimes est prévue le même jour. Il est, par ailleurs, grand temps de s’entretenir avec le fiancé de ladite victime ; ainsi, les deux inspecteurs des enquêtes criminels ont condensé leurs différentes tâches serinoises, de sorte d’effectuer un seul aller-retour, avant de replonger dans la campagne sanguinolente.

L’entretien avec la famille, d’abord. Patrice Philipe, le fiancé, se traîne une sale tête. Les yeux tombants, les épaules basses, les cheveux sauvages sur son crâne. L’ingénieur informatique n’a rien de déterminant à leur apporter. Catherine et lui se voyaient surtout les week-ends ; il travaillait à Serins-sur-Lacs, elle gérait une petite boutique de prêt-à-porter à Pavonis. Le mariage était prévu pour l’année suivante.

Alice Blein, la colocataire, a le regard fuyant. Avec ses cheveux secs et volumineux, ses traits tirés et son chemisier froissé, elle paraît être tombée du lit. Bafouillante, elle bute sur ses mots, et réfléchit longtemps avant de répondre à la moindre question.

Le fiancé ne sait pas ce que Catherine aurait pu faire le soir de son meurtre. Malgré la panoplie complète de la fêtarde dans laquelle on l’a retrouvée, il affirme qu’elle n’était pas du genre à faire la fête. La colocataire, elle, après s’être tortillée sur son siège, noie les yeux dans sa tasse et offre une autre version.

— Ça lui arrivait de sortir, de temps en temps.

Tout le monde s’accroche à ses lèvres.

— Parfois… oui, parfois elle sortait. En ville.

— Ici, à Serins, ou à Saint-Christian ? demande Dorian.

Alice Blein semble vouloir disparaître sous un coin de moquette. À côté d’elle, le fiancé avale son thé vert, par toutes petites gorgées, les joues cramées et les yeux erratiques.

— Ici, à Serins, se reprend la colocataire. Je ne sais pas où précisément, se dépêche-t-elle d’ajouter.

Un peu trop vite au goût des enquêteurs.

— Je sais juste qu’elle se garait au parking de la Gare Nord.

Voilà un mystère de résolu : la disparition de la Twingo de la victime. C’est LaClue qui va être ravi.

Enfin, si on retrouve bien le véhicule à l’endroit indiqué.


*


L’entretien se clôture assez vite après cela, et les deux inspecteurs se séparent ; Dorian part assister à l’autopsie, tandis que Samia emprunte un collègue et sa bagnole pour vérifier que celle de Catherine Gautrois se trouve bien à la Gare Nord. Quinze minutes de trajet, un peu en râlant aux abords de la gare — toujours encombrée d’incapables du volant et de cyclistes inconscients, de l’avis de Samia —, et vingt bonnes minutes avant de tomber sur la Twingo de 2007 qu’ils cherchaient. L’enquêtrice s’empresse de prévenir le commissaire pavonicien : qu’on lève donc l’avis recherche.

Ensuite, elle abandonne son collègue — qui en attend d’autres, censés s’occuper du véhicule — pour flâner aux alentours. Une flânerie qui cache une lourde tâche : celle de découvrir l’endroit, accessible à pieds en un temps raisonnable depuis le parking, où Catherine Gautrois a bien pu se rendre le soir où elle a croisé les flèches du chasseur. Le quartier de la Gare Nord offre de nombreuses possibilités, en terme de bars et brasseries, mais rien du côté des clubs ou boîtes de nuit plus fêtards. Samia lorgne sa montre : onze heures et demi, elle a de la marge pour faire le tour des établissements. Elle en profitera aussi pour casser un peu la croûte en chemin.


*


Dorian retrouve le vice-procureur — un jeunot à la plastique avantageuse et à l’air toujours préoccupé — dans les couloirs de l’institut médicolégal de Serins-sur-Lacs. Deux victimes en un coup, ça vaut bien le déplacement. La légiste — une jeune aussi, un peu plus guillerette — achève de se préparer.

Honneur à la première découverte, c’est Catherine Gautrois qui passe sous le scalpel. Rien que de très habituel, avec le chasseur : une flèche, tirée à courte distance, au niveau du cœur.

