Cannelle (2/5)

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III

Mélanie se ronge furieusement les ongles, les yeux explosés. Elle a rassemblé la partie supérieure de sa chevelure blonde en une couette brouillonne, et a relégué les mèches récalcitrantes derrière ses oreilles.

La police est là, et pas n’importe quelle police : la PJ de Serins-sur-Lacs en personne. Après tout, au vu des faits, Mélanie ne peut s’étonner de leur présence.

Ni des auditions qu’ils effectuent dans la petite cafétéria de l’hôtel.

Le type nerveux de la chambre 21 se fait cuisiner, tandis que l’asperge à la chevelure ébène de la chambre 25 bronze sur le balcon qui mène aux chambres, le nez tourné vers le soleil, les yeux clos. Elle est sortie de la cafétéria dix minutes avant, puis s’est éclipsée quelque part vers l’entrée de l’hôtel, jetant des coups d’œils prudents derrière elle, avant de réapparaître à l’instant.

Bien solide dans son jean droit, un gilet vert pastel la couvrant jusqu’aux poignets, elle semble profiter de l’écrasante chaleur qui les assomme.

— Vous savez ce qu’il se passe ? demande-t-elle alors, ne prenant pas la peine de se retourner.

Sa question, balancée dans le vent, fait douter Mélanie de son destinataire.

— C’est à moi que tu parles ?

Alors la fille de la chambre 25 se retourne, esquissant un sourire malicieux. Grande, donc, la trentaine entretenue, une épaisse chevelure brune qui descend jusqu’à la pointe des omoplates, une mèche balayant son front vers le côté droit, un visage un poil triangulaire et un nez bien droit.

— À qui d’autre ?

Pas faux.

— Je m’appelle Joanna, au fait. Je suis dans la chambre…

— 25, je sais.

Mélanie soupire longuement, triture ses mèches, derrière ses oreilles.

— C’est à toi qu’ils viennent de parler, non ? réplique-t-elle en réponse à la première question de Joanna, sèche.

— Ils n’ont fait que poser des questions, sans vraiment répondre aux miennes.

— Eh bien, regarde autour de toi : bagnoles de flics, PJ serinoise… c’est du lourd.

La grande tige arque un sourcil.

— Quoi, tu lis pas les journaux ? raille Mélanie en se décollant du mur. Y a un tueur en série dans le coin, poupée. Et il est très vilain…

— Un tueur en série ? Rien que ça ?

— Tout à fait. Un tordu de première : la version glauque de Katniss Everdeen.

— Qui ça ?

Mélanie marque un temps d’arrêt, histoire d’abreuver son interlocutrice d’un regard moqueur, avant de détailler son propos :

— Il décoche des flèches pour trucider ses victimes. Charmant, hein ?

— J’aurais plutôt dit « sordide », mais soit…

— Oh, je suis certaine qu’en matière de « sordide », t’as été servie.

L’interrogation voile un instant le visage de Joanna. Très vite, elle retrouve sa légèreté.

— Donc vous m’avez percée à jour, fait-elle sans grand sérieux.

Mélanie, pour sa part, est tout à fait sérieuse.

— Tu paies tout en liquide. Pourquoi ? Sûrement parce que tu ne veux pas qu’on remonte jusqu’à toi grâce à tes mouvements bancaires.

Joanna ricane.

— Tout le monde ici paie en espèces.

— Dans ce cas, on a tous quelque chose à cacher, sifflote Mélanie. Donc, tu paies tout en liquide, dans un hôtel franchement pourri. Pourri, mais, en plus d’être très cheap, il est aussi perdu dans les bois et difficile à dénicher où que ce soit. Il n’a même pas de site internet, donc c’est pas le premier endroit que quelqu’un peut trouver quand il se met à chercher là où on peut crécher dans le coin.

— Il est dans l’annuaire, et y a des coupures à l’office du tourisme. C’est comme ça que je suis tombée dessus : pas si bien caché que ça, non ?

— Petit un : il est présent uniquement dans les annuaires papiers. En ligne, les pages jaunes n’ont pas connaissance de son existence… tout comme les sites de réservations d’hôtels. Pour ce qui est de l’office du tourisme : celui de Pavonis attire peu de monde, et les fameuses brochures vantant les mérites du Logis du Clérain sont bien cachées derrière les établissements plus… entretenus. Il s’agit de faire une bonne pub pour la ville, et non d’attirer tous les tocards à la recherche d’un truc très tranquille et, il faut l’avouer, un peu louche.

Vous êtes vraiment bien informée, dites-moi…

Je te l’ai dit : on a tous quelque chose à cacher. Et je pense qu’on se cache tous, ici. C’est l’endroit rêvé pour.

Comme pour appuyer son propos, elle balaye les bois denses du regard. Un trait mélancolique rature sa face ; elle se reprend bien vite, rajustant son air de petite maline avant de poursuivre sa démonstration :

— Il y a les textos, aussi.

Joanna paraît surprise.

— Les textos ?

— Tu dînes tard, et à peu près à la même heure que moi. T’es toujours rivée à ton téléphone, à lire des SMS auxquels je ne te vois jamais répondre. Pas d’appels, juste des textos, que tu ignores – du moins, jusqu’à un certain point. Tu les fixes. Comme une menace. Quelqu’un te menace.

— Pourquoi forcément une menace ?

— Pourquoi cette tenue ?

— Je vous demande pardon ?

Mélanie ouvre les mains, désignant le top à manches longues, au tissu certes aérien, mais toujours collant contre sa peau transpirante.

— Pourquoi quelqu’un se trimballerait en manches longues sous trente degrés à l’ombre ? Réponse : pour cacher ses hématomes.

Un instant, le visage de Joanna ébauche un beau croquis de l’angoisse, avant de remettre son masque en place.

— Vous pensez que je m’enfuis dans la nuit pour jouer à Batman ?

— Non, je pense que quelqu’un vous bat. Battait, pour être exacte.

— Parce que je ne porte pas de débardeur, alors je sers de punching ball ?

— J’ai déjà vu ça, ne se démonte pas Mélanie. Et puis c’est pas si compliqué à comprendre. Une jolie femme qui se terre dans une campagne perdue, choisit un hôtel discret, règle toutes ses dépenses en liquide, reçoit des communications indésirables, regarde derrière son épaule… quelqu’un t’a fait du mal, et maintenant ce quelqu’un te cherche. Alors, c’est qui ? Petit ami, fiancé… ton gentil mari ?

Joanna reste muette et impassible, étudiant simplement son interlocutrice. Puis, nonchalante, elle assure :

— Votre petit numéro à la Sherlock Holmes est impressionnant. Je vous dirais bien d’aller prêter main forte à cette PJ serinoise, mais, et c’est sans doute dommage pour eux : vous avez tort.

Mélanie tire une moue qui chantonne au fond, j’en ai rien à carrer.

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