Cannelle (4/5)

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I

Avant d’entrer dans le cercle, Joanna lorgne une dernière fois son téléphone. Shoot de rage. Adrénaline frissonnante dans les veines. Soif de violence.

Ce soir-là, les combats se déroulent dans un parking souterrain, un brin labyrinthique, en périphérie de Serins-sur-Lacs. Pas de gardien de nuit, éclairage idéal, la C4 garée tout près. Pratique et sordide.

Le cercle termine de se former sur le béton sale. Un joli bolide, sophistiqué, mugit la bande sonore, lardant du The Weeknd à pleine puissance. The Hills, dans son bourdonnement vorace, ça colle avec l’ambiance poings serrés et bouches sanguinolentes. Joanna perce le cercle d’enragés, roule des épaules, étire sa nuque, tripote les bandes à ses mains. Son débardeur et sa paire de short laissent voir les hématomes, griffures, égratignures et autres contusions dont Mélanie – chambre 22 – a deviné la présence sous ses vêtements longs.

Il n’y en a pas tant, des hématomes, mais suffisamment pour poser problème ; son visage, lui, est épargné. Comme toujours – ou quasiment.

À l’intérieur du cercle, droit devant elle, un gringalet, surexcité, boutonneux, torse nu, sec comme un bâton de cannelle, sautille, un sourire bien aligné aux lèvres. Image inverse de Joanna, des pieds à la tête. En opposition sur tous les plans.

Le combat se lance.

Le gringalet se met en garde.

Joanna se jette sur lui, embrasée. Elle balaie la garde mollassonne de son adversaire, abat ses poings, donne des claques, des coups de coude, explose le nez, la mandibule, les côtes flottantes. Autour, les cris des autres enragés et la musique, lourde, galvanisante. Le gringalet, à terre, pisse le sang sur le béton sale.

Dans la tête de Joanna, un mot tourne en boucle.

Salaud, salaud, salaud.

Elle lève les bras, hurle sa victoire, animale. Le cercle la joint dans sa frénésie. Sang, douleurs dans les poings, les poignets, acide dans les muscles. Jouissance éphémère d’en foutre plein la gueule à un inconnu. D’avoir le dessus.

Mais sa rage, elle, ne se consume pas tout à fait.


*


Joanna étrangle le volant. Les jointures blanches, les paumes tendres, sa peau fond presque sur le revêtement granuleux. Devant, les phares écartent les pans de pénombre sans douceur. La C4 avale l’asphalte entaillé, gloutonne.

En bout de vie, l’autoradio mugit une musique forte, rendue rocailleuse par la défaillance de l’engin. Muse remplace The Weeknd, avec Hysteria et sa ligne de basse exceptionnelle. Elle en aime la violence, Joanna, elle s’en remplit pour mieux ressentir la sienne.

Elle écrase l’accélérateur. Le moteur gronde, les pneus se décrochent presque. Sentiment de puissance. Imminence du danger. Sensation d’invincibilité décuplé par chaque seconde qui passe sans la tuer.

Et décroissance exponentielle de l’efficacité du cocktail émotionnel.

Des larmes de rage viennent souiller le visage de Joanna, et tandis qu’elle pousse un cri guttural, elle plisse aussi les paupières, ne distinguant plus que de vagues lueurs dansantes.

D’un coup, elle freine. Puis elle attrape son téléphone, le déverrouille, ouvre le dernier message qu’elle a reçu de Kyle. Une vidéo. Sur l’écran, une fillette sourit. Elle est adorable, avec ses couettes soignées et sa chemisette au col picoré de coccinelles. Joanna lance la vidéo. « Joyeux a-nni-ver-saire… joyeux a-nni-ver-saire… joyeux a-nni-ver-saire, Maman ! » chante la fillette.

Le salaud, il n’a pas oublié, grince-t-elle en jetant son téléphone sur le siège passager.

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