— Quoique, j’aimerais modérer mes propos, se reprend la légiste après un examen minutieux des membres : cette victime est inhabituellement préservée. Pas de blessures défensives, aucune des contusions observées sur les précédentes victimes. Il n’y a pas eu bagarre, mais il y a peut-être eu ingestion de toxiques qui l’auraient rendue inoffensive.

— Elle était de sortie, indique Dorian, alors il y a des chances qu’elle ait consommé une certaine quantité d’alcool.

— Ivre, donc ? On verra ça avec son alcoolémie.

Elle s’intéresse ensuite au plus troublant : la large écorchure sur le dos de la main droite.

— Hmm… ça me semble plutôt inhabituel, ça aussi. Il faut y aller, pour retirer un bout de peau, vous savez, peu importe sa taille. C’est relativement propre, comme plaie.

— Vous savez avec quel genre d’outil ça a été fait ? demande Dorian.

— Oh, un couteau bien aiguisé aura suffit. Le mieux étant un scalpel. Mais je ne peux pas vraiment me prononcer. Ce que je peux vous dire, en revanche, c’est que ça a été fait post-mortem.

Ça, c’est très nouveau. Pourquoi un tel acte, si ce n’était pas pour blesser ? Pourquoi dégrader le corps, alors qu’il ne l’a jamais fait ? Une mutilation post-mortem, ça signifie peut-être une escalade.

Rien d’autre à signaler par la suite ; la légiste passe au second corps.

— Mais dites-moi, messieurs, ça n’a rien à voir là, commente-t-elle en levant un sourcil.

Concentrée, elle dénombre onze blessures à l’arme blanche, toutes localisées dans le dos de l’infortuné Pierre Royand.

— Les coups se sont concentrés sur les lombaires et le bas de la région thoracique, note-t-elle ensuite. Les mouvement est ascendant… d’après l’angle des blessures, je dirais que l’agresseur est plus petit que votre victime. Au moins de dix bons centimètres.

Dix centimètres, ça élimine Anton Arkitt et Joanna Ploignel. Dix centimètres, ça corrobore l’hypothèse Mélanie Myrthon. C’est ce que Dorian rapporte au vice-procureur, ensuite, quand la légiste a fini de découper ses charognes.

— Et donc, quoi : on aurait deux tueurs dans cette affaire ? rebondit le magistrat, dubitatif. Il me semblait que l’hypothèse « témoin gênant » expliquait bien le meurtre de Pierre Royand.

— Pas complètement, nuance Dorian. Vous avez eu notre rapport concernant Mélanie Myrthon, nous devons encore le compléter avec le compte rendu de son entretien, mais elle fait un bien meilleur suspect.

— Certes, mais deux meurtres, au même endroit, la coïncidence paraît un peu grosse.

— Pas tant que ça, à bien y réfléchir. Le Logis du Clérain est réputé pour attirer les gens qui attirent eux-mêmes plus ou moins les ennuis. C’est sans doute la raison pour laquelle Mélanie Myrthon y a été envoyée. En ce qui concerne le chasseur, vous savez qu’il nous y a « invités », donc constater qu’il en a fait sa dernière scène de crime ne devrait pas nous surprendre.

Le vice-procureur médite sur la question, l’air franchement ennuyé.

— Bon, reprend-il, et que voulez-vous faire de tout ça ? Je veux dire que vous n’avez, en somme, que de forts soupçons et quelques éléments pour corroborer votre version de l’histoire, mais aucune preuve directe, aucun témoignage et aucun aveu. Alors, quoi : on continue de mettre la pression à cette Myrthon, ou bien à ce « coursier » qui a déposé la photo de la victime ?

— Nous pensons que rester sur Myrthon est plus adapté, dans un premier temps. S’attaquer au faùeux coursier pourrait s’avérer contre-productif pour l’instant : lui qui est dans le gang depuis plus longtemps, on a moins de chances de le faire craquer. Et puis, nous pensons que Myrthon a pu surprendre le chasseur, auquel cas elle pourrait nous renseigner.

À cela, le magistrat hausse les sourcils.

— On peut toujours espérer… mais faites donc, inspecteur Crelès. Vous repartez pour Pavonis ce soir, c’est bien ça ?

Dorian confirme, puis les deux hommes quittent l’IML. Les rapports complets des autopsies leur parviendront dans quelques jours. D’ici là, ils ont de quoi s’occuper.

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